Journalisme et éleveur de porcs
Certains éleveurs conventionnels de porcs, voudraient que les médias ne parlent pas de leur filière et de ce à quoi elle est confrontée.. © Adobe Stock

« À cause de journalistes comme vous, les gens vont mourir de faim! »

Les éleveurs de porcs conventionnels n’aiment pas trop les journalistes. Ces fouille-merde relayent des pétitions contre des porcheries, parlent de bien-être animal sans rien savoir du comportement d’un cochon, dénigrent le savoir-faire local alors qu’il est l’un des plus encadré au monde, pensent qu’on va nourrir la planète avec des élevages de trois cochons dans une cahute en plein air. Pourquoi leur confieraient-ils que leurs affaires vont mal ? Pourquoi prendraient-ils le risque de s’épancher sur leurs relations commerciales ?  

Commentaire | Clémence Dumont, journaliste 

Environ la moitié des producteurs que j’ai contactés ont refusé de m’exposer leur point de vue sur le Belgian Pork Group (BPG), le plus souvent sans justification. Ce sont les réactions de quelques fermiers qui connaissaient Tchak qui m’ont aidée à comprendre. L’un m’a dit : « Je ne veux pas vous parler, ça ne sert à rien. Vous avez trop de biais ».

Un autre, plus loquace, a accepté de se livrer mais ne m’a pas épargnée : « On essaye de bien faire notre boulot et on n’arrête pas de nous démolir. Qu’on nous foute la paix et qu’on nous laisse produire bon marché ! Si demain tous les agriculteurs passent au bio, je peux vous dire que certains vont crever de faim. À cause de journalistes comme vous, les gens vont mourir de faim ! »

Ce commentaire fait partie de notre enquête sur la façon dont le Belgian Pork Group défend son bout de gras ( Tchak numéro 13 – printemps 2023)

Alors que j’avais à peine ouvert la bouche, un précédent article paru dans Tchak avait parlé pour moi : un billet d’humeur dans lequel je dénonce la publicité mensongère de Marcassou à propos de son label « Cochon bien-être », un label dont le BPG est partenaire ainsi que… les deux éleveurs cités (entre autres). J’ai eu beau souligner que mon courroux visait Marcassou et non eux, qui sont les victimes de sa communication fallacieuse, j’étais déjà cataloguée comme une opposante. « Les publicités ne disent jamais la vérité, on le sait bien. C’est à nous que votre article porte préjudice », a même soutenu le premier d’entre eux.

Ces interpellations m’ont semblé révélatrices de la façon dont les éleveurs conventionnels se sentent agressés par la société et, singulièrement, par les médias. Par ailleurs, ceux-ci sont plus prompts à blâmer la grande distribution et les consommateurs que leurs clients directs. Un producteur m’a assuré qu’il était sans intérêt d’écrire un article sur le BPG parce que ce groupement ne fait qu’agir selon le marché. « Le problème, ce n’est pas le BPG mais les grandes surfaces qui font la pluie et le beau temps », m’a-t-on également répété.

En fait, ce qui les irrite au plus haut point, ce sont les injonctions contradictoires qu’ils perçoivent : « Le consommateur ne veut pas de porcherie à côté de chez lui parce que ça pue. Il demande que les cochons aient plus de place, qu’on améliore leur bien-être. Mais il veut du cochon pas cher ! »

Dans ce contexte, beaucoup en sont persuadés : la priorité n’est pas de documenter un système inextricable, mais de montrer combien ils se donnent de la peine pour nous nourrir au mieux. Au fond, « achetez local » serait le seul message qui vaille pour renforcer leur pouvoir.

Acheter local ne suffit pas

Pourtant, les supermarchés achètent déjà essentiellement du porc local et ils le clament de plus en plus fièrement. Pourtant, le porc conventionnel belge a du succès dans les chariots. Pourtant, nos éleveurs eux-mêmes comptent sur les exportations car le marché belge ne suffit pas à avaler tous leurs porcs.

Acheter local ne suffit pas. Il est temps de sortir d’un système qui broie inexorablement les agriculteurs et, pour mieux en changer, il faut connaître ceux qui contribuent à le fortifier. 

Le Belgian Pork Group n’est évidemment pas le seul responsable de la situation des éleveurs porcins. Mais n’a-t-il pas quelques cartes en main pour peser en faveur de prix plus justes, quitte à ce que la facture finale incite à manger moins de viande ? Est-il si illusoire d’imaginer une autre répartition des marges tout au long de la chaîne ?

Au terme de cette enquête, je reste avec une autre question, plus personnelle : comment stimuler le changement sans renforcer les barrières entre groupes sociaux ? Les éleveurs porcins m’ont paru d’autant plus arc-boutés sur leur position qu’ils souffrent d’un manque de reconnaissance. Je comprends leur amertume. Mais je ne veux pas me résigner : collectivement, nous pouvons mieux faire !


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[1] https://tchak.be/index.php/2022/07/22/marcassou-sigma-aoste-bridou-come-a-casa-apaqw (article également publié dans le n°10 de Tchak).