L’objectif du master en agroécologie n’est pas de former des techniciens hyper spécialisés, mais bien des agroécologues capables d’analyser les systèmes agricoles et alimentaires de manière globale. © Adobe Stock

Cursus en agroécologie : se donner les moyens de ses ambitions

En Fédération Wallonie-Bruxelles, un master en agroécologie a su se faire une place dans le paysage universitaire. Mais ce cursus n’a pas été intégré au parcours de bioingénieur et semble plus être le fruit de l’abnégation de certains professeurs que d’un réel soutien institutionnel ou facultaire. Pourtant, les étudiants ne tarissent pas d’éloges au sujet de cette formation qui s’assume être en rupture. Plusieurs dizaines d’entre eux ont même interpellé les autorités facultaires… sans obtenir la moindre réponse. 

Sang-Sang Wu, journaliste | sang-sang@tchak.be

Depuis mars 2021, Mehdi Lassoued travaille pour les Loco-Motivés, une association située dans le département de l’Aveyron(France) et qui distribue les paniers de 50 producteurs locaux. Si c’est en France que le jeune homme a trouvé son premier emploi, c’est bien en Belgique qu’il a fait ses études, puisqu’il est diplômé du master interuniversitaire en agroécologie organisé par Gembloux Agro-Bio Tech (ULiège), l’École de bioingénierie de Bruxelles (ULB) et AgroParisTech (Université Paris-Saclay). « Le cursus a été bien au-delà de mes attentes, il a eu un côté bouleversant. Beaucoup de mes camarades de cours partagent ce constat. Ce que j’ai vraiment aimé, c’est qu’il s’agit d’une formation transdisciplinaire où les différents champs d’étude discutent entre eux. Il y a une cohérence globale car de par ses principes, l’agroécologie n’est pas cloisonnée. »

Lorsqu’il fait les visites de fermes pour intégrer de nouveaux producteurs ou lorsqu’il anime les réunions entre ceux-ci, Mehdi se sent tout à fait outillé pour accompagner les acteurs dans leur recherche de stratégie collective. Et composer avec d’éventuelles résistances. « Tout ce que j’ai appris dans ce master me sert de manière indirecte. Je ne suis pas aussi opérationnel et technique qu’un ingénieur, mais j’ai cette vision d’ensemble et cette ouverture d’esprit qui me permet de prendre en compte les différents types de producteurs et de comprendre leurs représentations du métier. »

Contrairement aux études de bioingénieur, le master en agroécologie ne délivre pas le prestigieux titre de bioingénieur. Il est aussi différent de par le public qu’il attire : les étudiants peuvent venir de n’importe quel baccalauréat initial, moyennant éventuellement un bloc de cours supplémentaires pour compléter leur base scientifique. Cette diversité se marque aussi au niveau de l’âge et de l’expérience des étudiants. « Nous avons trois grandes catégories, décrit Pierre Stassart, professeur de sociologie et cheville ouvrière de ce master. Il y a des étudiants diplômés de haute école d’agriculture, il y a des gens de 30-40 ans en reconversion, et il y a enfin des jeunes diplômés qui n’ont pas de bagage agricole mais qui s’intéressent à l’agroécologie. » De l’avis des professeurs mais aussi des étudiants eux-mêmes, cette diversité de profils constitue la force de ce master. 

La construction du programme reflète la volonté des initiateurs d’en faire une formation décloisonnée puisque le premier quadrimestre est consacré aux sciences humaines et se déroule sur le campus d’Arlon (ULiège). S’ensuivent deux quadrimestres mêlant techniques et sciences sociales, entre Gembloux, Arlon et Bruxelles. Le dernier quadrimestre est réservé à la réalisation du travail de fin d’études. 

Décentrer le regard 

« L’enjeu du quadrimestre à Arlon est de leur faire comprendre que la technique n’est pas neutre. Cela signifie que quand vous choisissez une technique parmi X options, cela repose sur certaines valeurs et cela peut vous rendre soit autonome, soit dépendant », indique Pierre Stassart. Les approches interdisciplinaires visent à insuffler aux étudiants l’envie d’appréhender les systèmes de production et alimentaires dans toute leur complexité, en vue d’accompagner la transition agroécologique. « Le “bloc socio” était vraiment très intéressant et m’a permis d’aborder le reste du cursus avec un œil totalement différent, en particulier pour suivre les cours donnés à Gembloux », confirme Noé Vandevoorde, diplômé du master en agroécologie et actuellement en thèse à l’UCLouvain[1], où il étudie les trajectoires pour une diminution de l’utilisation des pesticides en province de Luxembourg. 

Grâce à cette interdisciplinarité, les étudiants rencontrés affirment mieux comprendre d’où viennent les blocages du milieu agricole et avoir développé leur esprit critique. « Il y a des chercheurs qui étudient les verrouillages socio-techniques et la théorie du changement, à savoir ce qui fait qu’un paysan passe de l’agriculture conventionnelle au bio. Ce master a vraiment changé ma vision du monde paysan, de l’agronomie et de l’agroécologie », s’enthousiasme Mélissa Moles, étudiante. 


Ce chapitre 1 – dont vous avez pu lire 30% en accès libre – fait partie de notre enquête «Les profs à côté de la fac !» est à la une du 12° numéro de Tchak (hiver 22-23). Elle donne la parole aux étudiants, aux professeurs, aux autorités facultaires. Elle comporte cinq chapitres :

1. Témoignages : les étudiants déplorent des cours trop centrés
sur l’aspect technique et le productivisme.
2.Analyse : les freins qui bloquent l’évolution des cursus.
3.Focus : master en agroécologie, une filière sans véritable soutien.
4.Interview :« Beaucoup de profs n’ont pas fait de mutation mentale ».
5.Regard : la fronde s’étend également aux facs de sciences-économques.

[1] L’Université catholique de Louvain-la-Neuve.