Certification bio
Certisys est le plus gros des quatre certificateurs bio agréé en Wallonie.

Certisys et certification bio : « Une machine à fric »

D’un côté, Olivier, artisan bio. De l’autre, Franck Brasseur, patron de Certisys. Au milieu, les plantureux bénéfices du numéro 1 de la certification bio. Un marché qui rapporte gros, en témoigne aussi la santé financière des autres opérateurs de contrôle. Sur le terrain, la révolte gronde. Marre de jouer les cochons payeurs alors que les petits acteurs du bio trinquent. Et vent d’espoir.    

Yves Raisiere, journaliste | yrai@tchak.be

« Oui, je suis en colère! J’ai vraiment un sentiment d’injustice, celui de devoir payer pour prouver que je fais bien mon travail, pour montrer à mes clients que je lave plus blanc que blanc. De qui se moque-t-on?» 

Olivier (prénom d’emprunt), artisan-boulanger en région liégeoise, nous reçoit dans son arrière-boutique, une pièce aussi serrée que sa gorge. Ras-le-bol de la certification bio et des milliers d’euros à lâcher chaque année pour obtenir le droit d’afficher un label. Même la pénombre ne suffit pas à cacher son exaspération. Soupir, puis une frappe au lance-pierre : «L’opérateur qui nous contrôle est devenu une pompe à fric ». 

La cible ? Certisys, le plus important des quatre certificateurs bio agréés en Région wallonne. Un pionnier qui, depuis sa création en 1991, a étendu son expertise à des filières autres que l’alimentaire : cosmétiques, détergents, intrants, tant sur le Benelux qu’à l’international. C’est dire si l’attaque n’effraie pas Franck Brasseur, son directeur général. « Ce n’est pas nous qui déterminons les prix de la certification, relève-t-il calmement. C’est un arrêté du gouvernement wallon qui en fixe les montants minimaux et maximaux. Tous les éléments tarifaires sont dedans. »

+ Ce dossier est à la une du nouveau numéro de Tchak (printemps 2023).

David contre Goliath?

Olivier contre Certisys, ou l’éternelle histoire de David contre Goliath ? Il y a un peu de ça. Pas de pellicule de farine dans les locaux du siège social du certificateur, à Bolinne, près d’Éghezée, pas de parfum de levain ; plutôt des rapports d’audit, des cahiers des charges et une odeur de rigueur. Pourtant, d’un côté comme de l’autre, une même profession de foi : celle de bien faire le job, depuis toujours. 

« Nous avons été parmi les premiers à passer en certification bio, se souvient Olivier. On sortait de plusieurs grands scandales alimentaires, et on voulait que le client puisse être en confiance quand il passait la porte de notre magasin. »

«Nous avons été les pionniers de la certification bio en Belgique, et le premier organisme à être accrédité, rappelle Franck Brasseur. Pour nous, la première garantie pour un consommateur, c’est la confiance qu’il peut avoir dans l’étiquetage.» 

«C’est indécent de se sucrer ainsi»

Entre ces deux-là, le donnant-donnant aurait pu rester équilibré, n’eussent été, des années plus tard, les bénéfices nets affichés par Certisys dans ses comptes annuels : 547.000 euros en 2019, 665.000 euros en 2020 et 658.000 euros en 2021 (voir infographie ci-dessous). En d’autres mots, du cash engrangé après déduction des charges de personnel, des impôts et des taxes. Par les temps qui courent, de quoi mettre plus que du beurre dans les épinards.

« C’est indécent de se sucrer ainsi sur le travail des paysans, des artisans, rage Olivier, lorsqu’il découvre ces chiffres. Je ne peux pas accepter qu’un gars en costume-cravate ait la belle vie sur mon dos, alors que je démarre à trois heures du matin. Ça ne peut pas se passer à sens unique ! »

Nous avions contacté l’artisan la veille. Un seul coup de fil avait suffi pour décrocher le rendez-vous. Les jours précédents, son courroux sourdait, la rumeur le disait prêt à monter aux barricades. Sur place, passé la grisaille du matin et la porte, surprise : un professionnel passionné, un entrepreneur dans l’âme, une boule d’énergie que rien n’aurait dû atteindre. Ni le découragement ni l’amertume. Que s’était-il passé ?

«La goutte d’eau, c’est quand nous avons appris que notre nouveau point de vente allait être contrôlé alors que les pains vendus là sont cuits dans un atelier pour lequel nous payons déjà la certification, s’exclame Olivier. Avec, évidemment, de nouvelles factures à la clé. C’est déjà dur de garder le bateau à flots, et maintenant, on alourdit encore notre sac à dos? Aujourd’hui, la certification me coûte au bas mot 2.500 € par an. Ça suffit! Si tout ça ne s’arrange pas, je sortirai du système.»

« C’est la première année où c’est difficile à ce point»

Une grogne qui serait en train de s’étendre. Pas de statistiques, mais des échos, surtout dans les filières de transformation et de vente. Ici un paysan meunier prêt à jouer les Don Quichotte, là-bas un abattoir sur le point de hacher menu un contrôleur, ailleurs une coopérative à deux doigts de sonner le tocsin…

« C’est la première année où c’est difficile à ce point-là, observe un spécialiste du secteur. Avant, même si c’était cher, tous les acteurs du bio étaient prêts à payer. Aujourd’hui, avec la crise et la chute du pouvoir d’achat, ce n’est plus le cas. »


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