Blanc Bleu Belge, BBB
Marcel et Christine Mambour - Franchimont sont propriétaires de la ferme du Crestia à Doische, en province de Namur. Après avoir croisé du BBB avec du Charolais, ils évoluent petit à petit vers un élevage de Rouges des prés pure race. © Gaëlle Henkens / Divergence

Éleveurs wallons: le Blanc Bleu Belge perd du terrain (-9,3%), les races alternatives en gagnent

Le Blanc Bleu Belge reste la race à viande majoritaire en Wallonie, mais son nombre d’éleveurs a diminué de 9% entre 2015 et 2020. A l’inverse, les producteurs de Limousine, Blonde d’Aquitaine, Salers, Angus… augmentent, dans un secteur pourtant à la peine. Conséquence : l’élevage bovin, resté pendant longtemps très uniforme, se diversifie.

Catherine Joie – journaliste | joie.catherine@gmail.com
Gaëlle Henkens – photographe | Divergencehenkens_gaelle@hotmail.com

De toutes les formules entendues cet été sur le terrain, voici celle qui illustre au mieux le phénomène en cours dans les campagnes wallonnes : “Les élevages viandeux se diversifient. Ça se voit quand on voyage et qu’on fait attention aux vaches dans les prairies. Vous verrez ! Surtout en descendant vers l’Ardenne. Il y a de moins en moins de Blanc Bleu Belge et davantage d’autres races.”

Les mots sont de Francis Roossens, boucher et éleveur de Limousine à Biercée (Thuin). D’autres éleveurs viandeux partagent son constat. Chacun cite facilement un confrère ou une consœur qui a changé de race bovine, plus ou moins récemment. Un exemple parmi d’autres : “Je connais un éleveur qui est en train de basculer ses 250 Blanc Bleu Belge en Limousin. Il a acheté 40 génisses en France, dans deux élevages différents.” 

Mais qu’en est-il réellement ? Une transition raciale est-elle en cours ? Que disent les statistiques agricoles ?

Nous avons obtenu du SPW Agriculture les données concernant les races bovines présentes en Wallonie, pour la période 2015-2020. Ces données proviennent des déclarations de superficie introduites chaque année par les éleveurs wallons auprès de l’administration wallonne, pour obtenir des aides financières de l’Union européenne. Chaque éleveur (qui possède plus de 10 bovins) doit préciser les races bovines présentes dans son troupeau. Ces données n’ont, à notre connaissance, encore jamais été rendues publiques.

+++ Cette article fait partie d’une enquête qui sera publiée le mardi 6 octobre dans le numéro 3 de Tchak! (lire en bas) .

On apprend à la lecture de ce tableau (données complètes) qu’entre 2015 et 2020, sur les 23 races bovines majoritaires en Wallonie (viande, lait et races mixtes), 7 races sont en diminution, 6 races sont stables et 10 races sont en augmentation. Vu les races concernées, le SPW Agriculture tire trois conclusions : 1) les races traditionnelles sont en recul ; 2) de nouvelles races émergent ; 3) les élevages se diversifient.

-3,5% de producteurs, toutes races confondues

Concernant le recul des races traditionnelles, notons tout d’abord qu’en cinq ans, le nombre de déclarations (et donc d’éleveurs bovins) a baissé dans son ensemble, toutes races confondues (-3,5% de déclarations). On est passé de 7.783 dossiers à 7.508 dossiers. Ce bilan était prévisible, vu la réduction constante du nombre de fermes en Wallonie.

La diminution est cependant plus importante pour les éleveurs qui déclarent des races traditionnelles. Ils restent tout de même largement majoritaires en effectifs, mais leurs taux d’évolution sont les suivants : Blanc Bleu Belge (-9,4% de déclarations en cinq ans), Blanc Bleu mixte traite (-14,2%), Blanc Bleu mixte allaitant (-12,9%), Rouge des prés (-5,1%), Pie-Noire-Holstein (-10%), Pie-Rouge-Holstein (-11,9%), Pie rouge de l’Est (-5,2%). D’où la première conclusion du SPW : le recul des races traditionnelles.

