Le restaurant « Entre nous » à Saint-Gilles
Le restaurant « Entre nous » à Saint-Gilles privilégie le circuit court, et pas n’importe lequel : celui qui va de pair avec une alimentation agroécologique. © Philippe Lavandy

Le circuit court au resto, c’est possible !

De plus en plus de restaurateurs prennent goût à accommoder des produits achetés en circuit court. Mais la démarche est rarement structurelle. Pour l’inscrire au-delà de quelques opérations marketing, ils doivent passer du temps à prospecter, adapter toute leur logistique et repenser complètement leurs recettes. Pas si facile… 

Clémence Dumont journaliste / clemence@tchak.be

Poix-Saint-Hubert. Un hameau ardennais bordé de denses forêts, une gare d’où s’échappent quelques promeneurs et, juste à côté, « Les Gamines », un restaurant accolé à hôtel. Avec sa sœur, Lorraine Piette s’est démenée pendant plus de sept ans pour y faire vivre une cuisine canaille, alimentée en direct ou presque par les artisans et paysans des environs. Les deux jeunes femmes viennent de jeter l’éponge.

« Plusieurs éléments ont joué, dont le Covid. Mais c’est vrai que notre choix de ne cuisiner qu’avec des produits locaux était une source de complexité, raconte Lorraine Piette. On avait beaucoup de fournisseurs différents, donc beaucoup de commandes et de factures à gérer. Et tous les fournisseurs ne livrent pas donc on devait aller à un endroit pour le porc, un autre pour le gibier, encore un autre pour le bœuf… À la campagne, ça fait vite beaucoup de kilomètres. »

Le développement de Réseau Paysan, coopérative de vente en circuit court basée à Libramont, a progressivement permis de simplifier la logistique. « Mais l’offre est encore assez restreinte et le réseau ne livre qu’une fois par semaine. Si tu oublies de commander ou si 15 clients prennent le même plat un soir, t’es fichue ! » 

+++ Cet article fait partie de notre enquête Et si les restos se mettaient au circuit court ?au sommaire de notre 8° numéro (hiver 21-22), toujours en vente. Après deux années difficiles dues au Covid, le secteur Horeca tente péniblement de rebondir. Au bénéfice de quelle alimentation, de quelle agriculture, de quel modèle de consommation ? Un dossier en quatre chapitres.

De plus, la clientèle était composée surtout de touristes pas forcément intéressés par la démarche éthique. « On nous reprochait parfois nos prix alors qu’on ne répercutait pas complètement le prix juste sur nos clients, poursuit Lorraine Piette. Un poulet de ferme bio, c’est trois fois le prix d’un poulet standard ! Le pire, c’est que certains auraient préféré un poulet standard parce qu’ils sont habitués à une viande moins goûteuse, mais plus tendre… À la longue, c’est usant de devoir sans cesse se justifier. »

La jeune femme ne regrette pas d’avoir tenté un projet sans concession. « Mais je n’ai plus envie de me battre. À refaire, je pense qu’on aurait dû mieux s’entourer dès le départ. C’était la croix et la bannière pour trouver du personnel, encore plus après le Covid. Les gens qu’on engageait n’étaient pas très sensibilisés, donc ils ne transmettaient pas l’amour des produits aux clients. Le concept aurait pu marcher avec une plus petite infrastructure. Mais nous, on avait une capacité de 100 couverts et on devait ouvrir sept jours sur sept pour rentabiliser nos investissements. »

A Saint-Gilles, Sara ne compte pas ses heures

Saint-Gilles, à deux pas de la gare du Midi. Depuis 2017, Sara Lenzi tente d’y faire oublier le gris de la ville en servant tous les midis des plats à prix modestes inspirés de la cuisine napolitaine. « Entre nous », son restaurant, réussit l’exploit de faire voyager tout en soutenant les producteurs belges engagés dans la transition agroécologique. Du moins, tant que sa gérante tiendra le coup…

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Pour Sara Lenzi, patronne du restaurant « Entre nous » à Saint-Gilles, cuisiner est un acte militant. © Philippe Lavandy

« Au début, je rêvais de travailler en direct avec les producteurs. J’ai rapidement constaté que c’était impossible : je gère tout seule avec une cuisinière. Je n’ai pas le temps d’aller moi-même dans les fermes. Donc j’ai quelques fournisseurs en direct qui sont situés à proximité ou que ça arrange de me livrer et, pour le reste, je privilégie des coopératives de vente en circuit court comme Réseau Paysan ou Terroirist. »

Plus ces coopératives se développent, plus Sara Lenzi a la vie facile. « Leur offre est de plus en plus variée. L’inconvénient, c’est qu’il faut commander à l’avance et on n’est livrés qu’une fois par semaine. En général, je m’adapte. Notre carte change chaque jour et on ne fait qu’une quinzaine de couverts..Sinon, j’ai toujours des plans B. »

« La limite de mon modèle, c’est que je ne compte pas toutes mes heures de travail et que je ne gagne pas hyper bien ma vie, admet néanmoins la jeune trentenaire. Je prends très peu de marges parce que je veux rendre l’alimentation durable accessible au plus grand nombre. De toute façon, je ne peux pas demander aux gens du coin les mêmes prix que dans le quartier européen ! C’est un miracle qu’on ait résisté au Covid. Aujourd’hui, la situation reste difficile parce qu’on a perdu pas mal de clients à cause du télétravail. Pour tenir, on essaye de se diversifier, notamment en vendant des pâtes à des GASAP (Groupes d’achat solidaires de l’agriculture paysanne, NDLR). »

Être restaurateur, quel métier dévorant ! Du moins pour ceux qui ne se contentent pas de réchauffer des plats préparés. Pour les quelques-uns qui, en plus, s’esquintent à ne cuisiner que des ingrédients issus d’une activité paysanne durable, locaux si possible, l’entreprise confine souvent au sacerdoce. 

En effet, ces restaurants ne peuvent pas se reposer sur les services hyper flexibles des grossistes habituels de l’Horeca. L’offre en produits agroécologiques y est marginale. Ils doivent donc prospecter à la recherche de fournisseurs alternatifs et, surtout, adapter complètement leur logistique et leurs recettes à cette offre.

Des pieds de porc dans les terrines

Pour la viande, cela implique notamment de ne pas délaisser les bas morceaux, c’est-à-dire les pièces moins tendres à faire mijoter ou réduites en haché. Sara Lenzi, par exemple, s’arrange en fonction des morceaux vendus par le Réseau Paysan et complète via un éleveur bio qui la livre. 

À Arlon, « Le Victor » achète des (demi-)bêtes entières à des éleveurs des environs, labellisés bio ou proches du bio. « C’est avantageux pour l’éleveur et, pour nous, c’est moins cher que d’acheter des morceaux séparés. On valorise tout en faisant des têtes pressées, des terrines ou des mises en bouche avec les parties moins nobles » vante Jennifer Marin, responsable des commandes de ce bistrot fondé par Clément Petitjean, le chef du restaurant étoilé « La Grappe d’or ».  

Sauf pour la volaille, un tel parti pris est rarissime dans le secteur Horeca. Il requiert un savoir-faire, une organisation complexe et un débit suffisant pour tout écouler rapidement, à moins de surgeler. En fait, de nombreux restos engagés ont confié à Tchak! être amenés à faire des compromis sur le caractère durable de leur viande. 

Bientôt, on aura des porcs de notre ferme

Sarah Potvin, gérante de « L’Auberge des maïeurs »

« Ma viande n’est pas bio, contrairement à presque tout le reste, regrette ainsi Sarah Potvin, gérante de « L’Auberge des maïeurs », un restaurant situé à Woluwé-Saint-Pierre associé à la ferme maraîchère La Finca. Nos chambres froides sont petites donc je préfère être livrée plusieurs fois par semaine. Du coup, je n’atteins pas le franco pour être livrée sans frais de transport par les fournisseurs bio. On a opté pour des produits de qualité différenciée en circuit court et du gibier belge. Bientôt, on aura les porcs de notre ferme. On continue à chercher d’autres viandes en bio, mais ça prend beaucoup de tempsDe plus, le surcoût n’est pas facile à répercuter. »

« La viande, c’est hyper compliqué. C’est très difficile d’être 100% éthique. Déjà à la base, il faut accepter de n’avoir aucune prise sur comment la bête a été abattue, ajoute Marie Marconi, qui vient d’ouvrir « Chabrol », un bistrot schaerbeekois. Ensuite, il faut faire énormément de recherches sur les conditions de production de chaque produit. Et enfin, il faut encore trouver un fournisseur qui convient. Nous, on a par exemple essayé de mettre en avant la diversité de races de volaille en Belgique. Malheureusement, la plupart des éleveurs qui tentent de préserver ces races ne le font pas à titre professionnel. Donc, pour le moment, on propose de la volaille française Label Rouge… »


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