À l’approche des élections communales, la tension monte dans le Pays de Herve. Hubert Heynen, agriculteur et éleveur bovin exproprié, rejoint par un groupe de citoyens, lutte contre l’urbanisation du plateau. Malgré les risques encourus, la commune s’obstine à vouloir mettre en œuvre son projet, au nom du développement social et économique.
Claire Lengrand, journaliste
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S’il y a bien une chose qu’Hubert Heynen a du mal à digérer, c’est le motif pour lequel il est exproprié : l’utilité publique. « Pour moi, l’utilité publique, c’est faire une école ou un hôpital. Quelque chose dont tout le monde a besoin. Mais de la place pour de nouvelles entreprises… il y en a dans les zonings inoccupés ! »
Depuis fin 2022, l’agriculteur fait l’objet d’un arrêté d’expropriation par la Région wallonne, sur demande de l’Intercommunale de développement économique de Liège (SPI). Celle-ci prévoit d’implanter sur une partie de ses terres, près du centre-ville de Herve, un parc d’activités économiques mixtes. Le 10 juillet dernier, l’administration wallonne a octroyé à l’intercommunale le permis d’urbanisme pour aménager le site.
« Mes parents ont acheté la ferme et ces terres en 1954. J’ai repris en 1977 et j’ai toujours fait la même chose : des vaches laitières et du maïs pour les bêtes », relate Hubert, installé dans sa cuisine. Devant lui, un plan est étalé sur la table. C’est celui de la ZACC (Zone d’Aménagement Communal Concerté) de Herve-Bolland. Le parc d’activités économiques mixtes (PAEM) s’étendrait sur une partie de la ZACC (9,7ha) et comprendrait des bâtiments, une voirie, des parkings, une zone tampon ainsi que 2,1 ha déjà occupés par des entreprises. En tout, trois agriculteurs ont été impactés par ce projet. Deux ont accepté de vendre leur terre à la SPI, dont l’un est devenu locataire de l’intercommunale en attendant que le parc se concrétise. Seul Hubert, le troisième, refuse de céder ses parcelles. Ces dernières, hachurées ici en orange, représentent près de 4% de l’exploitation familiale (2h62 sur une superficie totale d’environ 55ha). « C’est comme si on ponctionnait une partie de votre salaire », remarque Hubert, aujourd’hui pensionné mais toujours actif.
L’éleveur s’oppose également à la vente de ses terres pour « bloquer la construction de nouvelles maisons. » En effet, la commune de Herve envisage d’ériger des habitats sur l’autre partie de la ZACC de Herve-Bolland, ainsi que sur la ZACC de Battice (le village voisin). Le tout fait partie « d’un plan d’ensemble phasé en plusieurs étapes », explique Josiane Heynen, l’épouse d’Hubert.
Au total, près de 80 hectares de terres, dont la plupart sont agricoles, pourraient être artificialisés sur cette ligne de crête, selon le collectif Attaque la ZACC. Ce dernier, qui lutte contre ces projets, craint que l’urbanisation du plateau aggrave les risques d’inondations. Mais nous reviendrons sur ce point plus tard.
+++ Cette enquête est au sommaire du nouveau numéro de Tchak (automne 2024).
Projet d’un autre temps
Remontons d’abord le temps pour comprendre l’origine de ce projet. En 1979, le plan de secteur, outil régissant l’aménagement du territoire wallon, cartographie sur la commune de Herve deux réserves foncières (les ZACC actuelles de Bolland et de Battice) et une zone d’activité économique mixte. C’est là où se trouvent les terrains aujourd’hui expropriés d’Hubert. « Je savais bien, quand j’ai repris l’exploitation, que c’était une zone “industrielle”, mais ce n’est pas pour autant que je dois vendre mes terres. C’est comme les parcelles urbanisables, qui ne doivent pas obligatoirement être bâties », défend le fermier.
Vingt ans plus tard, en 2002, la commune de Herve, gouvernée par l’alliance CDH-PS, décide d’aménager toute cette zone. Objectif affiché : créer et centraliser des habitats pour les futur∙es hervien∙nes, et ainsi éviter l’étalement des maisons le long de la nationale. « Ces constructions linéaires coûtaient très cher à la commune car ça faisait des mètres d’égout et de route à entretenir », explique Nicole Roumans, conseillère communale (PS) à Herve, déjà membre du conseil à l’époque. À côté de ces habitations, la commune veut alors intégrer un « petit parc économique » afin de « créer de l’emploi destiné aux artisans locaux, proche du centre avec une zone de parking », poursuit la conseillère. La SPI est chargée de mettre en œuvre cette dernière partie.
Hubert, lui, n’entend parler de tout cela qu’en 2012, au détour d’une conversation. Le couple d’éleveur∙ses demande alors des comptes à l’échevin de l’agriculture (le bourgmestre actuel), qui promet de les tenir au courant. « Un jour, on voit un papier jaune affiché. » C’est l’appel à une première enquête publique, publié en octobre 2014. Il est alors question de concentrer, sur 22 hectares, le long de l’ancienne ligne de chemin de fer,120 à 220 logements, des commerces, des bureaux, ainsi que des « entreprises non industrielles ».
En 2016, Muriel Heynen, la fille de Josiane et Hubert, dépose avec un autre riverain une requête auprès du Conseil d’État (qui se soldera par un rejet en 2021). Le Rapport Urbanistique et Environnemental[1], qui justifie et valide l’aménagement de la ZACC de Herve-Bolland, est adopté par arrêté ministériel le 9 août 2017.
Une longue bataille judiciaire
Depuis, Josiane et Hubert mènent une longue bataille judiciaire. Ces dernièr∙es ont engagé deux avocats, l’un contre l’arrêté d’expropriation (signé fin 2022), l’autre pour expertiser le dédommagement financier. En fait, le couple reproche à l’intercommunale de se baser sur les prix du foncier agricole plutôt que sur ceux de l’immobilier. La SPI rachèterait donc leur terre en moyenne à 10 euros du mètre carré (soit 100.000 euros l’hectare) alors qu’une parcelle à bâtir coûte 128 euros le mètre carré en Wallonie[2] (soit 1.280.000 euros l’hectare). « On veut garder nos terres, mais si on nous les prend de force, qu’on nous donne au moins le maximum d’argent », confesse Josiane Heynen.
Les agriculteur∙ices déplorent avant tout la manière dont les choses se sont déroulées. À savoir, tant le manque de transparence de la part de la commune, que l’absence de concertation avec l’intercommunale. « Tout s’est fait par courriers, on n’a jamais pu parler avec personne », regrette Hubert, pour qui il aurait été possible, si une rencontre avait eu lieu, de « trouver un arrangement, comme un échange de terrains convenables. »
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[1] Aujourd’hui appelé Schéma d’Orientation Local.
[2] Au premier semestre 2023 selon la Fédération du Notariat (Fednot)
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