« Nous la mangerons, c’est la moindre des choses » : un film dont on ne sort pas indemne

« Nous la mangerons, c’est la moindre des choses »… Un documentaire-événement présenté au Grignoux (Namur) le mercredi 16 septembre. Elsa Maury, la réalisatrice, y livre un rencontre pleine d’humanité sur Nathalie, une bergère qui a décidé d’accompagner ses brebis jusqu’au bout : de la naissance à l’assiette. Nous l’avons rencontrée à Bruxelles. Interview.

Catherine Dethine, journaliste | catherinedethine.cd@gmail.com

« Nous la mangerons, c’est la moindre des choses »… Un documentaire qui a remporté plusieurs prix, et qui sera diffusé aux Grignoux le mercredi 16 septembre (lire ci-dessous). Elsa Maury, la réalisatrice, y suit Nathalie, bergère dans le Piémont Cévenol.

Une éleveuse, explique le pitch du film, « qui aime et mange ses moutons avec attention. Elle est prise sans relâche dans une interrogation à propos des manières de bien mourir pour ces êtres qui nous font vivre. » Et de poser la question: « Quel goût à la tendresse ? »

Nous avons rencontré Elsa Maury. Interview.

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Elsa Maury, quelle est la genèse de « Nous la mangerons, c’est la moindre des choses » ?

Ce documentaire s’inscrit en fait dans le cadre d’une thèse en arts et sciences de l’art «Entre art et ethnographie, raconter et rendre compte de pratiques de vies et de morts (élevage et abattage) » (ERG-ULiège). C’est offrir une représentation, une visibilité de la mort des animaux  au travers d’une alternative à l’abattoir.

Comment s’est opéré le choix de Nathalie Savalois, la bergère?

Je la connaissais avant le documentaire. Elle était chercheuse anthropologue et, entre-temps, elle est devenue bergère. Le temps de trouver les financements, de retrouver Nathalie, cela a pris du temps. C’est en toute logique que j’ai commencé avec elle. Au départ, je souhaitais rencontrer d’autres personnes mais ma démarche s’est vite avérée immersive. Cela a duré trois ans avec des allers et retours entre Bruxelles et le Piémont cévenol.

L’affiche du film

Quelle a été votre approche ?

Je ne voulais pas d’interview face caméra. Je n’avais pas envie d’être en « psychologisation » du : « pourquoi on tue ? ». Elle m’hébergeait. J’étais plus une présence, une aide mais, en aucun cas, un regard inquisiteur. J’étais à côté d’elle, derrière elle. Parfois, je tenais la caméra d’une main et je touchais une brebis de l’autre. Les textes qui apparaissent, ce sont nos échanges de mails. C’est de l’ordre de l’échange privé, du registre du sensible, de l’accompagnement. Je ne souhaitais pas une approche chronologique, au fil des saisons. Ces échanges par mail m’ont permis d’avoir une continuité .

A  travers l’image, on vous sent physiquement proche des animaux.

Hormis la première scène à l’écran où j’ai utilisé un zoom, je filmais avec un petit appareil photo. Je travaillais sur la mort des animaux. C’est une question très impudique. Pour moi, il était important de garder une certaine pudeur et pour cela, il fallait que je rentre dans l’intimité des brebis. C’est une manière de parler de la mort.

Cette mort nous confronte à des images fortes.

En fait, j’ai filmé  « les toutes premières fois » de Nathalie. Avant ce documentaire, elle n’avait jamais tué ses animaux. C’est plein de tension. Cela soulève des questions qui sont  à fleur de peau, du type : « Comment est-ce qu’on peut bien faire ? ». Il n’y a pas de solution toute faite. La première fois que Nathalie a dû amené une bête à l’abattoir, elle a détesté l’endroit et les éleveurs qui se sont constitués en coopérative pour reprendre l’abattoir de Vigan (*) sont dans la même démarche.

Nathalie a une approche particulière de son métier.

Oui, elle travaille sans bergerie et sans compléments alimentaires. Elle les sort tous les jours et ce lien quotidien permet une relation de confiance. On n’est pas dans un logique d’engraissement. Ici, elle les accompagne, voit la manière dont elles sélectionnent les plantes. On voit les brebis devenir plus autonomes, que ce soit pour se nourrir ou se mouvoir. Et on voit ce lien qui s’établit avec cette femme qui est présente tous les jours. « Le plein air intégral » tout au long de l’année, ce n’est pas courant du tout.

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A-t-elle eu un  droit de regard sur le documentaire ?

Je lui ai montrée le film en cours de montage. Ce n’est pas des moments faciles qu’elle a vécus. On ne regarde pas ce type d’images par plaisir et elle avait peur de regarder certains passages.  Elle m’a offert  ses textes – elle écrit très bien !-  Elle m’a donné toute sa confiance.

S’il y a une chose à retenir de ce documentaire, quelle est-elle ?

Il n’y a pas de réponse simple et évidente. On n’est pas obligé d’être détaché pour tuer, pour manger. Ce n’est pas parce que l’on aime pas un animal qu’on le tue. Il n’y a pas d’opposition binaire.  Il y a des débuts de  vie qui commencent par la mort. Et des morts qui permettent de perpétuer la vie.  On n’oppose pas la vie à la mort.

* L’abattoir du Vigan à Alès (Gard), géré par la communauté de communes du Pays Viganais qui gérait l’abattoir, a fait l’objet d’un procès retentissant en 2017 suite à des cas de maltraitance dénoncés par l’association L214.  Fermé, il a été repris par des éleveurs de la région qui travaille dans le respect de l’animal.

Notre regard sur le film

On ne sort pas indemne de la vision de ce documentaire. Car la problématique est complexe. Entre les images très dures prises dans des abattoirs et le véganisme, il y a une foule de situations qui, à défaut de convaincre, doivent être prises en compte.

Ce questionnement, Nathalie l’intègre en permanence. Lorsqu’elle confie, dans un courriel : « Je disais à mes bêtes que je n’étais pas fière », ce n’est pas une formule de politesse, c’est une déchirure qu’elle assume. On a mal pour elle mais on ne peut s’empêcher d’admirer chacun de ses gestes posés avec amour sur ses « bêtes ». Des brebis qui portent chacune un nom et une histoire.

La réalisatrice Elsa Maury est consciente que son rôle n’est pas de convertir. Mais elle souhaite participer à ce mouvement de sensibilisation en présentant une solution. Elle n’est peut-être pas la plus confortable mais elle a le mérite d’exister au travers de Nathalie, cette bergère qui tente de guider son troupeau vers une issue plus paisible. Et de cela, elle peut en être fière.

Ce documentaire a déjà remporté plusieurs festival en 2020: