Élections COLIBRI
Au feu, le colibri ? Non que la légende invitant chacun et chacune « à faire sa part » pour lutter contre l’incendie soit illusoire. Non que les alternatives proposées par de nombreux collectifs soient utopiques. Plutôt que la parabole taise une autre morale…
Édito | Yves Raisiere, journaliste
En Une du nouveau numéro de Tchak (printemps 2024), ce titre: L’effet colibri, ça suffit. Au boulot, les politiques !
Non que la légende invitant chacun et chacune « à faire sa part » pour lutter contre l’incendie soit illusoire. Non que les alternatives proposées par de nombreux collectifs soient utopiques. Plutôt que la parabole taise une autre morale : l’action individuelle, la force de l’exemplarité, les initiatives citoyennes ne suffisent pas, plus à bousculer des acteurs qui, eux, œuvrent au statu quo. La transition alimentaire patine, les inégalités, elles, s’accroissent ; et le monde agricole s’enflamme, une fois de plus, une fois encore.
À qui la faute ? Ces dernières semaines, on a tout entendu : insuffisance des rémunérations, carcan du Green Deal et de la politique agricole commune (PAC), errements des traités de libre-échange. On a tout vu, aussi : de très gros tracteurs manifester, des syndicats manger leurs anciens communiqués, des hommes et des femmes politiques se défausser. On a ragé, enfin : la principale réponse apportée a consisté à passer une marche arrière environnementale.
Ce coupe-feu n’empêchera pas l’embrasement, tant le monde agricole est, aujourd’hui, dépassé par l’ampleur de la crise. Il était une solution, il est devenu une partie du problème. Réchauffement climatique, déclin de la biodiversité, impacts sur la santé publique, destruction des filières locales au Sud… Autant d’urgences qui exigent la fin d’une équation purement économique : produire plus pour gagner plus, c’est terminé.
Affirmer que cette équation reflète une seule réalité serait toutefois une injure pour une partie des 12.600 fermes que compte la Wallonie. Les modèles s’y multiplient : agriculture conventionnelle, de conservation des sols, biologique, intensive, extensive ; exploitations classiques, familiales, collectives ou en coopératives ; filières en circuit long, semi-long, court, etc. Ajoutez-y les aléas d’un travail avec le vivant, la situation géographique, les coûts financiers. Le tout dessine une carte à géométrie extrêmement variable.

+++ Ce texte est publié en édito du 17° numéro de Tchak (printemps 2024). Une édition spéciale élections, à découvrir ici.
Le comble du cynisme
Bon an mal an, si un certain nombre d’agriculteurs et d’agricultrices restent sur l’autoroute et ses grands nœuds, de plus en plus choisissent (heureusement) de bifurquer. « Être agriculteur est un métier, tandis qu’être paysan est un mode de vie », nous affirmait Cédric Herrou, se risquant à pointer la différence : le second se sent davantage responsable de son bassin de vie et des autres. Un message universel qui masque une sacrée difficulté : au moment de basculer, les agriculteurs et les agricultrices sont souvent seul·es face à la prise de risque.
Marre, dès lors, d’entendre que chacun doit gentiment « faire sa part ». Devant les multinationales de l’agroalimentaire et de la grande distribution, qui abîment le monde et siphonnent l’argent public, ça suffit de miser uniquement sur l’individu. D’autant que la recette, comble du cynisme, nourrit le néolibéralisme. Suivez le guide : « Puisque les prises de consciences individuelles feront évoluer la demande des consommateurs, les modes de production finiront par devenir eux aussi plus vertueux. De collectif, de politique, de contraintes réglementaires, il n’est nul besoin : la loi du marché se charge de tout »[1].
Changer le rapport de force nécessite, dès lors, d’actionner d’autres leviers, bien plus systémiques. Ça tombe bien ! 2024 est une année particulière en Belgique, avec pas moins de cinq élections : communales, provinciales, régionales, fédérales et européennes. Un agenda qui permet les remises à zéro, raison pour laquelle nous avons imaginé ce numéro spécial. Nous étions loin d’imaginer qu’il allait arriver en plein brasier.
Au sommaire, neuf boulots dont le monde politique pourrait s’emparer. Certains concernent davantage les citoyens, d’autres le monde agricole, mais tous révèlent la fin d’un entre-soi : interdiction de la publicité pour la malbouffe, arrêt de la privatisation des terres publiques, gratuité et qualité des cantines scolaires, accès à une alimentation de qualité pour tous et toutes, autorisation du bénévolat dans les coopératives alimentaires de circuit court…
Autant de pavés dans la mare, autant d’exemples – parmi d’autres – pour souligner le besoin d’ancrer notre alimentation dans l’agroécologie et la justice sociale, de changer nos modes de gouvernance, de rééquilibrer les flux financiers. La nécessité de passer d’une politique de l’agriculture à une politique de l’alimentation.
Journalisme critique et optimiste
Ces pavés sont lancés par le comité d’orientation de Tchak, composé de ses 29 partenaires. Ce numéro n’a pourtant rien d’un vade-mecum exhaustif ou d’un plaidoyer. Il n’a pas, non plus, la prétention d’apporter une solution à tous les enjeux. Il décrypte juste neuf chantiers concrets. Tous sont réalisables, en tout ou en partie, en une législature. Tous réclament un engagement politique fort. Aucun ne permet de se déporter sur l’Europe.
Ces neuf chantiers, la rédaction les a investigués et documentés de manière critique. Ce numéro, c’est donc du journalisme à la fois engagé et déontologique. Un road book résolument optimiste aussi. La preuve par neuf qu’un système alimentaire plus robuste et plus durable est possible, pour peu que le monde politique s’inspire du vrai sens de la légende du colibri.
Ainsi, selon Patrick Fischmann, conteur et écrivain, l’histoire originelle ne porte pas un message humble et responsable. Dans celle-ci, ce n’est pas la forêt qui s’est embrasée mais l’Arbre de vie. Il n’est donc pas question de tiédeur, mais d’un appel à la radicalité et au courage, qui vise à provoquer l’envol des pélicans. Quitte… à se brûler les ailes.
Il s’agit plutôt d’un appel à la radicalité et au courage, quitte à se brûler les ailes. « La fable doit être restaurée pour faire rayonner sa puissance symbolique. L’idée qu’un pélican s’envole dès qu’un colibri s’éveille est l’appel à une résistance beaucoup plus torrentielle : celle dont nous avons tant besoin ! »[2]
Bifurquer vers un monde plus robuste est possible, à condition que les politiques prennent le relais et aillent au feu… C’est ce qu’on vous raconte dans ce nouveau numéro.
[1] Stéphane Foucart, « Crise écologique : l’idée qu’une somme de petites actions individuelles pourraient suffire est dangereuse », Le Monde, 20 juin 2020.
[2] Patrick Fischmann, « Et si le conte du colibri n’était pas gnan gnan », Reporterre, 23 octobre 2018.
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