Il suffit parfois d’un jugement pour mettre en lumière une réalité dont on parle peu : des personnes sont amenées à voler pour vivre et sont condamnées. Certains juges s’attachent toutefois au contexte de ces vols alimentaires ; celui d’une société qui porte une responsabilité. Une façon de rendre justice qui prend tout son sens au vu de la crise sanitaire et de son impact dans certaines tranches de la population. Entre 1898 et 2021, récits de vie, croquis d’audiences et chiffres, pour certains en progression.
Catherine Dethine, journaliste
Une transaction financière ou une plainte conduisant en justice… L’issue « souvent absurde » d’un vol de nourriture dans un grand magasin. C’est le constat posé dans une carte blanche du Réseau Wallon de lutte contre la pauvreté qui, a contrario, se félicitait de la récente décision d’un juge du tribunal de Liège de ne pas condamner une prévenue se trouvant en situation de précarité profonde. Interpellée par l’affaire, nous avons voulu en savoir un peu plus sur le dossier.
+++ Cet article est au sommaire du numéro 7 de Tchak (automne 2021)
Premier contact avec Me Gilles Detournay, jeune avocat au barreau de Liège. C’est dans le cadre d’une désignation d’aide juridique qu’il a fait la connaissance de « sa » cliente. Ses confrères n’ont pas manqué de le charrier : « Ah ! C’est toi qui en a hérité ?! » Il faut dire que celle que son avocat nomme pudiquement Madame, pour préserver son anonymat, n’est pas une cliente classique.
Multirécidiviste des vols alimentaires
Née en 1972, elle est séropositive depuis ses 20 ans. Héroïnomane en traitement, elle souffre aussi d’alcoolo-dépendance. « Un parcours de vie horrible, une précarité extrême », qui se conjugue depuis juillet 2020 avec un statut de SDF. Habituée des vols alimentaires et, de ce fait, multirécidiviste, elle a croisé à Liège la route du juge Franklin Kuty. Sans la dédouaner de toutes responsabilités, celui-ci a tenu compte de sa situation mais aussi de son droit à une vie digne. Le jeune avocat qui l’a défendue se souvient encore de l’audience : « En plus d’être un grand juriste, le juge Kuty va à la rencontre des prévenus. Il creuse pour savoir qui il a en face de lui ».
Sur le plan des faits, le dossier n’est pas bien compliqué. De plus, Madame est en aveux. Sur la table : cinq faits de vols, commis entre novembre 2020 et février 2021. Parmi les objets dérobés : des canettes de bière, un poulet épicé, un paquet de fromage, un pot de mayonnaise et… de la coloration pour les cheveux. « Elle a expliqué au juge qu’elle voyait de temps en temps sa fille et que, même si elle vit en rue, elle veut être coquette », nous raconte son avocat.
« Un dossier de la tristesse »
Un « dossier de la tristesse », comme l’a qualifié le juge Kuty, dont on retrouve la dimension humaine dans son jugement. Bien sûr, le juge y souligne l’état de récidive. Mais il relève aussi que la prévenue ne bénéficie d’aucune aide sociale, qu’elle avait faim lors des vols et qu’elle se trouvait dans un état de manque d’alcool. Reste à déterminer la peine. Tant le ministère public que la défense sollicitent le sursis probatoire (sursoit de l’exécution de la peine à condition que le prévenu respecte une série de conditions durant un laps de temps déterminé).
Dans ses attendus, le tribunal met le doigt sur « les limites de l’intervention de la justice et de l’approche carcérale ». Si, en substance, les commerces de Liège ne sont pas là pour nourrir gratuitement les personnes en état de précarité, la prison n’est pas nécessairement la panacée pour les auteurs de vols alimentaires. De fait, Madame a déjà fait de la prison. Elle a d’ailleurs été placée en préventive durant deux mois pour cette affaire de vols alimentaires jugée en avril dernier.
Une mesure dite « nécessaire » si on veut la toucher lorsqu’elle est citée à comparaître, explique son avocat. Car c’est un souci supplémentaire. Sans domicile (et à défaut d’une adresse de référence comme le CPAS), impossible de transmettre la convocation du tribunal.
