Les vergers à hautes tiges ont de nombreux atouts
99 % des vergers à hautes tiges wallons ont disparu entre 1950 et le début des années 2000. Une destruction qui a entraîné la disparition de milliers de variétés. @Philippe Lavandy

Vergers : un paysage remodelé après la guerre

99 % des vergers à hautes tiges wallons ont disparu entre 1950 et le début des années 2000. Une destruction qui a entraîné la disparition de milliers de variétés. À l’origine, une logique de rendement qui a remodelé nos paysages. Pourtant, les vergers à hautes tiges présentent des avantages indéniables.

Céline Jeanmart, correspondante | cjeanmart@gmail.com

« Au début du siècle dernier, les vergers à hautes tiges comptaient plus de 2 500 variétés de pommes, alors qu’aujourd’hui, la production en basses tiges en compte à peine une quinzaine… »

Le constat est dressé par Jacques Delhez, apiculteur, producteur de fruits mais aussi et surtout collectionneur de variétés anciennes de pommes, poires et cerises. Il exploite un verger à hautes tiges d’environ 160 arbres sur 3 hectares dans la région de Verviers.

Autres caractéristiques de ce type d’arbre fruitier : « Une diversité propre à chaque région et des espèces sélectionnées au fil des générations pour leur tolérance et leur résistance. »

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Malgré ces atouts, 99 % des vergers à hautes tiges wallons ont, selon Diversifruits, disparu entre 1950 et 2000. Une évolution liée au contexte économique à la sortie de la Seconde Guerre mondiale. « Le premier plan Marshall États-Unis-Europe avait pour objectif d’industrialiser l’agriculture pour nourrir le monde et booster l’économie », explique Eva Velghe, de l’association.

L’outil pour amorcer la pompe ? Le remembrement rural, qui via le regroupement des petites fermes, a favorisé la création de grandes exploitations agricoles propices à la mécanisation et à la monoculture. « Dans cette optique, l’État belge a financé la destruction des bocages, des haies, des parcelles agricoles de petites surfaces ; celles-là mêmes qui abritaient les vergers », observe Benjamin Cerisier, de l’association Diversifruits.

Une destruction des vergers qui s’intensifie dans les années 1960-1970. Par la suite, les chocs pétroliers accélérèrent encore l’abattage d’arbres pour en faire… du bois de chauffage. Jusqu’à aujourd’hui, où « on continue encore toujours d’arracher des arbres à hautes tiges ».

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Vergers: des variétés provenant des États-Unis et d’Angleterre

Retour à l’après-guerre. Recherche du rendement oblige, des variétés à basses tiges en provenance des États-Unis et d’Angleterre sont introduites dans nos régions pour produire pommes, poires et cerises. Caractéristiques : un temps de mise à fruits très court (2 à 3 ans, contre 8 à 10 ans pour les hautes tiges) ; une forte augmentation de la productivité (20 à 40 tonnes de fruits/ha contre 7 à 15 tonnes de fruits/ha en hautes tiges) ; une facilité de récolte ; etc.

« Pour les agriculteurs qui se lançaient dans la production de vergers à basses tiges, c’était une évolution moderne ; d’ailleurs, ceux qui redoutaient la cueillette en hauteur et ses risques mortels ne voulaient pas retourner aux hautes tiges », raconte Jean Van De Put, ancien responsable des achats de produits frais pour Delhaize et fin connaisseur des hautes tiges.

« Cette révolution verte était une décision politique »

Une évolution sociétale dans laquelle tous les acteurs de la filière se sont engouffrés sans se poser de questions. « On était dans une logique où il fallait tout maîtriser et produire beaucoup, poursuit le spécialiste. Les agriculteurs, les centres de recherches agricoles, la grande distribution… Tout le monde allait dans le même sens. Et tout était permis pour y arriver. »

De là à dire que la grande distribution porte l’unique responsabilité du remodelage du paysage horticole, il y a un pas. 

