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Agricovert, la coopérative qui valorise le bio équitable

Des producteurs qui perdent la main sur leurs prix et sont poussés à s’industrialiser, c’est un engrenage bien connu dans le monde agricole. Un engrenage qui s’étend désormais à l’agriculture biologique. Heureusement, un peu partout en Belgique, des producteurs et des points de vente font de la résistance. C’est le cas d’Agricovert. Depuis 10 ans, cette coopérative valorise le bio paysan à prix juste. Et cela marche !

Clémence Dumont – Journaliste / clemence@tchak.be  

Pia Monville, comme agricultrice, vous avez participé au lancement d’Agricovert. Aujourd’hui, vous en êtes la coordinatrice. Comment cette coopérative est-elle née ?

Ce projet est né de la volonté de plusieurs petits producteurs bio – des maraîchers et des éleveurs – en milieu rural. On se rendait compte qu’il y avait une attente des consommateurs dans les villes mais on n’était pas équipés pour les atteindre. On s’est regroupé pour mutualiser des savoirs, des outils et un circuit de commercialisation. À l’époque, à part Coprosain, de telles coopératives n’existaient pas. Dès qu’on a été assez nombreux, on a intégré des consommateurs dans la coopérative parce que, pour nous, il est primordial de recréer un lien entre le monde agricole et les consommateurs. 

Vous avez commencé par vendre via des points de dépôt dans le Brabant wallon, à Bruxelles et autour de Namur.

On a acheté deux grosses camionnettes et on a livré nos premiers paniers en 2010. En 2015, quand notre situation financière nous l’a permis et grâce à un subside de la Région wallonne, on a ouvert notre premier magasin à Gembloux. Ce comptoir nous permet d’atteindre un autre type de clientèle, de proposer des marchandises plus compliquées à transporter en camionnette ou encore de cuisiner nos invendus grâce à un service traiteur. Notre bâtiment héberge aussi un boulanger, une boucherie et un myciculteur. Par ailleurs, il y a les comptoirs à la ferme de nos producteurs qui se développent.

➡️ Cette interview publiée en accès libre est complémentaire à notre enquête sur le cri d’alarme des producteurs bio, à lire dans le numéro 4 de Tchak!.

Agricovert est souvent cité dans le monde paysan comme modèle de coopération. Chez vous, les plans de culture sont concertés, les producteurs se voient tous les mois pour s’échanger des conseils et ils ne se font pas concurrence.

Le milieu agricole est difficile. Il y a très peu de liens de confiance. On a voulu casser cela. On définit des prix justes tous ensemble. Et on fixe une marge différente pour chaque produit. Pour certains fruits ou légumes par exemple, on ne prend quasiment aucune marge car sinon ils seraient excessivement chers et ce serait trop compliqué à expliquer aux consommateurs. Mais tout est calculé pour que ce soit viable.

Les plus gros producteurs sont-ils avantagés par rapport aux plus petits ?

On ne travaillera jamais avec un agriculteur sur 200 hectares. Tous nos producteurs sont labellisés bio et ils s’engagent à respecter une charte plus exigeante que le cahier des charges bio. On soutient ceux qui s’engagent dans des pratiques plus respectueuses de la biodiversité. On a aussi un volet social : puisqu’on défend une rémunération équitable pour le producteur, on veut qu’il en aille de même pour sa main-d’œuvre, ce qui est rarement le cas. Cela étant, on sait bien que ce n’est pas rentable de faire des carottes ou des pommes de terre sur un hectare. Donc on s’organise pour que les plus petits maraîchers choisissent des variétés de carotte ou de pomme de terre qui se différencient de celles produites par les plus gros. Tout est discuté.

N’est-ce pas risqué pour les producteurs de s’adapter en fonction d’Agricovert ?

Au début, on avait la trouille que tout s’écroule. C’est pour cela que nos producteurs doivent s’engager à ne pas vendre à la coopérative plus de 40% de leur production. Un autre aspect, c’est qu’on s’entraide énormément grâce à l’échange de produits entre nous. Moi-même, avant je m’échinais à faire tous les légumes. Aujourd’hui, j’ai la vie beaucoup plus facile. J’ai arrêté les carottes et les pommes de terre et je revends celles d’autres producteurs d’Agricovert. Je connais leur philosophie, j’ai confiance en eux donc c’est comme si je les avais faites moi-même. Chacun choisit ce qui est le plus adapté à son sol. 

Agricovert ne se fournit jamais via des grossistes ?

Uniquement en dernier recours. On est attentifs aux demandes de nos consommateurs, qui n’ont pas envie de devoir faire quatre magasins différents pour leurs courses. Donc on vend des bananes qu’on achète à Interbio. On commande un peu à Vajra, un grossiste spécialisé dans les produits secs. Mais même pour tout ce qu’on ne produit pas ici, on privilégie les partenariats avec des coopératives à l’étranger qu’on connait. C’est le cas pour tous les produits méditerranéens (agrumes, avocats, huile d’olive, etc.). On travaille aussi avec Oxfam et Terra Etica. 

Et quand un produit n’est pas disponible, vous faites l’effort d’expliquer pourquoi à vos consommateurs.

Oui. Par exemple, en hiver et pendant les mises bas, il n’y a plus de fromage de chèvre. C’est normal. On ne vend pas non plus de tomates en hiver. On écoute les souhaits de nos mangeurs mais on ne veut pas reproduire les schémas d’abondance permanente du circuit agro-industriel.

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Depuis votre création, l’offre bio a explosé. Dans les supermarchés et dans les magasins bio. Comment vivez-vous cette concurrence ?

Au début, nos paniers se vendaient presque tout seuls. On est passé de 50 paniers par semaine en 2010 à 550 en 2015. Mais il y a deux-trois ans, avec le boom des magasins bio, les gens se sont lassés des paniers. Nos commandes ont chuté de 20%. Dans les magasins, ils trouvent tout ce qu’ils veulent tout de suite. Le problème, c’est que beaucoup de ces magasins surfent sur les valeurs que nous véhiculons avec un grand décalage entre la communication et les pratiques. Notre message a été brouillé. On a dû recommencer tout un travail de sensibilisation. Aujourd’hui, surtout depuis le confinement dû au covid, la situation est moins tendue. Les consommateurs commencent à comprendre.

Vous avez quand même dû fermer un magasin que vous aviez ouvert à Etterbeek, dans un espace partagé avec Oxfam.

Face à la concurrence d’enseignes comme The Barn et Färm, on n’était pas de taille. On a pu rediriger la clientèle vers notre stand au marché See U, dans les anciennes casernes d’Etterbeek.

Êtes-vous confiante pour l’avenir d’Agricovert ?

Je suis sereine, on parvient à s’adapter. Agricovert a fait ses preuves. On crée de l’emploi. On ne dépend plus ni de subsides ni de bénévoles. On doit régulièrement refuser d’intégrer de nouveaux producteurs parce qu’on ne peut pas apprendre à se connaître si on est trop nombreux. On va bientôt en accepter quelques nouveaux. Mais l’idéal serait d’avoir un maillage de coopératives sur tout le territoire, pour que chaque producteur puisse être accueilli. C’est un peu ce qui se fait avec le développement des ceintures alimentaires.

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Une coopérative sans but lucratif

Agricovert est une coopérative agréée par le Conseil national de la coopération (CNC). Cet agrément garantit l’absence d’associé dominant et de but spéculatif. Elle est aussi labellisée « Fairfin » et membre de la Fédération belge du commerce équitable. Sa finalité est la défense d’une agriculture paysanne, sociale et écologique. 

La société réunit une trentaine de producteurs et 1000 consommateurs, avec un conseil d’administration composé paritairement de producteurs et de consommateurs. Pour son équipe permanente, actuellement composée de 12 équivalents temps plein, elle privilégie les personnes éloignées du marché de l’emploi. Il n’est pas obligatoire d’être membre de la coopérative pour en être client, ni de s’engager à acheter chaque semaine.