Condamnée à 5 mois dans un autre dossier
Par ailleurs, la prévenue a été condamnée par défaut à 5 mois pour un autre vol alimentaire, cette fois avec violence. Prise sur le fait, elle a voulu garder le pain et des tranches de fromage en s’opposant physiquement à une employée du magasin. Montant du préjudice : 4,26 €.
Un montant dérisoire face à sa condamnation à cinq mois de prison. Cela peut paraître disproportionné. Mais comme le souligne l’avocat de la prévenue, « on est sur 5 mois et non 3 parce qu’on est en présence d’une méthode qui ne va pas. On parle d’un vol avec violence. On va au corps à corps. On touche à l’intégrité physique de la personne. Et là, une réponse différente doit être donnée. ». Bref, le dossier va au-delà de la simple précarité.
Pour en revenir au jugement qui nous concerne, le juge Kuty souligne que les précédentes mesures de faveur accordées par le passé n’ont pas eu l’effet escompté. Néanmoins, « si elle disposait d’un minimum de moyens d’existence, elle ne serait pas réduite à vivre de l’aide d’associations ou de vols alimentaires pour se nourrir. »
« Une société qui a des ratés »
Dans son malheur, cette dame a rencontré un compagnon, également en état de précarité mais qui « met de côté » pour pouvoir payer une caution locative. Le signe pour l’avocat que la situation est en mesure d’aller vers un mieux.
Le jugement le rappelle : la prison n’est pas une solution. Mais les attendus vont bien plus loin encore : la loi pénale ne peut pas résoudre tout, en ce compris les problèmes liés à la marginalité. Seule « une politique publique interventionniste » aurait plus de chance de réussite.
« En tant que magistrat, le juge se doit de protéger la société, c’est son rôle, commente de son côté le conseil de la prévenue. Mais il ne peut pas fermer les yeux sur le fait que Madame fait partie de cette société et qu’elle est victime d’un système qui a des ratés. »
Pour ces cinq vols, la prévenue a donc été condamnée en avril dernier à trois mois avec sursis probatoire de trois ans pour ce qui excède la détention préventive. Parmi les conditions qui lui sont imposées, on note (entre autres) : avoir une adresse fixe, suivre une cure de désintoxication, ne plus fréquenter le milieu des toxicomanes et se soumettre à des mesures de contrôles. « Je n’irai pas jusqu’à dire que c’est un jugement politique, conclut l’avocat. Mais, c’est clairement un appel aux autorités publiques. Un signal. »
Pour l’avocat, il est nécessaire de tendre une perche à cette personne, même si elle n’a pas tiré tous les enseignements des précédentes condamnations. « On lui demande de respecter les mesures pendant 3 ans. Même si elle ne le fait que pendant un an et demi, c’est déjà positif ». Il y a une probabilité que cette dame ne soit pas en mesure de respecter l’ensemble des conditions. Mais lui donner l’occasion d’amorcer un retour à la normale est déjà un signe de confiance dans une personne qui, de par sa situation, l’a perdue.
« Tu voles parce que tu n’as plus le choix »
Il y a évidemment autant de profils de voleurs que de vols alimentaires. Les audiences du tribunal correctionnel livrent donc leur lot d’histoires. Néanmoins, si l’on fait exception des vols liés à la kleptomanie ou à la revente d’alcool, le scénario tourne régulièrement autour de la thématique de la précarité. Exemple encore avec Olivier. C’est une chute inéluctable qui l’a conduit à la rue. C’était à Bruxelles, il y a une dizaine d’années.
« Il y avait mes addictions. L’alcool surtout. Ce sont elles qui m’ont discrédité. À la fin, tu te fais écarter. À l’époque, plus rien ne comptait vraiment. Je passais ma vie à boire. On ne peut pas faire grand-chose d’autre. Pour moi, c’était d’abord la manche et les squats. De quoi boire et dormir. »
Des allocations de chômage au CPAS, Olivier a descendu les marches du déclassement : « Le problème, c’est la confrontation aux institutions. Ça va bien une fois, deux fois. Puis, tu en as marre de raconter ta vie. D’expliquer pourquoi tu en es là. Et tu te dis à la fin : je vais me démerder autrement. Et là, oui, tu voles, bien sûr. » Pourquoi voler ? « La réponse est dans la question. Tu n’as plus le choix. La majorité des gens qui volent pour manger et qui n’ont pas l’habitude, ils volent des trucs de base parce que c’est honteux de voler. Donc on va voler moins grave, moins cher. Avec les conséquences pour la santé lorsqu’on boit des alcools pas chers ou que l’on consomme de la malbouffe. »
L’appui d’associations ou de structures d’aide alimentaire n’est pas automatique. La responsabilité en incombe souvent au demandeur. « Tu arrives saoul ou défoncé et on te vire. Tu n’es plus accepté dans ce genre de choses. Tu dois passer par un autre chemin.»
Celui du vol en magasins devient alors le passage quasi obligé : « Ce n’est pas compliqué de prendre quelque chose dans un rayon. Y a qu’à se servir. C’est autre chose que de demander à un serveur. Dans un magasin, c’est là. C’est presqu’une tentation quelque part. »
Pour sa part, le vol alimentaire est venu par nécessité. « J’avais faim. Il fallait aussi nourrir mes addictions. L’alcool, c’est une grande partie du problème. Il fallait nourrir le singe. Donc, j’allais en voler. »
« Pousser les gens à voler, c’est une violence silencieuse »
Une servitude doublée qui ne l’empêchait pas de rester lucide. « On n’est pas Robin des bois, on ne vole pas pour les pauvres, sourit-il. Parfois, on se met à deux. L’un fait diversion pendant que l’autre vole. Ce sont des alliances de circonstance. On n’est pas des bandes organisées ni des gangs. Et il n’y a pas que des gens à la rue qui font la même chose. Il y a des personnes qui vivent chichement et qui le font régulièrement. »
Olivier est un cas un peu à part. Son bagage personnel, son éducation et sa répartie naturelle lui ont permis de ne pas perdre la face. Jamais d’ennui avec la Justice. Du moins pour les vols alimentaires. Et avec les vigiles non plus. « Je rendais la marchandise et puis c’était bon. Quand je prenais plus gros, je faisais plus attention. Et puis, tu sais où tu vas. Tu connais les habitudes du gardien. » Une fois, il a eu affaire à une caissière. Il avait pris le pli de prendre son paquet de tabac au distributeur, à côté des caisses avant d’entamer ses « courses prétextes » et d’en profiter pour glisser le paquet dans sa poche. À la caisse, la préposée l’avait vu se servir. Il réplique et va jusqu’à appeler la direction pour lui dire que «c’était honteux de le traiter comme un voleur. J’ai renversé la situation. Quand tu voles, si tu n’y vas pas franco, c’est là que tu te fais choper. » Mais, il reconnaît que ce n’est pas donné à tout le monde.
« Je trouve cela indécent, confie Olivier. Si quelqu’un vole de la nourriture, c’est par nécessité. On ne peut pas lui reprocher. Surtout dans une société où on oblige à consommer. » Dans ce cas précis, cet ancien SDF estime qu’il n’y a pas de place pour le jugement : « Non, voler ce n’est pas bien moralement. Mais, moralement, ce n’est pas bien non plus de laisser les gens dans la misère ».
Pour lui, le problème ne réside pas seulement chez celui qui est amené à voler. « On ne regarde pas le canevas à l’envers. Je sais bien que la société n’est pas là pour régler tous les problèmes mais elle doit avoir une certaine cohérence. Est-ce la responsabilité des gens d’essayer de survivre ou est-ce la responsabilité de la société d’avoir mis des gens dans une telle position ? »
« Faire des choses qu’on a pas envie de faire par nécessité, je trouve cela violent, conclut-il. On parle de violence dans les manifs, de violence chez les personnes. Mais pousser des gens à voler alors qu’ils ne veulent pas, pour moi, c’est une violence silencieuse ».
Le pauvre, un coupable historique
Entre le verdict de cinq ans de travaux forcés prononcés en 1832 pour le vol de 4 pains de froment par un journalier français et l’octroi d’une peine avec sursis en 2021 pour une SDF liégeoise, multirécidiviste, la Justice a appris à nuancer ses sentences en matière de vol alimentaire. Rétro-actes.
