En Espagne, à Cartagena, le site pollué de Potasas émet du radon ainsi que des particules de métaux lourds et éléments radioactifs en direction des zones résidentielles. @Pierre Vanneste

Engrais phosphatés : aller-retour en zones contaminées

Ci-dessous, en préambule de notre nouvelle enquête internationale «Engrais phosphatés: la mémoire dans la peau», ce texte signé par les journalistes Laurence Grun et Pierre Vanneste (Nuit Noire Production). Il déroule le fil conducteur d’un travail de terrain qui a duré plus de deux ans.

Le sable, comme compacté en une épaisse couche de sel, craquait sous le poids de nos pas. À mesure que nous nous rapprochions du sommet de la montagne de phosphogypse, l’odeur acide qui imprégnait la ville de Darou Khoudoss se faisait de plus en plus forte. Dissimulées derrière, trois cheminées emmêlées de tuyaux rouillés nous faisaient face, tandis que le compteur Geiger prêté par la Criirad nous alertait de la présence d’éléments radioactifs.

Au Sénégal, il n’existe pratiquement aucune information publique sur l’industrie du phosphate et ses impacts. Rien qui ne laisse véritablement présager un risque sanitaire et environnemental. Pourtant, les habitants se plaignent de maladies respiratoires aiguës, d’asthme, de cultures brûlées par les fumées ou de nappes d’eau acidifiées. Les industries, quant à elles, parlent de mauvaise hygiène de vie, de rejets sans danger ou d’accidents de parcours exceptionnels.

Laurence Grun

Pierre Vanneste

Une cohabitation avec des déchets chimiques abandonnés

Pour faire ressortir le caractère global et systémique de l’impact de l’industrie du phosphate, nous nous sommes rendus dans d’autres régions du monde (Gafsa, Gabès, Murcie, Andalousie, Normandie, Hauts-de-France, Flandre et Wallonie), sur une période de trois ans. Chacun de ces endroits témoigne des mêmes mécanismes à l’œuvre, et surtout d’une activité industrielle qui se déplace au gré des législations, soulevant la question du devenir des territoires, partout où elle s’est implantée.

Ici, pas de grandes explosions pour attirer l’attention du public. Alors qu’un monde s’est substitué à un autre, redessinant les contours du vivant, s’installe une cohabitation avec les déchets chimiques abandonnés.

Comment exposer une pollution du quotidien que chacun a cessé de voir et de percevoir ? La représentation de l’empreinte de nos sociétés sur le vivant est aujourd’hui comme cristallisée au travers de grandes catastrophes environnementales, de fumées noires de cheminées ou de moments de bascule (incendies, inondations, marées noires, etc.).

Derrière cette iconographie, la difficulté réside dans la manière de donner à voir et à penser la complexité de la pollution. Celle d’une pollution diffuse, imperceptible et au caractère finalement ordinaire.

Les mémoire s’érodent

Au fil de nos rencontres et de nos recherches, nous nous sommes rendu compte que ce n’était pas tant le savoir environnemental, médical et juridique sur le caractère toxique de cette industrie qui manquait, mais bien une mise en dialogue et une mémorisation des vécus. Car avec le temps, les mémoires s’érodent et les déchets industriels, invisibilisés dans le paysage, tombent peu à peu dans l’oubli.

Cette enquête sur les impacts de la fabrication des engrais phosphatés est publiée dans le numéro 19 de Tchak (automne 2024)


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