Travailleurs agricoles
© Gaelle Henkens

Des travailleurs agricoles, ça se partage !

Beaucoup de fermes manquent ponctuellement de travailleurs agricoles sans avoir les ressources pour offrir des contrats stables. D’où cette idée : se mettre à plusieurs pour en engager un ou plusieurs, « à partager ». La Belgique compte quarante groupements d’employeurs, dont un quart en milieu agricole.

Clémence Dumont Journaliste | clemence@tchak.be

Youri, 39 ans, est ouvrier agricole depuis deux ans. Un ouvrier pas tout à fait comme les autres, puisqu’il partage son temps entre cinq fermes. Un jour, il trait des vaches, le lendemain il récolte des salades. Sur papier, il preste un trois quarts temps. En vrai, il travaille cinq jours par semaine au printemps, deux jours par semaine au creux de l’hiver et quatre jours par semaine le reste de l’année. Son salaire, lui, est stable et encadré par un contrat à durée indéterminée.

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« Mes journées varient en fonction de mon lieu de travail et en fonction des saisons. Cette diversité, c’est ce qui m’a séduit, souligne Youri. J’apprécie aussi beaucoup le côté humain : je ne travaille pas seul mais avec chacun des agriculteurs du groupement. Au fil du temps, une confiance s’est installée. On mange ensemble à midi, je vois leurs enfants… En fait, je partage un peu de leur vie privée. »

Légalement, l’employeur de Youri est Novaterre, une ASBL créée avec l’appui de Nov’Ardenne, le Groupe d’action locale (GAL) des communes de Libin, Libramont-Chevigny, Tellin et Saint-Hubert.

« Soulager les agriculteurs en manque de main-d’œuvre, c’était l’un des buts du GAL dès son lancement en 2017, retrace Rossana Bacchetta, chargée de mission de Nov’Ardenne. Lorsqu’on a évoqué l’idée d’un groupement d’employeurs, une dizaine d’agriculteurs se sont montrés intéressés. Une fois qu’il a fallu mettre de l’argent sur la table, certains se sont refroidis. Finalement, seuls cinq ont intégré le projet. Aujourd’hui, ils sont tous très satisfaits et je pense qu’on pourrait convaincre de nouveaux agriculteurs. »

David Deblandeur (à droite sur la photo) est le premier travailleur recruté par Terre-Emploi, un nouveau groupement d’employeurs de l’arrondissement de Verviers. Cet hiver, il travaille pour Sébastien Pirotte (à gauche), qui dirige une entreprise de travaux agroforestiers. Au printemps et en été, il officiera pour un maraîcher. © Gaëlle Henkens

«Je me sens vraiment épanoui »

Pour Youri, l’offre d’emploi de Novaterre a été l’opportunité de changer complètement de carrière. « Auparavant, j’étais manager chez Colruyt. J’en ai eu marre de cette vie-là et l’annonce de Novaterre est arrivée au bon moment. Quand j’ai été engagé, certains agriculteurs étaient un peu sceptiques sur mon profil. Aujourd’hui, ils ont l’air contents, sourit-il. Mon grand-père était agriculteur mais moi je n’avais aucune expérience agricole, sauf un peu pour les moissons en été. La première année, c’était difficile physiquement. C’est comme reprendre le sport ; il faut le temps que le corps s’habitue. Maintenant, j’ai pris le rythme. Je me sens vraiment épanoui. »

Pierre Neuray, gérant d’une société de conseil qui aide à la création de groupements d’employeurs, en est convaincu : « Les avantages des groupements d’employeurs sont multiples, et pas spécifiques au milieu agricoleIls permettent de trouver du personnel sur le long terme, compétent, motivé. En mutualisant les besoins, de petites structures peuvent bénéficier d’un travailleur spécialisé même pour des besoins sporadiques. »

Le travailleur jouit d’un contrat stable (avec un minimum légal de 19 heures par semaine) tandis que les entreprises qui recourent à ses services ont juste une facture à payer chaque mois au prorata des heures prestées chez elles. Le groupement peut se charger de dénicher des aides à l’emploi. Bien sûr, plus un groupement compte d’utilisateurs, mieux celui-ci peut s’adapter à des besoins très fluctuants en faisant jongler les travailleurs entre les postes.

Quarante groupements d’employeurs

D’après le SPF Emploi, fin mai 2021, la Belgique comptait quarante groupements d’employeurs, dont neuf reliés aux commissions paritaires de l’agriculture et de l’horticulture.

« Le mécanisme est peu connu. Ceux qui veulent y recourir pensent que c’est compliqué, et puis ce n’est pas leur métier de chercher d’autres employeurs aux besoins complémentaires aux leurs, constate Pierre Neuray, qui est aussi fondateur du Centre de ressources pour les groupements d’employeurs en Wallonie. Il faut des structures dont l’objectif est de rendre des services à leurs membres, comme une fédération ou une union professionnelle. Il faut de la transparence, de la confiance. Mais une fois que les groupements sont mis en place, généralement ils durent. »

Concrètement, le groupement d’employeurs doit prendre la forme d’une ASBL (ou d’un groupement d’intérêt économique mais la réforme du Code des sociétés a abrogé cette forme d’entité juridique avec un régime transitoire d’application jusque fin 2023). C’est cette structure qui est l’employeur légal des travailleurs qu’elle met à disposition de ses membres. Au préalable, il faut obtenir une autorisation du ministre de l’Emploi. Un rapport d’activités doit en outre être transmis chaque année au SPF Emploi.

La Ferme de Goyet à Jemeppe-sur-Sambre mobilise environ 10 équivalents temps plein, dont deux via un groupement d’employeurs. © Ferme de Goyet

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