« Ce n’est pas elle qui, à la base, a engendré ce changement et cette volonté de produire à faible coût, nuance Benjamin Cerisier. Cette révolution verte était une décision politique, pas commerciale, même si les multinationales s’en sont frotté les mains. Elle a clairement participé au développement de l’agro-industrie et a créé des verrous qui rendent plus compliquée l’existence d’autres modèles de production. »

200 hectares seulement de vergers à hautes tiges

Aujourd’hui, impossible de dire avec exactitude combien d’arbres ou d’hectares de hautes tiges il reste. « Ces vergers ne sont plus considérés comme une production, il n’y a donc plus d’outils de suivi de culture, ni de recensements officiels,pointe Eva Velghe. D’ailleurs, ils ne sont plus déclarés comme tel au niveau de la politique agricole commune. »

Le dernier recensement officiel date de 1989 et dénombre à peine 1.700 hectares de vergers à hautes tiges contre plus de 71.300 en 1943. Plus récemment, Diversifruits a tenté une estimation sur la base des primes MAEC et de l’inventaire des Parcs naturels. Résultat ? L’association a évalué à 200 hectares la surface consacrée aux fruitiers à hautes tiges, contre quelque 17.000 hectares de terres consacrées à la production en basses tiges.

Cueilleuse de pommes dans un verger à hautes tiges.
99 % des vergers à hautes tiges wallons ont disparu entre 1950 et le début des années 2000. Une destruction qui a entraîné la disparition de milliers de variétés. @Philippe Lavandy

Plus résistants et plus tolérants

Force est de reconnaître que le verger à basses tiges présente des avantages indéniables : facilité de production, meilleure rentabilité, moindres risques physiques, etc. Mais les arbres à hautes tiges devancent leurs homologues de petite taille dans bien d’autres domaines.

D’abord, ils sont plus résistants et plus tolérants« Cela signifie que les arbres peuvent produire des fruits en quantité et en qualité malgré les maladies et les aléas climatiques, expliquent Eva Velghe et Benjamin Cerisier. Et qu’il ne faut pas les traiter ou les pulvériser. »

Un avantage certain pour les consommateurs, car sur le plan phytosanitaire, les vergers à basses tiges font partie des cultures les plus traitées en Belgique : 45,08 kg de substances actives par hectare (chiffres 2017, agriculture biologique exclue).

Une durée de vie plus importante

Autre qualité des vergers à hautes tiges : « Un système racinaire plus vaste et plus profond leur permettant d’être autonomes pour leurs besoins en eau et en nutriments, qu’ils peuvent puiser profondément dans le sous-sol. Ils résistent donc mieux à la sécheresse et ne nécessitent que très peu d’engrais. »[1]

Une absence de traitement qui permet d’éviter une utilisation accrue d’engins agricoles, donc des économies de carburant et une absence de compaction des sols. Par ailleurs, les fruitiers à hautes tiges ont une durée de vie plus importante (80 à 120 ans, contre 25 à 30 ans pour les basses tiges). « Cela leur permet d’être des centres de pompage et de stockage de carbone plus importants », pointent Eva Velghe et Benjamin Cerisier.

Enfin, ils constituent de meilleurs lieux de refuge pour la biodiversité et les insectes butineurs. En filigrane, le développement d’un écosystème qui évite de recourir à des produits phytopharmaceutiques. « Ils participent également au bien-être animal en fournissant de l’ombre au bétail qui est sur la pâture, ajoutent les deux experts. Et ils présentent un intérêt paysager et du bocage où la haie reprend ses fonctions de brise-vent. »

Uniquement en activité de diversification

Paradoxe : les vergers à hautes tiges ne sont, pour l’heure, viables économiquement qu’en activité de diversification. Un modèle par essence destiné au circuit court.

Principal écueil : le temps ; celui pour obtenir les premiers fruits, celui pour l’entretien des arbres, celui pour une cueillette en hauteur. Bref, le verger à hautes tiges s’inscrit dans « une autre échelle, celui du long terme ».

« Le temps est la principale difficulté, confirme Cédric Guillaume, de la Cidrerie du Condroz. La cueillette des fruits en hauteur reste lente, difficile et dangereuse. Et contrairement aux basses tiges où on récolte tous les fruits en une fois, la récolte des fruits de vergers à hautes tiges se fait en plusieurs temps en fonction de leur maturité. »

Quand bien même : depuis plus de dix ans, cet horticulteur propose ses services à des agriculteurs ou à des particuliers pour la plantation et l’entretien de vergers à hautes tiges ; et depuis cinq ans, il exploite son propre verger sur 8 hectares. C’est d’ailleurs en constatant que beaucoup de fruits tombés au pied des arbres à hautes tiges n’étaient pas utilisés qu’il a décidé de créer la Cidrerie du Condroz.

