Florent et François, Alain et Cécile, Angélique et bien d’autres… Des pisciculteurs qui se mouillent ! Tous et toutes se battent pour conserver un modèle artisanal, transmettre leur savoir-faire, développer leur filière. Face à eux, de nombreux défis : le dérèglement climatique, les importations massives et une forte prédation naturelle. Si un plan stratégique wallon a été mis en place, il peine encore à convaincre totalement.
Claire Lengrand, journaliste
Depuis le 1er janvier 2023, Florent Coninck a officiellement repris les rênes de la pisciculture du Chêneau, à Annevoie (Godinne). Pendant deux ans, il sera accompagné par François Dejardin, qui a créé le site en 1985. Ce dernier lui enseigne les ficelles du métier et ses « subtilités ». « La particularité du boulot, c’est que c’est toute l’année, qu’il fasse beau ou froid », prévient son mentor.
+++ Ce dossier est publié dans le 16° numéro de Tchak (hiver 23-24).
Ici, 30.000 truites arc-en-ciel sont produites chaque année. 40% partent dans la restauration, contre 60% dans les circuits de distribution, dont plusieurs coopératives alimentaires, des magasins à la ferme et des supermarchés (75 points de vente au total). La spécialité de la pisciculture du Chêneau, ce sont ses truites fumées au bois de hêtre, une opération entièrement réalisée dans l’atelier de Godinne. « On fait tout à la main, cela nous permet de proposer des gabarits différents auprès de la clientèle », détaille Florent.
La configuration du site semble particulièrement bien adaptée à l’élevage de truites. « On travaille sur trois sources différentes, situées à 800-900 mètres en amont, explique François. Les eaux n’ont donc pas le temps de changer de température avant d’arriver ici. Cette stabilité, c’est un paramètre essentiel en pisciculture, car plus la température est constante, plus le grossissement des truites l’est aussi. On peut donc programmer les choses sur le long terme. »
Si, depuis le début de sa carrière, le pisciculteur a connu plusieurs galères, dont deux pollutions au mazout, « rien n’a bougé en quarante ans en matière de qualité et de débit des eaux », affirme-t-il. Les sept bassins sont recouverts par des grillages, les protégeant de toute prédation animale. « On retrouve parfois quelques truites tuées, mais ça représente des volumes très réduits », assure Florent. Sur le plan commercial, l’emplacement de la pisciculture est stratégique, entre Dinant et Namur et, surtout, juste à côté d’une route et des Jardins d’Annevoie, qui drainent plusieurs dizaines de milliers de visiteurs et visiteuses chaque année.
Ces conditions optimales pour l’élevage et la vente de truites, Florent les a découvertes au fil de ses premiers pas. Bien que ces éléments l’aient rassuré, ce n’est pas ce qui l’a motivé à prendre la relève. « Je voulais surtout sauvegarder la qualité des produits. Je trouvais dommage qu’une telle affaire disparaisse. L’objectif est de continuer à la faire tourner », déclare le jeune pisciculteur. Lui qui, auparavant, ignorait tout de cet univers, semble s’épanouir dans ce nouveau cadre : « C’est un métier varié, les mains dans l’eau avec une partie administrative à gérer ».
« Les importations ont flingué notre production »
La pisciculture du Chêneau est donc une affaire qui semble rouler. Le cas de Florent et François, s’il n’est pas isolé, n’est cependant pas le plus répandu dans le monde piscicole. Plusieurs éleveurs et éleveuses traversent de sévères difficultés et peinent à vivre de leur activité. En cause notamment : la concurrence accrue avec d’autres pays européens.
Quand Alain Schonbrodt s’est lancé dans l’élevage de poissons en 1982, la Wallonie comptait 120 pisciculteurs et piscicultrices, contre une quarantaine aujourd’hui. « J’ai toujours fait ça à titre complémentaire, même si dans les années 80, ça marchait très bien. À tel point que j’envisageais d’en faire mon métier principal, retrace-t-il. Puis, tout est arrivé en même temps : la concurrence avec le saumon, les importations qui se sont développées à partir de la France et de la Turquie, puis de l’Italie et du Danemark. »
L’ouverture des marchés a entraîné une explosion de l’offre et de la demande et, avec elle, une guerre des prix entre les pays. « Les importations ont flingué notre production », résume Bertrand Hoc, chargé de mission en aquaculture au sein du Collège des Producteurs. Selon une étude menée par l’organisation[1], la Wallonie, qui produit exclusivement du poisson d’élevage, ne pourvoit que 320 des 914.000 tonnes de poissons consommés chaque année par ses habitants. Une goutte d’eau dans l’océan.
Quant à la truite – principale espèce en Wallonie –, quelque 200 tonnes y sont élevées chaque année, contre environ 1.000 tonnes importées. « Pour répondre à notre marché national et même régional, on importe six fois plus de truites qu’on en produit », constate Bertrand Hoc. En cause, selon l’étude, la faible compétitivité de la truite wallonne sur les marchés de masse, en raison de son prix de vente plus élevé (de 30%). Celui-ci s’explique par un plus gros coût de production par rapport aux pays voisins : 4,9€ pour une truite wallonne contre 3,29€ en France et 2,84€ en Italie.
« Dans certains pays européens, les pisciculteurs sont aidés par le gouvernement, contrairement à la Wallonie où le prix des terrains, des frais de personnel et d’équipement est plus élevé qu’ailleurs, fait remarquer Alain Schonbrodt, de la pisciculture de la Wamme (Marloie). Par exemple, en Aquitaine, il y a des infrastructures piscicoles qui sont payées par l’État. » D’après l’étude du Collège des Producteurs, la principale charge pour les piscicultures est l’alimentation des poissons, un marché détenu par quelques acteurs internationaux, et qui, selon Bertrand Hoc, représente 60% du coût total de production.
[1] « Étude du marché belge du poisson issu de l’aquaculture », Le Collège des Producteurs, 2022.
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