Agriculture climat Zaka
Plus de 100.000 personnes suivent Serge Zaka sur ses différents réseaux sociaux. Spécialiste des impacts du dérèglement climatique sur les systèmes agricoles, il y donne de son temps sans compter pour vulgariser ses recherches. © DR

Agriculture et climat : pour Serge Zaka, la Belgique doit diversifier ses cultures

La Belgique sera-t-elle bientôt plus réputée pour ses vignes et ses abricots que pour ses patates ? C’est possible, prédit l’agroclimatologue Serge Zaka, à condition d’anticiper les impacts du changement de climat sur l’agriculture. S’il va falloir s’habituer à des saisons soit trop humides, soit trop sèches, certaines cultures pourront bénéficier de la hausse des températures.

Interview | Clémence Dumont, journaliste

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Sur son site internet, il se présente comme « artisan-photographe d’orages », « docteur en agroclimatologie » et « chercheur-modélisateur scientifique ». Il pourra bientôt y ajouter : « auteur de bande dessinée ». Plus de 100.000 personnes le suivent sur ses différents réseaux sociaux. C’est que Serge Zaka, spécialiste des impacts du dérèglement climatique sur les systèmes agricoles, y donne de son temps sans compter pour vulgariser ses recherches. Lorsque nous lui avons téléphoné, le Franco-Libanais s’occupait du système d’arrosage de son jardin à Montpellier. Kit mains libres activé pour ne pas s’interrompre, il nous a fait part de ses prédictions sur l’agriculture belge[1].

Serge Zaka, pour celles et ceux qui ne vous connaissent pas, pourriez-vous expliquer quel est votre métier ?

Je suis agroclimatologue[2]. L’agroclimatologie, c’est la science qui relie la météo, le climat et l’agriculture. Je regarde à court terme comment la météo va affecter la production agricole de l’année en cours. À long terme, c’est un travail plus socio-économique et politique. J’essaye de voir ce qui pourra être planté dans quelle région, comment vont évoluer les rendements, bref de préparer les filières par rapport au changement climatique.

+++ Cette enquête est au sommaire du nouveau numéro de Tchak (automne 2024).

Un travail essentiel puisque l’avenir de notre nourriture en dépend. Pourtant, il n’est pas très médiatisé.

Il y a peu d’agroclimatologues. En France – et je crois que c’est pareil en Belgique –, les filières universitaires différencient assez tôt la physique et la biologie, alors que l’agroclimatologie réunit les deux. Il y a quelques agroclimatologues qui travaillent dans des centres de recherche. Mais ils et elles ne sont pas spécialisé·es dans la vulgarisation.

Alors que vous, vous tenez à faire de la vulgarisation.

Les informations doivent arriver jusqu’aux oreilles des populations concernées, en l’occurrence les agriculteur·ices, mais aussi les décideur·euses politiques et le grand public. Ça sert à quoi de faire de la recherche si personne ne lit les résultats ? Pour moi, communiquer les résultats pour qu’on prenne les bonnes décisions, c’est le plus important, peut-être même plus que la recherche en elle-même.

D’où votre choix d’être très présent sur les réseaux sociaux ? Cette activité est-elle une source de revenus pour vous ?

Non. Je gagne ma vie comme chercheur indépendant et conférencier. Je travaille pour des centres de recherche ou des entreprises qui font de la production alimentaire et se questionnent sur le futur de leur approvisionnement. Mais je communique beaucoup par simple passion. Je vois qu’il y a un intérêt grandissant, et heureusement parce qu’il est urgent de repenser toutes les filières agricoles.

C’est aussi pour cette raison que vous allez publier une BD.

Pour la financer, on a lancé un crowdfunding qui a été au-delà de nos attentes [avec un coauteur et une dessinatrice, NDLR]. La BD devrait sortir début décembre en librairie et en ligne. J’espère toucher une nouvelle tranche de la population.

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De quoi s’armer face au climatoscepticisme grandissant ! En Belgique, la météo « pourrie » de ce printemps et d’une partie de l’été a fait dire à certain·es que le réchauffement climatique ne tient pas la route. Or c’est tout le contraire, non ?

Celles et ceux qui pensent que le changement climatique se résume à de la sécheresse sont climatosceptiques. Ce n’est pas du tout ce que disent les rapports scientifiques ! En Belgique, il fera plus chaud, mais il pleuvra plus sur l’ensemble de l’année. Les printemps et les hivers seront très pluvieux, de plus en plus. En contrepartie, les étés, les fins de printemps et les débuts d’automne seront plus secs. Mais cela n’exclut pas des inondations certains étés. En Belgique comme dans le nord de la France, il n’est pas du tout question d’un assèchement généralisé.

Sur les réseaux sociaux, vous aimez aussi rappeler qu’on ne fait pas de la climatologie dans son jardin. En Belgique, le mois de juillet n’a pas été illustratif du dérèglement en cours. Pourtant, au niveau planétaire, juillet a explosé les records de température.

