Agriculture sexisme patronne
Anne-Catherine Dalcq est en train de reprendre la ferme de ses parents, située à Jodoigne (Brabant wallon). © Gaelle Henkens

Agriculture : elles sont où, les patronnes ?

Malgré des avancées, la sous-représentation des femmes dans les organes de décision des structures agricoles est encore une réalité. En cause, un manque de temps, de disponibilité mentale et une certaine hostilité. Résultat : on parle peu de la condition des agricultrices et le sujet est considéré comme secondaire.

Sang-Sang Wu, journaliste | sang-sang@tchak.be

« Joseph Billiaux vient d’être admis à la retraite. Il a été mis à l’honneur et fêté comme il se doit lors du traditionnel souper. Son épouse Marie-Claire, qui a toujours été à ses côtés pour l’épauler dans le dur métier d’agriculteur, n’a pas été oubliée puisqu’elle s’est vue offrir un magnifique bouquet de fleurs. »[1] 

L’article dont est tiré cet extrait ne date pas du siècle passé. Il a été rédigé en février 2019 et retrace la vie d’un fermier passionné par « son » métier et remercié par le Comice agricole de la Semois ardennaise. Malgré de notables avancées, beaucoup d’agricultrices sont comme Marie-Claire : elles font de la figuration pendant que leur mari tient le premier rôle. « Même si l’exploitation est officiellement au nom du couple, c’est quasi presque toujours le mari qui « représente » la ferme », glisse Paul Depauw, secrétaire sortant du Comice d’Arlon. 

Astrid Ayral, permanente au syndicat agricole de la Fédération Unie de Groupements d’Éleveurs et d’Agriculteurs (Fugea)[2], a réalisé son travail de fin d’études sur la reconnaissance des agricultrices, dans le cadre de son master en études de genre. Elle a objectivé l’absence structurelle des femmes dans diverses structures (para-)agricoles wallonnes[3]et a notamment analysé la composition de leurs conseils d’administration.

Le constat est limpide : « Les agricultrices sont moins visibles dans les médias, moins présentes dans les syndicats, elles n’apparaissent que peu aux postes décisionnaires. » Dans la structure qui l’emploie, elle a d’ailleurs noté que « les postes à responsabilité (président, vice-présidents, porte-parole) sont uniquement occupés par des hommes ».

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Les raisons qui expliquent cette faible représentation des femmes sont multiples. En dépit de l’amélioration de leur statut juridique, la division genrée du travail, au sein des fermes, persiste. Les contraintes domestiques et parentales sont des freins réels : « Je suis enceinte de 6 mois et avec tout ce qu’il y a à faire à la ferme, il est difficile de tout goupiller, admet Vanessa Martin, membre du CA de la Fugea. J’ai déjà bien diminué mon implication au syndicat, mais je sais que quand le bébé sera là, je vais devoir lever le pied. En général, celles qui s’impliquent syndicalement ont déjà de grands enfants. À un moment dans leur vie, les femmes s’écartent car elles ne peuvent pas tout faire ». 

Dans la plupart des fermes, les femmes assument l’administratif, la traite, les soins aux animaux, la diversification. Invisible et sous-estimé, ce travail est perçu comme le prolongement de leur rôle de femme d’intérieur et de mère de famille. Douce, dévouée, maternante, patiente : de par sa nature, la femme serait plus douée que l’homme pour effectuer les tâches domestiques non rémunérées comme le ménage, la cuisine, la lessive. Elles sont essentialisées et sacralisées en tant que « gardiennes du foyer ». 

Outre la charge des enfants, les femmes doivent souvent accompagner la fin de vie des parents et/ou des beaux-parents. « Il y a une volonté, du côté des agricultrices, de se préoccuper de la vie sociale et d’aider les personnes en difficulté. C’est le grand rôle des femmes en agriculture dans notre pays : celui de porter les autres », justifiait ainsi Marianne Streel, l’actuelle présidente de la Fédération wallonne de l’agriculture (FWA), en 2019[4].

Cette enquête est au sommaire du numéro 9 de Tchak, toujours en vente. Elle contient deux autres chapitres: Le syndicalisme selon les femmes | Une politique agricole européenne décidée par les hommes.

La sacro-sainte complémentarité 

Même si les représentations évoluent, de nombreuses agricultrices ont parfaitement intégré que certains travaux nécessitent une force physique que seuls les hommes auraient. Cette conception, fondée sur la nature biologique, est profondément enracinée dans les mentalités. L’hypothèse qu’elle puisse être le fruit d’une construction sociale (et qui peut donc être déconstruite) est loin de faire l’unanimité.

« Dans ma famille, la question de la division des tâches domestiques est hyper taboue, relate Jeanne[5], femme d’agriculteur mais non issue du milieu, à la base. Je suis vue comme la femme moderne qui ne facilite pas la vie de son mari. Être l’épouse d’un agriculteur, ça met à mal mon féminisme. Par rapport aux autres de son milieu, il a l’impression d’être conscientisé et de consacrer énormément de temps aux tâches domestiques. Et c’est le cas, mais ça reste complètement disproportionné par rapport à mes collègues masculins qui ne sont pas du monde agricole. »

À partir du moment où l’agriculture s’est modernisée, le travail des femmes a migré des champs vers l’intérieur de la ferme. Les hommes, eux, ont continué à investir les espaces hors de l’exploitation, même s’il peut y avoir des renversements des rôles. Anne Bedoret gère une ferme de grandes cultures avec son mari, à Merbes-le-Château, et est membre de la Commission environnement de la FWA. Ensemble, ils ont quatre enfants de 20 à 28 ans.

« Quand ils étaient petits, je prenais le couffin sous le bras pour aller aux réunions, mais j’ai surtout pris mes engagements après que ma plus jeune a un peu grandi. Mon mari allait chercher les enfants, s’occupait des devoirs. Il sait écouter les gens, exprimer ses sentiments et est attentif aux autres… Plus que moi, je crois (elle rit). Mais ce ne sont malheureusement pas des qualités valorisées chez les hommes. » 

Enormément d’agricultrices évoquent une logique de complémentarité entre l’homme et la femme. « Je pense que chacun doit rester à sa place. Il y a des choses qu’ils savent faire et nous pas, et vice versa », estime Chantal Baudoin, une éleveuse qui siège au CA de l’Arsia, une association d’éleveurs wallons, qui se décrit comme « pas hyper progressiste sur ces questions ». D’après les chercheuses et chercheurs en sociologie, les stéréotypes de genre masquent mal les rapports hiérarchiques et sont une manière de légitimer la division genrée du travail qualifiée de « naturelle » alors qu’elle traduit une relation de domination.

Astrid Ayral note que ce schéma mental persiste chez les agricultrices. Cheffes d’exploitations ou non, issues du monde agricole ou non, impliquées syndicalement ou non, mères ou non, elles assument des rôles traditionnellement assignés aux femmes. « Toutes parlent ainsi de choix personnels et autonomes, qui n’auraient en rien été imposés par une hiérarchie genrée des tâches à haute valeur symbolique. » Et pour celles qui veulent s’investir à l’extérieur, cela se fait au prix d’une négociation, y compris avec elles-mêmes. « J’ai pu observer en accompagnant des projets d’installation que seules les femmes évoquaient les contraintes familiales, les hommes n’en faisant que très rarement mention dans leur futur projet professionnel. »

À la FWA comme à la Fugea, la question des droits des femmes n’a jamais vraiment été abordée tant les enjeux agricoles sont nombreux. Marianne Streel est formelle : « Ce n’est pas le rôle des syndicats agricoles de s’ingérer dans les couples. Chaque chef d’exploitation fait ses choix pour la vie de sa famille. On peut de temps en temps dire à un homme qu’il exagère, l’air de rien. Mais c’est via l’éducation permanente, de manière douce, que les évolutions doivent se faire. »

Agriculture Sexisme Patronnes
Anne-Catherine Dalcq est en train de reprendre la ferme de ses parents, située à Jodoigne (Brabant wallon). Sa sœur aînée lui donne régulièrement un coup de main. © Gaëlle Henkens.

Un coup de pied dans la porte 

La mise à l’écart des agricultrices des lieux de pouvoir s’explique aussi par d’autres raisons : ils fonctionnent, sont pensés pour et dirigés par des hommes. Le réseautage semble être un préalable indispensable pour y entrer. Elsa[6], installée depuis le début des années 1990, fait partie d’un organisme agricole où elle a toujours été la seule femme. « Je suis arrivée comme caution morale : un gars plus progressiste m’a emmenée avec lui et a dit aux autres qu’il était temps de s’ouvrir aux femmes. Il les a obligés à voter pour moi. Sinon, je n’aurais pas pu entrer dans cet entre soi verrouillé. »

Actuellement, la loi n’impose pas de quotas de femmes dans les CA des syndicats agricoles. La question suscite la polémique, ses détracteurs arguant que les femmes doivent pouvoir y arriver sans avoir recours à des passe-droits. Mais « si l’égalité pouvait arriver comme par magie, on l’aurait déjà obtenue depuis longtemps. A priori, quand il n’y a pas de quotas, il n’y a pas d’égalité. Ils sont juste là pour lancer une dynamique d’égalité en termes de nombre », recadre Annalisa Casini, chargée de cours en psychologie du travail (UCLouvain).

Encore nécessaires, les quotas sont pourtant loin d’être la panacée. « Ils remettent peu en cause les règles du jeu et la culture genrée des organisations syndicales, et peuvent parfois induire des effets secondaires de délégitimation et d’isolement des « femmes-quotas » avec une suspicion d’incompétence ou de moindre mérite. Comme l’écrivait, dès le début des années 1980, Cynthia Cockburn, toute exigence de parité doit en effet être accompagnée de changements structurels profonds pour que cette évolution ne soit pas uniquement de court terme ou cosmétique. »[7]

Malgré l’arrivée des femmes dans les sphères de pouvoir, la féminisation se fait trop souvent par à-coups, presque par hasard, tant le milieu reste encore aujourd’hui globalement hostile. « Je m’assois toujours à côté de celui qui chapeaute la réunion car les gars (les agriculteurs, ndlr) ne me laissent pas de place, raconte Elsa. Je ne sais même pas s’ils en sont conscients, mais ils ne veulent pas s’asseoir à côté de moi. Lors des premières réunions, je m’en suis pris plein les dents : ils me disaient que je prenais la place d’un homme et que c’était honteux. » Quand l’agricultrice proposait de nouvelles idées, cela provoquait souvent l’hilarité générale et des « C’est quoi cette connerie ! » Même s’ils ne sont pas tous comme ça, elle ne s’est jamais sentie en confiance.

Clara[8] est la femme d’un agriculteur. Elle siège au sein d’un organisme para-agricole et trouve aussi qu’il est difficile d’y faire sa place : « Il m’arrive de dire un truc et d’être ignorée. Puis, un autre le reprend à son compte et on lui dit « Ah ouais, bonne idée ça ! » Je me suis aussi déjà fait rabrouer par un agriculteur qui m’a interrompue en gueulant « Et puis quoi encore ? » Cette altercation n’a même pas été inscrite au PV. Dans mon boulot précédent (dans le même secteur, ndlr) aussi, je ressentais les mêmes dynamiques. Avant ces expériences, je me disais que les féministes exagéraient et qu’on n’avait pas à se plaindre en Occident. Mais j’ai remarqué qu’il y avait dans ces instances encore beaucoup de patriarcat. »

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Dans la famille Dalcq, les femmes ont toujours tenu une place importante. La grand-mère d’Anne-Catherine, elle-même ancienne agricultrice, est très fière de voir que la relève est bien assurée. © Gaëlle Henkens

« Je me suis sentie observée et attendue au tournant »

Sabine De Coster, agricultrice et secrétaire générale administrative à la Fugea, reconnaît que l’attitude de certains hommes peut intimider. Mais, insiste-t-elle, « rien n’empêche de faire ses preuves, même s’il faut une certaine force de caractère pour pouvoir se mettre en avant. Et après une ou deux expériences, les hommes se rendent compte que les femmes ont autant de valeur et peuvent avoir autant de responsabilités ». C’est le cas d’Anne-Françoise Georges qui a repris, seule, les 80 hectares de son père, il y a vingt ans. « Personne ne s’y attendait, mais à force de travail, j’ai pu leur montrer que c’était possible. Certains voulaient que je me plante. Je me suis sentie observée et attendue au tournant. »

Les mécanismes d’exclusion des femmes révèlent l’existence d’une tendance lourde : pour être légitime, il faut être irréprochable. « À l’école déjà, on incite les petites filles à viser le 10/10. Des études montrent que face à des offres d’emploi, les femmes ne postulent que si elles pensent correspondre parfaitement, alors que les hommes le font dès que quelques critères sont remplis. Et il en va de même dans les sphères de pouvoir », souligne Annalisa Casini. « Je ne suis pas un caractère fort qui va prendre la parole facilement, confie cette jeune femme issue du monde agricole et syndical.J’ai tendance à dire que mes collègues connaissent plus de choses que moi et feront mieux pour représenter le secteur. »

Certaines femmes parviennent toutefois à faire entendre leur voix. « Je rencontre du sexisme encore aujourd’hui, mais je ne me suis jamais laissée faire, déclare Chantal Baudoin. J’ai été une des premières filles diplômée de l’école d’agriculture Saint-Quentin, à Ciney. En 1984, on était deux sur plus de 60 élèves. Déjà là, je n’avais pas peur d’occuper la place. » Pendant longtemps, Anne Bedoret a elle aussi été considérée comme un ovni. « J’ai été éduquée en ayant une certaine confiance en moi. Mes parents n’ont jamais fait de distinction dans l’éducation des filles et des garçons. Grâce à ça, je ne me suis jamais dit que ma parole valait moins et je n’ai pas besoin de me conditionner pour m’exprimer devant des hommes. D’après moi, ce n’est pas une question de nature, mais d’éducation. »

Le manque de confiance en soi est en effet souvent attribué à la « nature » de la femme ou à son « caractère », alors qu’il s’agit bien plus du résultat d’une socialisation rarement questionnée. « Toute mon enfance, j’ai rêvé d’être un garçon car nous les filles, on faisait les tâches ingrates et mon frère – cadet – conduisait le tracteur, se souvient Elsa. Quand mes parents ont transmis, ils l’ont pris comme successeur alors qu’il n’était pas fait pour ça. Ma sœur et moi n’avons jamais été intégrées dans la discussion : mes parents ont dit que nous n’avions rien à voir là-dedans. Et quand je me suis installée de mon côté, ils ont refusé de m’aider car la transmission, c’est de père en fils. Aujourd’hui, mon frère a arrêté la ferme familiale, et mes parents continuent à dire que je n’ai pas de vraie ferme alors que je suis sur 68 hectares. Donc oui, dans mon vocabulaire, je suis assez virulente, mais on se demande d’où ça peut bien venir… »

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Enceinte de six mois, Vanessa Martin est agricultrice à titre principal et membre du CA du syndicat agricole de la Fugea. Elle reconnaît qu’il est difficile de concilier vie professionnelle, personnelle et syndicale. © Gaëlle Henkens

Se comporter « comme un homme »

À la Fugea, on dit défendre l’égalité femme-homme. Mais, comme à la FWA, il ne s’agit pas d’un sujet de discussion lors des réunions des comités directeurs. « Les droits des femmes ne sont pas spécialement bien défendus, c’est un problème. Cette question pourrait être transversale à toutes les autres actions menées, mais aujourd’hui, ce n’est pas le cas car il y a d’autres priorités et des dossiers plus « importants », malheureusement. Comme l’équipe est petite, on ne peut pas être sur tous les fronts. On n’aborde le sujet que si c’est un dossier sur la table des discussions des cabinets ministériels », regrette Vanessa Martin. Pour Marianne Streel, présidente de la FWA, ce n’est pas tant l’attitude des hommes à l’égard des femmes qui est la cause de leur absence, mais bien leur tendance à s’autocensurer. 

En ne s’attaquant pas à la racine du déséquilibre, les syndicats agricoles wallons peinent à se saisir des enjeux liés à l’absence des femmes dans les instances dirigeantes. « Le stéréotype de la personne de pouvoir est identique à celui de l’homme (force, compétition, prise de décision, logique), alors qu’on associe le souci pour l’autre, la collaboration, la coopération – bref, tout le contraire – aux femmes », décrit Annalisa Casini. 

Conséquence : certaines femmes vont adopter, dans ces lieux, des comportements maladroitement appelés « masculins ». « J’ai tendance à m’emporter et à parler fort, avoue Elsa. Je suis toute rouge et stressée car ils ne m’écoutent pas et ont l’art de répondre brutalement. Je me mets la pression sans qu’ils aient besoin de faire grand-chose. Par contre, quand je vais à un cours de poterie, je n’ai pas ce comportement car je ne me sens pas obligée de prouver quelque chose. » 

« Une fois que vous décidez de jouer au foot, vous devez adopter les règles. Sinon, vous n’êtes pas en train de jouer au foot. Si vous prenez le ballon avec les mains, l’arbitre va vous éjecter directement, illustre Annalisa Casini. Ici, c’est la même chose : si vous débarquez en faisant profil bas, en étant modeste et en vous intéressant aux besoins des autres, vous n’obtiendrez jamais gain de cause. Les femmes se comportent comme ça parce que ce sont les règles du jeu et pas parce qu’elles se prennent pour des hommes. »

En Wallonie, c’est la première fois qu’une femme préside le syndicat majoritaire, la FWA. Un certain nombre d’agricultrices sont pourtant loin d’être convaincues que cela se traduira par une meilleure considération des droits des femmes. « Elle ne revendique pas son progressisme sur ces questions, estime une agricultrice du Condroz. Je ne crois pas qu’elle soit sensible au sexisme et au patriarcat. Elle n’est pas plus féministe qu’un homme. » 

Si la présence d’une femme à un poste de présidente permet de servir de modèle, cela n’est pas suffisant pour créer un changement social. Encore faut-il une volonté d’obtenir l’égalité, ce qui nécessite une remise en question du système. Sans cela, « il peut y avoir des « personnes alibi » que le système va utiliser pour dire qu’il n’y a pas d’injustice puisqu’individuellement, elles y arrivent, éclaire Annalisa Casini. Du coup, les femmes vont plutôt s’engager dans des démarches individuelles. Or, elles sont très coûteuses car il est compliqué de lutter seule contre un système. Barack Obama était une personne alibi parfaite. Durant ses mandats, les personnes noires n’ont pas eu envie de se rassembler pour mener un combat collectif, contrairement à ce qu’il s’est passé sous Donald Trump. »

Quand Marianne Streel affirme que « quand elles veulent, elles peuvent »[9], elle défend, peut-être sans le vouloir, une vision qui participe à la justification du bien-fondé d’un système inégalitaire. Une aubaine pour le groupe dominant. « Au prix de céder une toute petite partie de son pouvoir, il garde la mainmise sur le système », note la chercheuse en psychologie.

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Vanessa Martin regrette que les droits des femmes agricultrices ne sont pas bien défendus : « On n’aborde le sujet que si c’est un dossier sur la table des discussions des cabinets ministériels ». © Gaelle Henkens

L’égalité pour toutes 

Certaines femmes qui arrivent en position de pouvoir traitent sévèrement leurs consœurs qui tenteraient de faire une percée dans le milieu. C’est le syndrome de la reine abeille : « Il est question de gagner en légitimité vis-à-vis de ses pairs masculins. Le fait de se comporter comme un homme rend les femmes crédibles. Elles doivent montrer qu’elles peuvent y arriver aussi. »

Une attitude que réprouve vigoureusement la présidente de la FWA. « J’encourage celles qui hésitent et je leur dis qu’il faut se présenter. Dans certains CA où j’étais la seule femme et où les hommes prolongeaient encore et encore leurs mandats, je leur ai demandé quand les femmes allaient pouvoir arriver, s’ils restaient là. On m’a répondu : « Comme tu es la seule femme, tu es chouchoutée, mais tu verras quand d’autres arriveront, tu le seras beaucoup moins ». J’ai répondu que ce n’était absolument pas un souci. Ça n’a pas marché avec moi », sourit Marianne Streel. 

Anne-Catherine Dalcq, agricultrice en reprise et vice-présidente à la fois de la Fédération des jeunes agriculteurs et du CEJA[10], constate du changement parmi les agricultrices de sa génération. « Quand je regarde les filles aux réunions de la FJA, j’en vois bien une ou deux monter dans le bureau. C’est une question de temps. Au niveau européen, le bureau est composé de trois filles sur cinq membres. Et ça s’est fait naturellement, on n’a rien forcé. » Sans doute que le plafond de verre, sous pression, est en train de se fissurer, notamment grâce à l’héritage des aînées. 

Longtemps isolées et oubliées du monde syndical, de la recherche et même des mouvements féministes, les agricultrices expriment peu de revendications collectives. La lutte contre les discriminations dont elles sont victimes doit être inscrite à l’agenda politique car elle ne peut être traitée qu’à l’échelle d’un groupe. Ce n’est pas aux femmes de négocier l’égalité au cas par cas, chacune dans leur coin. Pour qu’à l’avenir, elles ne doivent plus se contenter d’un bouquet de fleurs pour seule reconnaissance. 


[1] Tiré d’un article du journal Vlan, « 37 ans de dévouement au sein du Comice », du 11 février 2019.

[2] La Fugea fait partie des membres fondateurs de Tchak! Astrid Ayral siège au comité de rédaction et est coprésidente de la coopérative. Ces différents mandats n’entravent en rien la liberté éditoriale des journalistes de Tchak, garantie par notre charte éditoriale et le respect du code de déontologie journalistique.

[3] FWA, FJA, Fugea, Unab, MIG, ABW, Laiterie des Ardennes, Scam, Faircoop, Milcobel, En direct de mon élevage, Arsia, Elevéo, Awé groupe,Herd-book blonde d’Aquitaine, Collège des producteurs. 

[4] Tiré d’un article du magazine Axelle, « Marianne Streel, la clé des champs », de juillet-août 2019.

[5] Prénom d’emprunt.

[6] Prénom d’emprunt.

[7] Cécile Guillaume, Sophie Pochic et Rachel Silvera, « Dans les syndicats : du volontarisme à la contrainte légale », Revue Travail, genre et sociétés, 2015/2, no 34, pp. 193-198.

[8] Prénom d’emprunt. 

[9] Tiré d’un article de la RTBF, « Quel avenir pour les femmes agricultrices ? », du 6 septembre 2017.

[10] Mouvement des jeunes agriculteurs à l’échelon européen.

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