Rapporté au nombre total de dossiers, on passe d’une proportion de 65% de déclarations pour le Blanc Bleu Belge (rameau pur) en 2015, à une proportion de 61% en 2020.

A l’inverse, les éleveurs qui déclarent des races dites françaises ou rustiques sont en augmentation (voir tableau), même si leur nombre reste bien en-dessous du nombre de déclarations pour les races traditionnelles : Limousine (+14,8% de déclarations entre 2015 et 2020), Blonde d’Aquitaine (+16,4%), Charolais (+9%), Montbéliarde (+31,6%), Fleckvieh (+38,5%), etc..

Des élevages qui se diversifient

Il est important de comprendre que les données présentées dans le tableau répondent à la question : “Combien de producteurs élèvent au moins des Limousines (par exemple) ?” Dès lors, un éleveur qui travaille avec plusieurs races est repris dans autant de cellules du tableau.

Ce qui nous amène à la troisième conclusion du SPW Agriculture, et non des moindres : la diversification des exploitations wallonnes. Il ressort des données que les élevages à 1 race diminuent fortement (-13,7% en cinq ans), les élevages à 2 races stagnent (-2,5%), les élevages à 3 races augmentent (+9,1%), tout comme les élevages à 4 races ou plus (+17,2%).

Autrement dit : de plus en plus de producteurs travaillent avec plusieurs races, avec de nombreuses combinaisons possibles : lait et viande ; viande et mixte ; plusieurs races traditionnelles ; plusieurs races alternatives ; les deux ; etc. 

Ceci vient compléter le tableau d’un élevage wallon en pleine mutation : des cheptels qui s’agrandissent et qui se diversifient, des races qui perdent du terrain et d’autres qui en gagnent, sans que ce ne soit forcément au détriment de l’autre.

2012 : la fin des vraies données

Les données fournies par le SPW Agriculture présentent cependant certaines limites. Premièrement, elles ne font pas la distinction entre les races pures et les animaux issus de croisement. Ensuite, elles indiquent le nombre d’éleveurs, mais ne disent rien de la taille des cheptels. Les éleveurs ont-ils 20 bovins ou 200 bovins ? Ce qui change tout, évidemment… 

Avant 2012, la Région wallonne organisait un recensement agricole par tête de bétail. Depuis 2012, ces données n’existent plus. Nada. La filière bovine ne dispose plus de base solide pour parler des races – “ce qui arrange bien le monde du Blanc Bleu Belge”, commentent de nombreuses sources aux profils différents.

Pas d’encodage de la race

Obtenir des données plus complète serait possible si les éleveurs encodaient systématiquement la race de leur bétail, lors de l’inscription d’un veau.

Chaque éleveur est effectivement tenu de signaler chaque naissance à l’ARSIA (service public de traçabilité animale) via le portail informatique “Cerise”. Un menu déroulant permet de mentionner  la race de l’animal. Cependant, préciser la race est, à ce jour, une opération facultative.

Selon l’ARSIA, qui a analysé à notre demande les 2.687.044 opérations de notifications de naissance de ces dix dernières années, seuls 25% des enregistrements de naissances mentionnent la race bovine. C’est loin d’être suffisant pour analyser l’ensemble du cheptel wallon, par race et par tête de bétail.

Cette article fait partie d’une enquête qui sera publiée le mardi 6 octobre dans le numéro 3 de Tchak!. Réalisée entre mai et septembre 2020, elle est le fruit de nombreux entretiens. Voici la liste des institutions et des organismes sollicités lors de cette enquête : SPW Agriculture, ARSIA, BioWallonie, FWA, Nature et Progrès, AWE, Collège des producteurs, Fugea, IWEPS, CRA-W, APAQ-W, Herd-book Limousin, GVBOB. De nombreux particuliers (éleveurs, éleveuses, vétérinaires et bouchers) ont également participé à cette enquête. Merci à eux pour leur confiance. Pour aider à poursuivre ce travail d’enquête, vous pouvez prendre contact avec les journalistes par mail ou via les réseaux sociaux. joie.catherine@gmail.com | henkens_gaelle@hotmail.com