« Depuis l’ancien système qui dure jusqu’à la Révolution française jusqu’au début du XIXe siècle, les peines étaient tellement disproportionnées qu’elles étaient très peu utilisées, raconte Arnaud-Dominique Houte, professeur d’histoire contemporaine à Sorbonne-Université (Paris) et auteur d’un ouvrage articulé autour de la propriété[1]. Un nombre important de vols alimentaires n’étaient donc pas pénalisés. »
De fait : quand ils avaient lieu, les procès se tenaient devant une cour d’assises (jury populaire) et la condamnation pouvait aller jusqu’à la peine de mort. Mais au fil du 19e siècle, avec l’avènement de lois défendant la propriété privée et la protection des ressources, le vol alimentaire est correctionnalisé (juges professionnels). « On poursuit alors de plus en plus systématiquement le voleur, qui court donc un risque beaucoup plus élevé de subir une peine. Peines d’amende et courtes peines de prison sont les plus fréquentes pour ce type de délit.»
Louise Ménard et le « bon juge »
Au début du 20e siècle, apparait le sursis probatoire, mesure qui permet de ne pas exécuter une peine moyennant le respect de certaines conditions. « À partir de ce moment-là, c’est devenu possible de condamner quelqu’un pour le principe, sans le mettre réellement en prison. Cela veut dire qu’au-delà du délit en tant que tel, on a commencé à s’intéresser à la trajectoire du délinquant et à d’éventuelles circonstances particulières. »
Voler pour se nourrir : un acte excusable ? Selon Arnaud-Dominique Houte, cette théorie fragile a soulevé des débats sur ce que l’on nomme « l’état de nécessité », une notion d’origine biblique qui a pris place dans les prétoires. « Jusqu’à la Révolution française, elle est probablement utilisée de manière informelle. On n’invoque pas l’état de nécessité, on l’applique. Le seul qui veut le théoriser, c’est le juge Magnaud, en 1898, dans le cadre de l’affaire Louise Ménard ».
Ce dossier concernait une petite voleuse de 23 ans, jeune mère de famille, qui avait dérobé un pain de 23 sous. Poursuivie, elle n’est finalement pas condamnée par le juge, qui, dans ses attendus, dénonce les failles sociétales de ce dossier :« Attendu qu’il est regrettable que, dans une société bien organisée, un des membres de cette société, surtout une mère de famille, puisse manquer de pain autrement que par sa faute. Que, lorsqu’une pareille situation se présente, le juge peut et doit interpréter humainement les inflexibles prescriptions de la loi. Attendu que la faim est susceptible d’enlever à tout être humain une partie de son libre arbitre et d’amoindrir en lui la notion du bien et du mal. Qu’un acte, ordinairement répréhensible, perd beaucoup de son caractère frauduleux lorsque celui qui le commet n’agit que poussé par l’impérieux besoin de se procurer un aliment de première nécessité. (…) Que l’irresponsabilité doit être admise en faveur de ceux qui n’ont agi que sous l’irrésistible impulsion de la faim. Qu’il y a lieu, en conséquence, de renvoyer la prévenue des fins de la poursuite, sans dépens. » [2]
« Cette affaire a vraiment fait l’objet d’un débat médiatique, politique, juridique, analyse Arnaud-Dominique Houte. Le jugement a d’ailleurs été cassé. En appel, la subtilité de la magistrature est de maintenir la relaxe car il y avait un soutien de l’opinion pour la petite voleuse. En revanche, toutes les motivations du jugement, c’est-à-dire tout ce qui aurait pu faire jurisprudence, est cassé. Pas question que cela donne de mauvaises idées, de systématiser et de reconnaître cet état de nécessité ».
