Voici BIGH, la ferme urbaine qui a tout pour plaire. Nichée sur un toit en plein cœur de Bruxelles, elle serait pionnière en aquaponie et en économie circulaire, et donc un exemple à répliquer dans d’autres grandes villes européennes. Un modèle, aussi, pour Bruxelles-Capitale qui a mis la main à la poche. Une façade, surtout, en trompe-l’œil : aux commandes, une multinationale française et une entreprise virtuellement en faillite.
Claire Lengrand, journaliste | claire.lengrand@hotmail.fr
« C’est une vraie catastrophe, cette entreprise ne marche pas. » C’est le constat sans appel dressé par l’expert-comptable sollicité par Tchak pour analyser les comptes annuels 2021 de BIGH Anderlecht, société à la tête de « la plus grande ferme urbaine en aquaponie d’Europe », comme l’ont déjà titré de nombreux médias.
Selon lui, tous les voyants sont au rouge. À commencer par la date de validation des comptes 2021 par l’Assemblée générale, le 18 août 2022, alors que la limite légale est fixée au 30 juin. Un manquement qui pourrait laisser entrevoir un mouvement de panique. Il y a de quoi : la société cumule une dette totale de 3,5 millions d’euros, ce qui dépasse de loin la valeur des actifs immobilisés, d’un montant de 2,6 millions d’euros.
« C’est anormal. La situation est déséquilibrée. Cela veut dire qu’aujourd’hui, vendre la ferme ne suffira pas à rembourser les dettes », commente l’expert. Et d’ajouter : « Il y a quelque chose d’inquiétant et de perturbant. Un banquier ne va jamais mettre de l’argent là-dedans ».
Sur le toit de Foodmet
Là-dedans, c’est quoi exactement ? BIGH Anderlecht est une ferme urbaine de 4.000 m² située sur le toit de FoodMet, la halle alimentaire du site des Abattoirs. Sa particularité : son mode de production se base sur l’aquaponie.
Au début, le projet semblait prometteur. Les investisseurs n’ont d’ailleurs pas lésiné sur les moyens. « La mise de départ était de 1,8 million d’euros. Les actionnaires ont estimé qu’il fallait au moins ça pour démarrer et donner ses chances au projet. Cela souligne qu’ils ont cru dans l’affaire », relève notre expert-comptable.
Parmi ces actionnaires figure un acteur public, la SRIB (Société Régionale d’Investissement Bruxellois). En avril 2018, le pôle de financement octroie un chèque de 500.000 €, via sa filiale BruStart, à la start-up BIGH, soutenant « son besoin en fonds de roulement et pour le développement de son projet-pilote »[1].
Qu’a-t-il bien pu se passer chez BIGH, depuis sa création en 2015, pour en arriver à un bilan économique aussi désastreux ?
« L’investissement de base est important, la rentabilité financière prend donc du temps. On a un gros emprunt à rembourser », nous confie Audrey Boucher, gestionnaire de la ferme d’Anderlecht depuis novembre 2022, pour justifier le montant colossal de la dette.
Ces chiffres contrastent avec le discours des prémisses, lorsque le fondateur de BIGH, Steven Beckers, présentait en 2018 son poulain comme « l’exemple d’une démonstration forte de l’économie circulaire, économiquement rentable, dont la production alimentaire saine, transparente, de qualité et locale, est en symbiose avec son environnement urbain »[2]. Qu’en est-il, dans les faits ? Ce dernier est-il en phase avec les enjeux alimentaires et agricoles contemporains ?
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Bigh: un coût de fabrication important
Lors de la création de la société BIGH en 2015, ses fondateurs voient les choses en grand. Leur ambition est de déployer un réseau de fermes urbaines aquaponiques intégrées à des bâtiments existants, en se basant sur les principes de l’économie circulaire. Objectif : optimiser et accroître la valeur immobilière de ces immeubles tout en « rendant la ville plus productive » sur le plan alimentaire.
4,3 millions d’euros sont récoltés par la société-mère BIGH Holding via une levée de fonds auprès d’investisseurs majoritairement privés, et avec le soutien de la Banque BNP Paribas Fortis. 2,7 millions d’euros servent à construire la première de ces fermes : BIGH Anderlecht, en plein cœur de Bruxelles.
Outre le coût de l’infrastructure – qui comprend une dalle en béton, une serre et un jardin extérieur de chacun.e 2.000 m² et des bureaux démontables –, l’emplacement même de la ferme, sur le marché couvert du site des Abattoirs, fait grimper la facture.
« Le coût de construction et de fonctionnement d’une ferme sur un toit est beaucoup plus élevé que sur le sol, affirme Johan Cousin, gestionnaire de la construction du site entre 2016 et 2019. Les travaux d’étanchéité coûtent plus cher et la logistique est plus complexe car il faut tout sortir par l’ascenseur. À la longue, ça demande plus de temps et d’argent. »
Surcoût de cette configuration ? Entre 500.000 et 800.000 €, estime le consultant. À cet investissement massif s’ajoutent d’autres frais : la société BIGH loue la surface de toiture sur laquelle se trouve la ferme, et paye son électricité, produite via des panneaux photovoltaïques, au propriétaire du site, c’est-à-dire la société des Abattoirs.
[1] Selon un article paru sur le site internet de la SRIB le 04/10/2018 : Grand prix Green Infrastructure Belgique pour BIGH – finance&invest.brussels
[2] Citation tirée du dossier de presse réalisé par la société BIGH le 23/04/2018
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