Les freins à l’évolution des cursus universitaires sont nombreux et d’ordre organisationnel, logistique et économique. L’un des leviers est l’arrivée de jeunes professeurs qui vont questionner les contenus et les pratiques. En apportant de nouveaux enseignements, les choses changent petit à petit. Trop lentement ? À quel point les professeurs doivent-ils adapter leurs cours ?
Sang-Sang Wu, journalistes | sang-sang@tchak.be
Elle pourrait faire penser à une vieille dame : peu mobile, attachée à son long passé, lorgnant la modernité avec suspicion. L’Université apparaît à certains étudiants comme dépassée, en décalage avec son temps et les enjeux environnementaux actuels. Son incapacité à réagir à l’urgence irrite une frange de la jeune génération désireuse de changements radicaux dans les programmes de formation. Et elle ne saisit pas toujours où se situent les points de blocage.
Du côté du corps professoral, on reconnaît qu’il y a eu, jusqu’à récemment, un certain conservatisme dans les mentalités, mais qu’il en est autrement à l’heure actuelle. « Je ne me suis jamais retrouvée avec des collègues qui me disaient que j’étais chiante avec mon agriculture biologique, partage Cécile Thonar de l’ULB[1]. Il y a dix ans, je vous aurais peut-être répondu différemment. Mais aujourd’hui, on est beaucoup à dire qu’on ne peut plus enseigner l’agriculture comme on le faisait il y a 20 ou 30 ans. »
« En 2013, le doyen m’avait demandé de faire la leçon inaugurale de la rentrée académique sur l’agriculture urbaine, se remémore Haïssam Jijakli (Gembloux Agro-Bio Tech). Mes collègues m’avaient alors dit “Mais avec quoi tu viens ?” Il y avait un manque de connaissance, de compréhension et d’intérêt pour le sujet. Il n’était pas facile d’amener des choses nouvelles. »
Les départs à la retraite des professeurs plus anciens ne sont pas étrangers à cette réorientation dans les domaines de recherche. De nouvelles perspectives apparaissent lors de l’engagement de jeunes enseignants. Car si, traditionnellement, le successeur d’un professeur était son « poulain » ou du moins quelqu’un partageant la même approche, ce lien est beaucoup plus ténu aujourd’hui et les procédures de recrutement sont de plus en plus ouvertes, avec une mise en concurrence internationale.
« D’après moi, le principal verrou à la modification des cursus est que l’on doit faire évoluer les cours avec des enseignants qui sont là et qui ont leur opinion, décrit Frédéric Debaste, président de l’École de bioingénierie de Bruxelles (ULB). On nomme un professeur à un moment donné pour donner une certaine charge de cours, puis les besoins évoluent et on ne peut pas dire qu’on va en engager un autre pour le remplacer. » Il admet qu’il faudrait davantage de flexibilité dans l’attribution des cours pour avoir un ensemble cohérent dans l’enseignement.
Des profs de 30 ans
Pour autant, il lui semble sain que tous ses collègues n’aient pas forcément la même opinion. « Il restera des cours à l’ancienne car il y aura toujours des profs de 40 et de 60 ans à l’université, tout comme il y aura toujours des médecins ou des avocats de 40 et de 60 ans dans la société, c’est la vie. Si on veut absolument que ça soit hyper moderne, on n’a qu’à mettre que des profs de 30 ans à l’université… », ironise Philippe Baret, professeur à la Faculté des bioingénieurs de l’UCLouvain.
Ce chapitre 1 – dont vous avez pu lire 30% en accès libre – fait partie de notre enquête «Les profs à côté de la fac !» est à la une du 12° numéro de Tchak (hiver 22-23). Elle donne la parole aux étudiants, aux professeurs, aux autorités facultaires. Elle comporte cinq chapitres :
1. Témoignages : les étudiants déplorent des cours trop centrés
sur l’aspect technique et le productivisme.
2.Analyse : les freins qui bloquent l’évolution des cursus.
3.Focus : master en agroécologie, une filière sans véritable soutien.
4.Interview : « Beaucoup de profs n’ont pas fait de mutation mentale ».
5.Regard : la fronde s’étend également aux facs de sciences-économques.
[1] Université Libre de Bruxelles.