Des directives de sécurité très strictes

« Les principales difficultés résident dans l’entretien du verger », assure également Jacques Delhez. L’homme est apiculteur, producteur de fruits mais aussi et surtout collectionneur de variétés anciennes de pommes, poires et cerises. Il exploite un verger à hautes tiges d’environ 160 arbres sur 3 hectares dans la région de Verviers. « Cela demande beaucoup du temps, notamment dans la cueillette, car les directives de sécurité sont très strictes. »

Même son de cloche, enfin, chez Christine Delcroix, qui exploite une ferme laitière en conversion bio dans la région de Leuze-en-Hainaut. Si elle a décidé de planter une centaine d’arbres à hautes tiges, c’est avant tout pour donner de l’ombre à ses bêtes. Pas simple, cependant, de se lancer : « Planter un verger à hautes tiges nécessite des connaissances techniques en termes de variétés et de greffes. Et puis il y a la taille et l’entretien, qui sont chronophages. Il faut plusieurs années avant de récolter les premiers fruits. »

Pommes provenant d'un verger à hautes tiges.
@ Philippe Lavandy

Se poser les bonnes questions

Alors ? Comment les consommateurs peuvent-ils agir et favoriser la relance de cette filière de vergers à hautes tiges ?

« Le consommateur doit se poser des questions, observent Eva Velghe et Benjamin Cerisier. D’où viennent les fruits que je mange ? Comment ont-ils été produits ? Puis passer à l’action : se tourner vers des producteurs locaux ou soutenir des projets qui se construisent près de chez eux. Avoir envie de goûter d’anciennes variétés. Il faut aussi accepter de payer le prix, tout en restant critique. »

Il faut, surtout, accepter de revenir en arrière. Pas simple. « Le consommateur a progressivement été éduqué à vouloir un “beau” fruit, toujours le même, explique Jean Van De Put. D’où l’importance d’un processus d’information, d’éducation, de sensibilisation pour expliquer que même si le fruit est nettement moins beau, il est tout à fait comestible, voire même plus goûteux. C’est le rôle des pouvoirs publics. ».■

Primes octroyées aux agriculteurs qui mettent en place des mesures agro-environnementales et climatiques (MAEC)

Grande distribution : « Une pression énorme sur les producteurs »

Selon Olivier Warnier, du Centre fruitier wallon, 80 % des fruits sont captés par la grande distribution (60 % en criées et 40 % à des groupements de producteurs ou à des grossistes). Seulement 5 % des fruits partent en vente directe.

« La grande distribution met une pression énorme sur les producteurs en termes de quantités, de prix et de qualité,explique le spécialiste. Elle est maître des prix, surtout pour des produits périssables. »

La méthode ? « La grande distribution dit : “Je veux 200 tonnes de Jonagold de telle qualité” ; les producteurs remettent alors une offre, raconte Olivier Warnier. Elle décide de se fournir à 60 % chez le producteur le moins cher, 30 % sur le 2emoins cher et 10 % sur le 3e moins cher. Elle garde plusieurs producteurs sous le coude. La vente suivante, si un producteur n’est pas repris dans ces trois premiers, il remettra un prix plus bas pour être certain de pouvoir écouler ses fruits. »

Un « mal nécessaire » qui, selon l’expert, permet aux producteurs d’écouler leurs quantités de fruits périssables. Enfin, certains seulement.

La beauté au détriment du goût

Comment la grande distribution sélectionne-t-elle les fruits ? Pour Benjamin Cerisier, de l’association Diversifruits, il n’y a pas photo : « Les nouvelles variétés de fruits en basses tiges ont été sélectionnées sur la base de trois critères : l’esthétique du fruit, le rendement à la production et leur capacité à être transportées sur de longues distances. Leurs qualités gustatives et leur capacité de conservation en cave n’ont pas été prises en compte. »

Un constat partagé par Jean Van De Put, responsable des achats de produits frais chez Delhaize durant vingt ans : « La grande distribution voulait un fruit à l’aspect irréprochable, avec très peu de variabilité dans le calibre. »

À cet égard, une anecdote rapportée par Eva Velghe, de Diversifruits, questionne nos modes de production tout en mettant en lumière le verrouillage auquel la production de fruits est confrontée : « Une entreprise, qui gère des cantines au sein de collectivités, souhaitait travailler avec des petits producteurs locaux de pommes. Elle a toutefois soulevé un problème : les pommes ne pouvaient pas dépasser un certain diamètre, sinon elles ne passaient pas entre deux plateaux superposés dans les chariots de distribution des repas ! »

À noter, encore : le marché du fruit est également européen et alimenté, notamment, par des fruits qui viennent de Pologne ou du sud de l’Europe. De quoi donner à la grande distribution des moyens de pression supplémentaires sur les producteurs.