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« L’AFSCA s’adapte déjà aux petits producteurs »

L’AFSCA, l’Agence fédérale pour la sécurité de la chaîne alimentaire, fait déjà tout ce qu’elle peut pour soutenir les petits producteurs et le circuit court, soutient sa porte-parole Aline Van den Broeck. C’est le point de vue que celle-ci a défendu lorsque nous l’avons interrogée dans le cadre de notre enquête Petits producteurs vs AFSCA: faux scandales, vrai malaise publiée dans le 15° numéro de Tchak (automne 2023). Un échange auquel nous vous donnons accès en complément de ce dossier.

Interview | Clémence Dumont, journaliste

Aline Van den Broeck, vous êtes porte-parole de l’AFSCA. Depuis des années, le développement du circuit court est freiné par la réglementation sanitaire et son contrôle par l’AFSCA. L’AFSCA s’en soucie-t-elle ? Ne pourrait-elle pas davantage se saisir de sa marge de manœuvre ou au moins alerter les autorités politiques à ce sujet ?

L’Agence est consciente des inquiétudes économiques des petites structures. Néanmoins, la mission qui lui a été confiée par le législateur est d’assurer la sécurité des consommateurs. Cette mission ne peut pas passer après les intérêts économiques. Il faut savoir que de nombreuses exigences proviennent de la législation européenne. Lorsque la législation européenne le permet, l’AFSCA applique déjà des assouplissements pour les petits opérateurs. De plus, des contrôles sont parfois reportés lorsqu’un inspecteur remarque qu’un opérateur est dans des difficultés familiales, émotionnelles, etc. On peut donc parler d’une AFSCA à visage humain, et non d’une machine à contrôler. Concernant plus spécifiquement le circuit court, l’AFSCA et le ministre fédéral de l’Agriculture David Clarinval ont lancé en 2022 un groupe de travail avec le secteur. 

Dans quel but ?

Le but de ce groupe est de rechercher des solutions constructives et qui peuvent être acceptées par toutes les parties concernées, en restant dans le cadre de la législation européenne. Cette initiative a été lancée pour plusieurs raisons : le circuit court avait des commentaires à formuler concernant l’activité de contrôle de l’AFSCA et, d’autre part, tant le ministre Clarinval que l’AFSCA ont constaté que le secteur du circuit court prenait de plus en plus d’importance et qu’il avait des particularités qu’il serait utile d’accompagner plus étroitement. Il en a résulté un plan d’action concret qui a été soumis au ministre.

Les membres du groupe de travail représentant le circuit court, dont le Collectif 5C et Diversiferm, disent ne pas avoir reçu de copie de ce document. Pourriez-vous nous le transmettre ?

Le PV des réunions a été adressé à tous les représentants du secteur. Le plan d’action n’est pas un document public.

Depuis lors, presque rien n’a changé et le cabinet du ministre Clarinval a indiqué à Tchak qu’il ne fallait pas s’attendre à d’importantes révisions législatives avant plusieurs années. En attendant, les boucheries qui vendent à des coopératives de distribution en circuit court, par exemple, doivent toujours obtenir le même agrément que des boucheries qui exportent dans le monde entier, avec à la clé des exigences jugées disproportionnées. 

L’impact de cet agrément sur les boucheries a été l’un des sujets abordés par le groupe de travail. L’obligation de disposer d’un agrément découle d’une réglementation européenne harmonisée. En Belgique, le législateur a prévu des exceptions qui permettent déjà à certains opérateurs de se contenter d’une simple autorisation [pour ceux qui vendent en direct et non via des structures de distribution, ndlr]. Récemment, l’AFSCA a revu la fréquence des inspections dans les établissements de viande et de poisson. Les nouvelles règles tiennent compte des très petites entreprises pour lesquelles une moindre fréquence d’inspection et une durée d’inspection plus courte ont été prévues par rapport à la fréquence d’inspection de base. Les petits opérateurs bénéficient aussi de fréquences d’échantillonnage assouplies.

+++  Le circuit court pris en étau… Un chapitre de notre enquête Petits producteurs vs AFSCA : faux scandales, vrai malaise publiée dans le 15e numéro de Tchak (automne 2023).

Les coûts à supporter en raison des exigences sanitaires restent néanmoins très lourds pour les petites structures, comme les abattoirs et ateliers de découpe adaptés aux élevages de taille modeste, dont le circuit court a besoin pour se développer. N’est-il pas possible d’aller plus loin ? Le groupe de travail a identifié plusieurs points sur lesquels la Belgique a une marge de manœuvre. 

De notre côté, on reste ouverts à la révision de certaines exigences, comme la température maximale requise dans les ateliers de découpe, si le secteur peut montrer via une étude validée par le Comité scientifique institué au sein de l’AFSCA que le même niveau de sécurité alimentaire est garanti. 

Ce qui va demander de l’argent et du temps… L’AFSCA et le pouvoir politique sont-ils conscients de l’urgence des changements réclamés par le secteur du circuit court, dont des projets s’éteignent chaque année parce qu’ils seraient hors de prix dans le cadre légal actuel ? 

Je ne vais pas répondre au nom du pouvoir politique. Comme je vous l’ai déjà dit, l’AFSCA est bien consciente des questions et difficultés de ce secteur. C’est bien pour cette raison que le groupe de travail a été créé. Il en a résulté un plan d’action concret. 

Une autre source de contrariété pour les acteurs et actrices du circuit court, dont les productions sont souvent diversifiées, c’est de bien comprendre toutes leurs obligations, tant les règles sont complexes. Que fait l’AFSCA pour les y aider ?

L’Agence dispose d’une cellule de vulgarisation et d’accompagnement qui est à la disposition de tous les opérateurs, qu’ils soient actifs dans le secteur de la distribution, de la transformation ou de la production primaire. Chaque année, environ 120 questions lui sont posées par des agriculteurs. La cellule organise également des sessions d’information. Ces dernières années, elle a notamment mis le focus sur la commercialisation des colis de viande à la ferme, les nouveaux modes d’élevage des poules pondeuses et les maraîchers. En 2023, la Fédération des jeunes agriculteurs (FJA) a sollicité la cellule pour des sessions d’information dédiées aux jeunes agriculteurs qui vont reprendre une exploitation familiale ou qui souhaitent diversifier leurs productions.

+++ L’AFSCA veut-elle la peau du lait cru ?… Le second chapitre de notre enquête Petits producteurs vs AFSCA : faux scandales, vrai malaise publiée dans le 15e numéro de Tchak (automne 2023). 

Dans la tête d’une grande partie des consommateurs et consommatrices, l’AFSCA reste assimilée à une « tueuse de petits producteurs ». Certaines affaires, comme celle du fromage de Herve de José Munnix en 2015 ou la destruction de tartes à Ellezelles en 2013, y ont fortement contribué. Depuis lors, l’AFSCA a-t-elle réévalué sa politique en matière de saisie de nourriture ?

Les produits alimentaires qui présentent un risque pour les consommateurs ne peuvent pas être mis sur le marché. Mais l’AFSCA n’ordonne pas la destruction de denrées alimentaires si ce n’est pas nécessaire. Le risque est pris en compte dans chaque décision.  L’Agence propose régulièrement que des produits saisis soient transformés afin d’éviter le gaspillage. Par exemple, pour revenir sur le dossier des fromages de Herve au lait cru saisis en 2015, l’AFSCA avait proposé au producteur de transformer ses fromages pour ne pas engendrer de trop grandes pertes financières ni de gaspillage inutile. 

Notre enquête montre qu’il arrive que l’AFSCA saisisse des produits par mesure de précaution, alors qu’il s’avère après analyse que ceux-ci étaient sans danger. Dans pareil cas, les producteurs ne reçoivent aucun dédommagement. Pourquoi un fonds compensatoire n’est-il pas mis en place ?

Dans le secteur animal, il existe plusieurs fonds d’indemnisation financés par les contributions des opérateurs auxquels ceux-ci peuvent faire appel lorsqu’un abattage d’animaux malades est ordonné par les autorités. La loi détermine précisément de quelles maladies il s’agit. Ces fonds peuvent, dans des cas bien précis, intervenir aussi pour certains produits dérivés comme le lait ou la viande [toutes les maladies animales ne sont donc pas couvertes et ces fonds ne visent pas à indemniser les producteurs dont les produits périssables ont été saisis à titre conservatoire alors que le problème suspecté n’était pas avéré, ndlr]. Dans le secteur végétal, il existe un fond de solidarité pour les producteurs de pommes de terre [en cas de contamination par certains organismes nuisibles, ndlr].

+++ L’AFSCA veut-elle la peau du lait cru ?… Le second chapitre de notre enquête Petits producteurs vs AFSCA : faux scandales, vrai malaise publiée dans le 15e numéro de Tchak (automne 2023). 

Le budget de l’AFSCA est-il suffisant pour mener à bien toutes ses missions ?

Nous essayons sans cesse de nous adapter à un contexte budgétaire sous pression, mais on ne peut pas s’adapter à l’infini. Depuis 2014, nos moyens étatiques – à savoir la dotation qui représente plus de la moitié du budget total de l’Agence – ont été diminués année après année puisqu’ils ont augmenté moins fortement que l’inflation. En termes de ratio dotation/recettes privées, on est passé de 64% en 2007 (après un refinancement important de l’AFSCA) à 53,2% en 2023. Les contributions et rétributions qui émanent des opérateurs que nous contrôlons, elles, sont globalement stables. Les budgets disponibles pour les études sont maintenus et sont suffisants, malgré ce cadre budgétaire très serré. Mais nous ne pouvons pas nier que c’est de plus en plus difficile et que cela a un impact sur la réalisation de notre mission, en particulier les inspections et la surveillance mais aussi la prévention des incidents sein de la chaîne alimentaire. 

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