Un don de 100 000 kg de pommes de terre wallonnes au secteur de l’aide alimentaire… C’est l’annonce faite par le gouvernement wallon récemment. Objectif : écouler une partie du stock bloqué suite à la fermeture des marchés.
Yves Raisiere, journaliste | yrai@tchak.be
Beau geste, mais seulement en apparence, tant ces 100 000 kg distribués gratos sont l’arbre qui cache la forêt.
Comme Tchak! l’expliquait dans sa première enquête, la Belgique est devenue le plus gros exportateur de pommes de terre surgelées (2,6 millions de tonnes en 2019). Dopé par les aides européennes, un juteux business qui entraîne une hausse des prix de la terre, un épuisement des sols et un impact sur la santé et l’environnement, la culture de patates demandant énormément de produits phytosanitaires.
+++ A lire dans le numéro 1 de Tchak! : la ruée vers la patate
Ce n’est pas prêt de s’arranger. La consommation mondiale de pommes de terre pourrait exploser d’ici 2025. En cause, le développement de la restauration rapide en Asie, au Moyen-Orient et en Amérique latine. Bingo pour les exportateurs belges qui voient s’ouvrir de nouveaux marchés au Brésil, au Chili, en Colombie, etc.
En corollaire, on l’a vécu chez nous, l’asservissement des paysans locaux à une industrie qui, course au rendement oblige, exige qu’ils abandonnent des souches historiques au profit de variétés européennes. Un comble pour les producteurs d’Amérique latine dont les ancêtres ont cultivé les tout premiers tubercules.
On exagère ? Voyez la Colombie. Les exportateurs belges (notamment) de patates doivent y payer une taxe « anti-dumping » parce qu’ils déversent sur le marché des tonnes de frites surgelées à prix cassés.
C’est donc cette industrie destructrice que le gouvernement wallon soutient indirectement. Avec l’aide du Collège des producteurs, de la Fédération wallonne de l’agriculture (FWA) et de l’Agence wallonne pour la promotion d’une agriculture de qualité (APAQ-W).
Ces quatre organismes dénoncent pourtant depuis longtemps le projet d’accord de libre-échange entre l’Union européenne et les pays du Mercosur (Argentine, Brésil, Paraguay et Uruguay). Un point les hérissent : ce traité autorisera l’importation d’au moins 99 000 tonnes de viande bovine en Europe.
Quel paradoxe ! D’un côté, peu d’état d’âme pour soutenir une industrie agro-alimentaire qui casse des filières locales à l’autre bout de la planète ; de l’autre, une levée de boucliers pour empêcher ces mêmes pays d’exporter du bœuf chez nous.
Même grand écart pour Willy Borsus (MR) et Christie Morreale (PS), ministres wallons de l’Agriculture et de l’Action sociale. Tous deux ont budgété 30 000 € pour financer l’opération alors qu’ils ont répété leur opposition au Mercosur. On appelle ça couper la patate en deux.