Face au déclin des fermes familiales, sombrer dans le défaitisme n’est pas une option pour François Berrou. Ce Français, élu maire de Bourgneuf-la-Forêt dans les Pays de la Loire en mai dernier, anime des formations sur la transmission des fermes. Il nous explique comment, grâce à la parole, on peut contrer les tendances.
Clémence Dumont, journaliste | clemence@tchak.be
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François Berrou, vous êtes l’un des formateurs de l’AFOC 53, une organisation active dans le département de la Mayenne dont l’objectif est de favoriser l’autonomie de décision des agriculteurs et agricultrices[1]. Face à raréfaction des fermes, ce serait à eux de se prendre en main ?
Oui, entre autres. Même si personne n’a toutes les cartes en main, on pense que l’avenir dépend de chacun de nous. Notre approche est centrée sur l’humain. Ce qui nous importe, c’est comment les agriculteurs se saisissent de leur histoire, des questions qui les concernent. Pour que chacun puisse construire sans se laisser écraser, on mise beaucoup sur le collectif : en discutant entre pairs, en confiance. La transmission des fermes est un enjeu majeur. En France, on est à environ une installation pour trois départs. Le pire serait de ne rien faire.
Cela signifie qu’énormément de terres agricoles sont soit rachetées par de grosses exploitations qui ont les moyens de grandir, soit ne sont plus dévolues à l’agriculture. Que peuvent faire les agriculteurs pour éviter ces deux scénarios ?
Anticiper. Cela permet trois choses : préparer son départ, recruter des repreneurs potentiels et ne pas rester seul. Pour faciliter cette démarche, cela fait une dizaine d’années qu’on propose une formation répartie sur 10 jours avec des exposés, des témoignages, un suivi individualisé et surtout énormément de temps de discussion entre les participants. À la fin, on s’aperçoit souvent que ce qui semblait impossible ne l’est plus.
Avez-vous du recul sur l’efficacité de cette formation ?
Parmi les fermes de nos adhérents partis à la retraite, deux sur trois sont reprises, contre une sur quatre dans l’ensemble du département. Il n’y a pas que la formation qui joue, mais elle a vraisemblablement un effet.
Diriez-vous que, lors d’une transmission, les difficultés relationnelles sont prépondérantes par rapport aux difficultés techniques (juridiques, fiscales, comptables, …) ?
Oui, les aspects humains sont prioritaires. Mais les questions juridiques ou fiscales sont une porte d’entrée pour les aborder. Chez nous, les exposés techniques représentent 30 à 40 % du temps. Ces exposés vont ouvrir des discussions, des échanges, … Tout est relié.
Enquête | Transmission des fermes: les anciens à la croisée des chemins
Trop souvent, les agriculteurs n’osent pas parler ouvertement de l’avenir de leur ferme.
Dès qu’on sort du cadre familial, on observe deux obstacles. Le premier, presque implicite, c’est de se dire : « Comment une ferme qui n’intéresse aucun de mes enfants pourrait-elle intéresser quelqu’un ? » Le second, c’est la peur que celui qui viendra après ne réussisse pas. Les agriculteurs doivent accepter qu’ils ne sont pas responsables de ce qui arrivera au suivant. Pour lever ces obstacles, il faut en discuter, écouter d’autres témoigner. Quitter sa ferme, c’est comme se détacher de ses enfants…
Justement, n’essayez-vous pas de favoriser les transmissions au sein du cadre familial ?
Pas particulièrement. Quand une ferme est dans la même famille depuis plusieurs générations, celui qui arrive au bout de la chaîne a souvent un gros travail à faire pour ne pas se sentir coupable. Alors qu’en fait, ce n’est pas un problème que des enfants ne veuillent pas faire la même chose que leurs parents. C’est un problème si personne ne veut ou ne peut devenir agriculteur.
Les transmissions intrafamiliales sont-elles tout de même plus faciles à gérer ?
Pas nécessairement. Qu’on soit dans un cadre familial ou non, le nœud reste de définir ce à quoi on tient le plus, ce qui est non négociable (même si ça peut évoluer). La question de comment on prend les enfants en compte se pose de toute manière. Certains sont plus attachés à la ferme que leurs parents ! Parfois, il y a encore des grands-parents. Lors de nos formations, on passe du temps à lister toutes les personnes concernées par la transmission. Il n’y a pas que le cédant et le repreneur : il y a l’entourage, les éventuels propriétaires des terres, etc.
Il arrive par ailleurs que des enfants n’osent pas manifester leur intérêt à une reprise à cause de désaccords sur l’orientation de la ferme.
Dans nos groupes, près d’un agriculteur sur 10 pense à tort que personne dans sa famille n’est intéressé par sa ferme. L’un a mis trois jours pour être convaincu de l’utilité de poser la question formellement. Il est revenu en nous racontant combien il était tombé de sa chaise : son gendre était prêt à reprendre sa ferme. Celui-ci ne le lui avait jamais avoué de peur qu’il le traite d’incapable.
Certaines fermes ont-elles moins de chances que d’autres de trouver un repreneur ?
Pas vraiment. En tout cas, il n’existe pas de ferme en soi intransmissible. Mon département a financé des études pour classer les fermes selon leurs chances d’être reprises, dans le but de cibler les mieux loties. Ce travail-là n’a rien donné : les pronostics n’étaient pas avérés. Certains pensent qu’il vaut mieux ne pas trop investir à la fin de sa carrière pour que le capital ne soit pas trop lourd à reprendre. D’autres disent à l’inverse que personne ne voudrait d’une ferme à l’abandon. En fait, les deux approches se valent. On entend aussi régulièrement des agriculteurs affirmer que leur ferme est trop petite pour être transmise. Or je vois beaucoup de petites fermes qui sont réinvesties et des fermes plus grosses dont les terres se font manger par une exploitation qui veut continuer à grandir.
Néanmoins, la taille moyenne des fermes continue à augmenter.
C’est vrai, mais les écarts-types s’accroissent. Cela signifie qu’il y a de plus en plus de diversité dans les profils de fermes. Je ne nie pas les tendances. Le problème, c’est qu’elles ne disent rien des cas individuels et ne valent que jusqu’au moment où elles changent. Sur le terrain, ce qui va faire la différence, c’est comment l’agriculteur parle de sa ferme, comment il se la représente et comment il envisage sa vie « après ». Cela va l’aider à profiler des repreneurs. C’est pour cela que lors des formations, on travaille beaucoup sur comment « diagnostiquer » sa ferme.
Sur la base de quels critères établissez-vous ces diagnostics ?
Contrairement à d’autres structures de conseil, on préfère que ce soit l’agriculteur qui s’auto-diagnostique. Une autre différence avec ce qui se fait ailleurs, c’est que le but est d’identifier les caractéristiques de la ferme plutôt que de lister ses points forts et ses points faibles.
Que voulez-vous dire ?
Je vais vous donner un exemple. Un agriculteur est venu chez nous en nous disant que sa ferme serait extrêmement compliquée à transmettre en raison de la localisation de ses bâtiments d’élevage à côté de plusieurs maisons. Finalement, il a trouvé des repreneurs qui avaient envie de vivre proches d’autres lieux d’habitation malgré les inconvénients. Les caractéristiques d’une ferme peuvent être attirantes ou répulsives selon le point de vue.
Ce qui compte, c’est d’accepter que quelqu’un puisse se réapproprier ces caractéristiques avec un regard neuf.
Voilà. Lâcher prise ne veut pas dire être indifférent, c’est accepter que les choses nous échappent. En se projetant, on peut aussi déterminer ce qu’on n’est pas prêt à accepter. Par exemple, un agriculteur était bloqué parce qu’il ne voulait pas transmettre sa ferme sans ses vaches. Finalement, il a transmis son troupeau mais pas au repreneur de sa ferme. Parler franchement de ce qu’on souhaite peut aussi être une manière de signifier à un voisin qui lorgne sur des terres qu’on tient à ce que la ferme soit transmise plutôt que de partir à l’agrandissement.
Encore faut-il tomber sur un repreneur. Comment s’y prendre face au manque de candidats ?
Il n’y a pas de recette. Certains font confiance aux réseaux institutionnels de mise en relation (syndicats, chambres d’agriculture, associations, …). Faut-il passer par là ? Pas forcément. À un moment donné, cela doit transpirer qu’on cherche un repreneur. Parmi nos adhérents, beaucoup ont trouvé là où ils ne s’y attendaient pas : au détour d’une conversation dans la rue, en passant à la radio, … De nouveaux types de solutions émergent, comme les fermes collectives. La question, c’est aussi quel accueil réserver à ceux qui ne viennent pas du même milieu que soi…
L’État et les services publics ne devraient-ils pas se mobiliser davantage autour de cet enjeu ?
Oui, surtout pour toucher des personnes qui pourraient reprendre une ferme mais n’y pensent pas parce qu’elles ne viennent pas du milieu agricole. Les jeunes devraient pouvoir se frotter au métier d’agriculteur en étant accueillis dans des fermes, le temps de voir s’ils ont une envie en l’air ou pas. Il y a tout un terreau à créer. Un autre point vital, c’est l’accès au foncier. Là, que ce soit en location ou en propriété, il faut des actions réglementaires fortes.
[1] L’AFOC 53 fait partie du réseau des Associations de formation collective à la gestion (InterAFOCG).