Impressionnant : en France, il faudra attendre… 1994 pour que le code pénal reconnaisse enfin officiellement cet « état de nécessité » défendu un siècle plus tôt par Paul Magnaud, surnommé « le bon juge » par la suite. Comment expliquer pareil immobilisme ? L’homme, indubitablement en avance sur son temps, faisait visiblement peur à l’élite. Pour preuve : sa hiérarchie sera implacable, le qualifiant, quelques années plus tard, de « magistrat pitoyable qui n’entend rien du devoir social du magistrat et qui ignore tout de la loi qu’il a reçu mission d’appliquer. »
« Ce sont les plus pauvres qui sont les plus volés »
La dernière période où l’on parle davantage du vol alimentaire, c’est pendant la 2ème guerre mondiale. Face à des gens qui meurent de faim, la question de la protection des récoltes, en particulier, se pose. « En 43-44, on trouve pas mal d’articles de presse là-dessus. », relève Arnaud-Dominique Houte. À partir des années soixante, grande distribution et supermarchés se développent. « Est apparue l’idée que voler à l’étalage était moins grave que voler ailleurs, vu que les produits étaient mis en libre-service et que tout était fait pour créer la convoitise. »
Depuis, la problématique a disparu des écrans radars, signe que la société ne s’est plus vraiment inquiétée de ce qu’elle pourrait traduire. « Je ne prétends pas connaître la réalité des vols parce que c’est une autre histoire, précise Arnaud-Dominique Houte. Mais pour ce qui est du vol alimentaire, il a vraiment tendance à être associé à la misère et au passé. Avec l’idée que, plus on avance, plus le vol va être un vol d’objets technologiques et de moins en moins un vol de matières basiques. Alors que, dans la réalité, ce n’est pas forcément le cas. »
Exemple, notamment, à Calais, où les potagers des habitants font régulièrement l’objet de mini-pillages, et où les migrants sont pointés du doigt. « Le coupable idéal du vol alimentaire a toujours été le pauvre, détaille Arnaud-Dominique Houte. Par contre, c’est surtout à partir du début du XXe siècle que l’insécurité et la délinquance ont été reliées à la question migratoire. » Italiens, Espagnols, Marocains… À chaque « vague », il y a eu l’idée qu’ils étaient une menace. « Et ça, c’est évidemment étroitement lié au fait qu’ils sont presque toujours les plus pauvres. Donc ceux qui sont considérés comme ayant le moins de propriété à défendre, et ayant le plus de tentations à se servir chez les autres. Soit dit en passant, on le voit très bien dans les archives, ce sont eux qui sont le plus volés. Parce que plus on est pauvre, moins on a les moyens de se protéger. »
[1] « Propriété défendue. La société française à l’épreuve du vol XIXe et XXe siècle », Arnaud-Dominique HOUTE, Coll. Bibliothèque des histoires. Éditions Gallimard, janvier 2021.
[2] https://www.lemonde.fr/festival/article/2016/08/01/le-bon-juge-magnaud_4976869_4415198.html
Vols alimentaires : un pourcentage en hausse ?
Difficile de dresser un profil du voleur type ou d’analyser les chiffres du vol alimentaire. D’abord parce que les statistiques – incluses dans les « vols à l’étalage » – ne sont pas suffisamment fines.
Ensuite parce que mettre ces vols sur le seul dos d’une population précarisée serait réducteur : il y a les vols d’alcools, objets d’un trafic à la revente, ou encore ceux commis par les kleptomanes.
Enfin parce que la déclaration de vol représente une charge pour les magasins ; dans quelles mesures un gérant de moyenne surface va-t-il signaler la disparition de deux paquets de fromage en tranche ou de 6 bouteilles de lait ?
Quelques chiffres cependant : selon la police fédérale, l’alimentation figure en première place du « top ten » des objets volés. Elle est suivie par les vêtements, puis les parfums et produits de beauté. En 2015, on comptabilisait 6 730 vols alimentaires ; 7 172 en 2016 ; 7 292 en 2017 ; 7 937 en 2018 ; 7 767 en 2019 et 7 741 en 2020. Des chiffres relativement constants.
Focus un peu plus détaillé du côté de la zone de police de Namur, même si, là aussi, on signale l’existence de vols non déclarés. Les chiffres ? 151 procès-verbaux de vols à l’étalage pour le premier semestre de l’année 2019 ; 141 pour le premier semestre de 2020 ; et 166 pour le premier semestre de 2021.
La répartition des vols est, elle, plus parlante : en 2019, 26,9 % de ces PV pour vols à l’étalage concernaient de l’alimentaire. En 2020, ce pourcentage descend légèrement à 25,7 %, pour regrimper fortement en 2021 à 37,1 %. Une évolution liée aux impacts économiques de la crise sanitaire et des personnes de plus en plus précarisés ?
À la zone de police de Namur, on se montre prudent sur pareille analyse : « Stigmatiser une tranche de la population est d’autant plus hasardeux que le procès-verbal ne signale pas le profil du voleur. »