Cette facilité à battre des records, qu’ils soient mondiaux ou locaux, est déconcertante. Des séismes sont en cours, mais tout le monde n’en a pas encore conscience.

Les fermes, elles, sont directement aux prises avec le changement climatique. Ce printemps, beaucoup de cultures ont été retardées à cause de l’humidité. Les limaces ont envahi les champs et les terrains sont devenus impraticables pour les machines.

La problématique, c’est que l’agriculture réagit aux deux extrêmes : l’excès et le déficit d’eau. Les agroclimatologues ont l’habitude de dire que le mauvais temps est celui qui dure. Et c’est ce qu’on observe. Donc les productions sont de moins en moins stables. Avant, les agriculteur·ices avaient un accident de temps en temps. Maintenant, ils et elles peuvent en subir plusieurs par an : du gel après la floraison, des sécheresses en été, un excès d’eau au printemps…

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Pour autant, certaines cultures pourraient-elles profiter du changement climatique ?

Tout à fait. Dire qu’on va tous·tes mourir de faim et que tous les impacts sont négatifs, c’est faux. Il y aura des cultures favorisées, d’autres non. Mais ce n’est pas le climat qui nous dira si l’agriculture s’en remettra. C’est notre réaction. Si on ne change rien à nos cultures, à nos pratiques, on ne va pas s’en sortir. Il faut anticiper.

Quelles sont donc les cultures à privilégier en Belgique ?

Toutes les cultures d’hiver, notamment le blé, l’orge et le colza. Elles auront de l’eau, plus de douceur et l’augmentation du CO2 va favoriser leur photosynthèse. Le maraîchage d’hiver aussi : la carotte, la salade, le chou-fleur, le poireau… Il va être de plus en plus intéressant de les planter pendant la période froide. Pendant la période chaude, on pourra progressivement planter de plus en plus de tomates, d’aubergines, de courgettes… En fait, on va avoir un allongement de la période des légumes d’hiver et un allongement de la période des légumes d’été, avec une augmentation du rendement des cultures d’hiver mais une baisse de rendement pour les cultures d’été.

Donc ce sont surtout les cultures d’été qui vont souffrir. Lesquelles, par exemple ?

Les betteraves et les pommes de terre. On les sème au printemps et on les récolte à l’automne, donc elles vont être de plus en plus soumises à des stress thermiques et hydriques. Les stress hydriques, on peut les compenser par de l’irrigation mais, quand il fait plus de 35°, on ne peut pas empêcher les dégâts. Donc sur les grandes cultures d’été traditionnelles, en Belgique, le rendement aura tendance à diminuer de 20 à 30% d’ici 2050.

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Pour Serge Zaka, celles et ceux qui pensent que le changement climatique se résume à de la sécheresse sont climatosceptiques. © Adobe Stock

On entend souvent dire que la Belgique va devenir une terre de vignobles. Vous confirmez ?

Oui, la vigne pourra s’implanter très facilement en Belgique. On pourra aussi cultiver de nouvelles variétés de pommes et de poires et, surtout à partir de 2060, des abricots, des figues, des oliviers… Mais attention à ne pas anticiper trop tôt parce que les arbres ne bougent pas : on ne peut pas les changer chaque année !

Vue sous cet angle, la perspective semble relativement agréable !

Les effets positifs sont à moyenner sur l’ensemble de l’année. En Belgique, l’été sera tout de même difficile et il y aura des événements extrêmes. Donc cela ne veut pas du tout dire qu’il faut relâcher les efforts face au changement climatique qui, d’un point de vue planétaire, est néfaste pour l’agriculture.

On reviendra sur les effets les plus dramatiques du changement climatique dans d’autres pays. Pour en rester à la Belgique, cela signifie-t-il qu’il est temps de délaisser la spécialité locale : les patates ? On ne voit pas de mouvement en ce sens.

Pour l’instant, le système agricole belge reste relativement efficace. Mais que les Belges regardent ce qui se passe pour les pommes de terre et les betteraves en Centre-Val de Loire ! C’est ce qui les attend dans 10-15 ans : plus d’assèchement des sols, de maladies… Donc il va falloir apprendre à diversifier. Regardez aussi l’huile d’olive en Andalousie, la moutarde au Canada ou le cacao en Côte d’Ivoire ! Dans ces zones hyperspécialisées, des événements climatiques ont provoqué des baisses de rendement telles que les prix de ces produits ont explosé. En Belgique, s’il y a une sécheresse au début de l’été, on sait que la production de pommes de terre sera affectée, donc on ne peut plus tout miser sur cette culture.

+++ Décryptage | L’orange suffoque face au climat

Il faut diversifier, mais ne faut-il pas aussi adapter la manière de cultiver ?

Bien sûr. La parade tant aux excès qu’aux déficits d’eau, c’est le sol. Des pratiques culturales permettent au sol de jouer un rôle de tampon : typiquement, l’agriculture de conservation des sols, c’est-à-dire la diminution, voire l’arrêt du labour et le fait de ne pas laisser les sols nus. Un autre point important, c’est la structure des paysages. Il faut « tamponner » le microclimat des parcelles avec des haies, des arbres. Ils apportent de l’ombrage en été, limitent le vent qui dessèche, captent de l’eau en hiver…

Pour certain·es, la réponse au défi climatique est de rendre les systèmes agricoles plus productifs, quitte à négliger d’autres limites planétaires que l’humanité enfreint (érosion de la biodiversité, pollutions chimiques, perturbation des cycles de l’azote et du phosphore, etc.). Cela vous fait-il peur ?

Oui. À court terme, plus une parcelle est productive, moins elle émet de gaz à effet de serre par quantité de nourriture produite. Mais à long terme, la surexploitation des sols et l’uniformisation des espèces ne sont pas durables. C’est la santé de nos écosystèmes qui fait notre santé. Moi, je parle essentiellement du climat, mais je plaide pour des solutions agroclimatiques qui soient aussi environnementales. C’est le cas avec les haies, la gestion des sols, les cultures sous arbres… Les pesticides, j’en parle très peu parce qu’ils sont décorrélés du climat, mais ils sont un problème. Il n’existe pas d’agriculture parfaite à part la permaculture, qui demande beaucoup de main-d’œuvre.

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Si la Belgique adapte son agriculture, fera-t-elle partie des pays bien lotis pour affronter le dérèglement climatique ?

Oui, la Belgique est plutôt favorisée puisqu’elle va pouvoir gagner des espèces. La diversification y sera possible. Elle se trouve au milieu d’un dégradé qui va de la Norvège jusqu’au Maroc. Plus on monte vers le Nord, plus les impacts seront positifs. Plus on descend vers le Maroc, plus l’agriculture va devenir impossible. À partir du centre de la France, on est déjà sur du négatif. Dans le sud de la France ou en Espagne, on parle de pertes de rendement moyennes de 40 à 50% pour les cultures d’été d’ici à 2050. Les problématiques d’eau y seront extrêmement importantes dès le milieu du printemps jusqu’à la fin de l’automne. À partir de l’Andalousie, on est sur un scénario de désertification, ce qui signifie que l’agriculture n’y sera plus possible après 2050.

Plus possible ?

Dans ces régions, qui sont actuellement nos vergers, les adaptations ne suffiront plus. Au Maroc, des oliviers, qui sont quand même très résistants à la sécheresse, commencent déjà à mourir !

Vous semblez présenter ces scénarios comme certains. Mais est-ce le cas ? Un événement comme l’arrêt du Gulf Stream (un courant océanique) pourrait-il chambouler les prédictions ?

Pour la Belgique, le niveau de certitude des scénarios concernant les températures est fort. Concernant les précipitations, le niveau de certitude est modéré parce que celles-ci sont plus difficiles à modéliser. Mais c’est vrai qu’il y a des incertitudes sur les conséquences du changement climatique à grande échelle, en particulier par rapport au Gulf Stream. Je tiens à signaler que, malgré tous les effets d’annonce dans les médias, il n’y a pas encore de consensus scientifique sur son évolution. Si les effets ricochet du changement climatique continuent, on ne peut pas exclure le ralentissement, voire l’arrêt du Gulf Stream, ce qui accentuerait la fraîcheur des hivers et la chaleur des étés en Belgique. Mais ce n’est pas pour tout de suite. Pour les cinquante prochaines années, je ne conseille pas aux agriculteur·ices de se projeter dans ce scénario. Il y a trop d’incertitude.

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Au niveau planétaire, l’arrêt du Gulf Stream n’empêchera de toute façon pas le réchauffement. Si l’agriculture devient impossible dans certaines zones, cela signifie-t-il qu’un pays comme la Belgique devra en nourrir d’autres ?

Une solidarité internationale va devoir se mettre en place. Toute la géopolitique mondiale va basculer et il faut d’urgence s’y préparer. Qui va fournir quoi à qui ? Attention à ne pas mettre de pays de côté, notamment ceux qui n’auront pas les moyens de s’approvisionner sur la scène internationale, et à ne pas dépendre de pays infréquentables, comme la Russie qui sera favorisée par le climat et pourrait en profiter pour jouer sur les prix et déstabiliser d’autres pays.

Vous pensez qu’on pourra quand même nourrir tout le monde ?

On peut déjà le faire et je pense qu’on pourra continuer à le faire en 2050. Actuellement, il y a une surproduction alimentaire. En Europe, un tiers de ce qu’on produit est perdu, notamment pour des raisons de calibre ou de « beauté ». L’autre problématique, qui n’est pas agricole, c’est la répartition inéquitable des richesses.


[1] L’interview a eu lieu le 3 juillet 2024. Quelques mises à jour ont été ajoutées le 2 août.

[2] Serge Zaka a défendu une thèse en agroclimatologie à l’Inrae (Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement).