Quand vous achetez un produit chez Danone, plus de 20% du prix que vous payez finance la communication. La multinationale est l’un des acteurs de l’agrobusiness qui met le plus en avant son engagement social et environnemental. Une superbe vitrine. Sauf que dans les faits, on est très loin du compte.
Regard signé par Romain Gelin, chercheur au GRESEA (*) | romain.gelin@gresea.be
Fin mai 2020, Danone annonce en grande pompe qu’elle s’apprête à devenir la première « société à mission » cotée, ce que l’assemblée générale acte un mois plus tard. Pour la multinationale de l’agro-alimentaire, une énième opération de communication plus qu’une réelle volonté de changer de modèle. Rétroactes en cinq points pour éclairer ce constat.
Société à mission : quels engagements ?
Le statut de « société à mission » émane de la loi française PACTE de 2019, relative à la croissance et la transformation des entreprises. Il permet à une firme de se doter d’une « raison d’être » intégrant des missions sociales et/ou environnementales.
Concrètement, les sociétés à mission doivent instaurer un comité de mission[1] composé d’experts externes à la firme (environnement, santé, travailleurs, etc.). Le comité vérifie l’alignement des actions de l’entreprise avec ses engagements et peut se référer au tribunal de commerce en cas de manquement.
Dans les faits, la « raison d’être » est une notion juridique tellement floue qu’une entreprise ne sera jamais poursuivie pour non-respect de celle-ci. La loi ne prévoit d’ailleurs aucune sanction sinon le retrait de la qualification d’ « entreprise à mission ». Une sacrée punition !
+++ Cet article est au sommaire du numéro 4 de Tchak!
Selon Danone, cette nouvelle qualité ne modifie pas sa raison d’être, déjà « établie depuis 2005, [qui] est d’apporter la santé par l‘alimentation au plus grand nombre ».
Danone communique beaucoup sur ses performances sociales, environnementales et les nombreux programmes auxquels elle participe, souvent initiés par le monde des affaires (Champions123 contre le gaspillage, fondation Ellen MacArthur pour l’économie circulaire, Carbon Disclosure Project…).
Le groupe indique en outre que ses objectifs sont alignés avec les Objectifs du développement durable de l’ONU : « améliorer la santé des consommateurs ; renouveler les ressources de la planète (grâce notamment à une agriculture régénérative) ; encourager la participation des salariés, notamment via le programme “une personne, une voix, une action” ; et créer une croissance inclusive pour tout notre écosystème ». Rien que ça.
Danone espère aussi être entièrement certifiée B-Corp (pour Benefit Corporation) pour 2025. Pour l’heure, une petite vingtaine de ses filiales ont obtenu le statut, dont la belge[2]. Cette certification récompense des groupes pour leurs effets « bénéfiques » et leur « niveau d’exigence sociale et environnementale ». Le label est attribué par un organisme privé, B-Lab. Parmi les membres en charge de superviser les normes[3], on retrouve une certaine Marie De Muizon, Sustainability Integration Director chez Danone, à la fois juge et partie dans ce label.
Si ces programmes n’étaient pas tous volontaires, non-contraignants, et que Danone ne versait pas annuellement des centaines de millions d’euros de dividendes à ses actionnaires (et même 1,2 milliards d’euro en 2019 !), la communication du groupe laisserait presque penser que Danone est en passe de devenir une coopérative ou une ONG environnementale. Il n’en est malheureusement rien.
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Des pratiques environnementales qui laissent à désirer
Danone façonne son image de durabilité par le rachat d’acteur du bio comme Whitewave aux États-Unis et sa filiale Alpro, un fabricant de produits végétaux aux origines belges.
La première activité du groupe demeure les produits laitiers, dont l’empreinte carbone n’est pas négligeable, puisqu’ils comptent pour plus de la moitié des émissions de gaz à effet de serre du groupe. L’activité EDP (produits laitiers et d’origine végétale) représente 52 % du chiffre d’affaires de Danone – contre 30 % pour la nutrition spécialisée et infantile et 18 % pour les eaux.
En juin 2020, l’IATP (Institute for Agriculture and Trade Policy) a publié une étude[1] sur les fabricants de produits laitiers et leurs politiques de réduction des émissions.
L’étude nous apprend que Danone s’est engagé à réduire son empreinte, mais en se focalisant sur l’intensité de ses émissions (la quantité de gaz à effet de serre par litre produit) plutôt que sur la réduction totale de ses émissions, qui ont cru de 15 % entre 2017 et 2019… Or c’est bien la quantité absolue de gaz à effet de serre émise qui nous intéresse pour lutter contre le changement climatique.
Par ailleurs, le groupe s’est engagé à réduire ses émissions totales de 30 % entre 2015 et 2030, mais l’IATP nous apprend que cet engagement ne concerne que les bureaux et usines du groupe et pas l’entièreté de sa chaîne d’approvisionnement, d’où proviennent la majorité des émissions…
Comme le révèle l’Observatoire des multinationales[2], entre 2017 et 2019, tous les indicateurs environnementaux du groupe sont au rouge : émissions de gaz à effet de serre, déchets produits (+157 %), eau (+6 %), plastique (+7 %), huile de palme et dérivés (+74 %).
Danone, propriétaire de plusieurs marques d’eau en bouteille, dont Evian, a aussi été pointée du doigt pour la surexploitation des sources de Volvic[3]. Le groupe aurait en effet doublé ses prélèvements depuis 1998 sur certains forages, tandis que le débit des cours d’eau en dépendant était divisé par 7 depuis 2013. L’Etat avait autorisé Danone à accroitre ses prélèvements par le biais d’un fonctionnaire, engagé depuis par Danone Waters…
Allégations mensongères
Danone se targue de vouloir apporter la santé par l’alimentation au plus grand nombre, depuis 2005, au travers de produits comme Actimel ou Activia. Le groupe a longtemps prétendu dans des spots publicitaires qu’Actimel permet de « renforcer les défenses naturelles ».
Pourtant, la firme a été tancée en Grande-Bretagne pour ses publicités jugées trompeuses en 2009. Le groupe affirmait : « Les enfants adorent Actimel et en plus c’est bon pour eux », poursuivant : « Actimel. Il est scientifiquement prouvé qu’il aide à soutenir les défenses naturelles de vos enfants »[4]. Aucune étude scientifique n’a pu corroborer ces affirmations.
Aux États-Unis, Dannon (la filiale locale de Danone) a été contrainte de revoir sa publicité en 2010, incapable de démontrer ses affirmations présentant Activia comme efficace contre la constipation et Danactive (le nom commercial d’Actimel aux Etats-Unis) comme actif en cas de refroidissement ou de grippe. Bilan : un règlement de litige à hauteur de 21 millions de dollars.
En 2017, l’ONG Foodwatch avait interpellé Danone pour sa marque de yaourts Danino, qui présentait des fruits sur l’emballage mais n’en contenait malheureusement aucune trace. Comme le rappelait un observateur du secteur, une fois que le consommateur a associé une marque à des bienfaits pour la santé, cette image reste dans les esprits pendant longtemps. Finalement, « si ces produits perdent leurs allégations, ce n’est pas la fin du monde. C’est un risque calculé. D’ailleurs, c’est le groupe Danone plutôt que ses produits qui a acquis cette connotation santé »[5].
« Co-construire avec les parties prenantes » ?
Dans sa politique de responsabilité sociale, Danone indique vouloir « co-construire avec les parties prenantes » afin de créer une « croissance inclusive pour son écosystème ». Les parties prenantes sont les acteurs en relation avec la firme : travailleurs, fournisseurs, distributeurs, consommateurs…
Les travailleurs siègent au sein du comité de mission. Mais avec une représentante sur dix membres, l’influence sur le comité risque d’être faible. Emmanuel Faber, le patron de Danone, a également vanté son programme « une personne, une voix, une action ». Celui-ci évoque fortement l’économie sociale et les coopératives, régies entre autres par le principe « une personne, une voix » où tous les membres disposent d’un même pouvoir de décision, indépendamment du capital investi.
En fait, seuls 8 pays sont concernés par ce programme, représentant 50 % des effectifs. Au total, l’actionnariat salarié dispose d’1,3 % du capital et de 2,5 % des droits de vote. Ceci place Danone sous la moyenne française et européenne où les salariés possèdent en moyenne 1,7 % des actions de leurs entreprises, 3,8 % pour la France. Le contrôle des travailleurs sur les décisions de Danone est encore loin.
Parmi les parties prenantes, on retrouve les fournisseurs du groupe. En 2019, la multinationale a été condamnée à 300.000 euros d’amende, avec plusieurs autres firmes françaises, pour des retards de paiement de ses fournisseurs et sous-traitants. Un an plus tard, Danone avait rectifié le tir via une société qui permet à ses fournisseurs d’être payés en avance, moyennant intérêt cela va sans dire.
La croissance d’abord
Nous l’avons vu, Danone met en œuvre des efforts importants pour convaincre les consommateurs de la durabilité de ses démarches. En 2019, le groupe a en effet dépensé 5,77 milliards d’euros en « frais sur vente » (dépenses de marketing, coûts des promotions et du personnel dédié à la vente), soit 22,8 % de son chiffre d’affaires !
Pour le dire autrement, les consommateurs de Danone paient un peu plus d’un cinquième du prix des produits qu’ils achètent pour financer la publicité, parfois trompeuse, qui va les inciter à acheter plus.
Avec la crise sanitaire, les recettes du groupe ont reculé, incitant la direction à réfléchir à une réorganisation des activités. Cette fois, le discours du groupe – à destination des actionnaires – ne vantait plus le développement durable mais bien la croissance comme premier objectif. Danone déclarait ainsi en octobre 2020 dans la presse économique : « Nous allons nous mettre en ordre de marche dès aujourd’hui et repenser toutes les activités qui ne garantissent pas une contribution rapide à la croissance »[6].
Le mois suivant, la multinationale annonçait la suppression de 2.000 emplois, pour rétablir la rentabilité. Que les investisseurs se rassurent, Danone n’est pas en voie de devenir une ONG.
(*) Gresea : Groupe de recherche pour une stratégie économique alternative (gresea.be).
Danone et les lobbies
Si Danone communique beaucoup auprès des consommateurs, l’entreprise participe aussi à des lobbies, notamment au niveau européen, pour influencer les décisions publiques.
Avec les principaux acteurs de l’agrobusiness, Danone est ainsi membre de plusieurs groupes de pression, comme le CIUS (le comité des utilisateurs européens de sucre) dont un des objectifs de ces dernières années était de faire tomber les quotas de production de sucre dans l’UE, pour en accroitre la production et ainsi en faire baisser les prix.
Danone est aussi membre du SNE (Specialised Nutrition Europe) qui tente d’influer sur les règlements concernant la nutrition infantile, et de Food Drink Europe, le plus puissant des lobbies de l’agroalimentaire européen.
Enfin, Danone est l’un des fondateurs, avec les grandes multinationales de l’agroalimentaire, de l’ILSI (International Life Science Institute), un lobby qui se concentre sur la publication d’études « scientifiques », financées par les industries.
Source : Corporate Europe Observatory (CEO), A spoonful of sugar. How the food lobby fights sugar regulation in the EU. July 2016.
Danone et les produits ultra-transformés
Danone, qui rabâche son slogan « la santé pour tous », n’hésite pas à ajouter de nombreux additifs dans ses yaourts. En 2018, une commission parlementaire française[1] interrogeait les dirigeants du groupe à ce propos.
La responsable « Recherche et Innovation en nutrition » pour les produits laitiers expliquait : « Les raisons pour lesquelles nous utilisons des additifs sont les suivantes : nous fabriquons une recette en quantité, et elle doit être toujours la même – le goût ne doit pas changer d’une préparation sur l’autre. Nous mettons donc des correcteurs d’acidité qui permettent de rendre le goût homogène, puis nous le renforçons avec des arômes pour qu’il reste le même, de la date d’achat à la date de péremption. Les texturants introduits dans les préparations de fruits vont permettre de répartir de façon homogène les morceaux de fruits – on efface l’effet d’échelle. Les additifs que nous trouvons dans les yaourts aux fruits sont donc ajoutés à la préparation des fruits et non au lait fermenté. […] L’entreprise Danone utilise peu d’additifs. Nous en utilisons pour des raisons technologiques. […]».
Les parlementaires interrogent aussi le directeur général de Danone France sur les « effets cocktails » de ces additifs, mais celui-ci botte en touche : « […] les additifs qui se trouvent dans nos yaourts, qui sont autorisés et ne présentent aucun problème sur la santé, ont tous une fonctionnalité par rapport au produit et au profil recherché ».
Nous voilà rassurés…
[1] « Commission d’enquête sur l’alimentation industrielle : qualité nutritionnelle, rôle dans l’émergence de pathologies chroniques, impact social et environnemental de sa provenance », n° 1266. Auditions : Une alimentation saine pour tous : répondre à un enjeu de santé publique (Tome II), 2018. http://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/dossiers/alimentation_industrielle_ce
[1] https://www.danone.com/fr/about-danone/sustainable-value-creation/danone-entreprise-a-mission.html. Parmi eux le PDG de Barilla, un ancien directeur du FMI ou le président de la fondation Rockefeller.
[2] SAW-B avait commenté cette certification dans une carte blanche disponible ici : https://economiesociale.be/fil_actu/carte-blanche-saw-b-interpelle-sur-la-certification-b-corp-de-danone-belgique[1]https://bcorporation.net/node/39533
[3]https://bcorporation.net/node/39533
[4] S. Sharma, « Milking the Planet : How Big Dairy is heating up the planet and hollowing rural communities ». Emissions Impossible Series. June 2020. IATP, https://www.iatp.org/sites/default/files/2020-06/IATP_MilkingThePlanet_f_0.pdf
[5] Observatoire des multinationales, CAC40: le véritable bilan annuel, Chapitre 3 : « Un fardeau croissant pour la planète », nov. 2020.
[6] A.Abdelilah et R. Schmidt (WE REPORT), « A Volvic, Danone puise et épuise l’eau », Mediapart, 25 sept. 2020.
[7] Rtbf.be, « Danone : une publicité Actimel jugée trompeuse au Royaume-Uni », 14 oct. 2009.
[8] M. Leclerc, « Activia et Actimel vidés de leur substance ? », Isa-conso.fr, 22 avril 2010.
[10] « Commission d’enquête sur l’alimentation industrielle : qualité nutritionnelle, rôle dans l’émergence de pathologies chroniques, impact social et environnemental de sa provenance », n° 1266. Auditions : Une alimentation saine pour tous : répondre à un enjeu de santé publique (Tome II), 2018. http://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/dossiers/alimentation_industrielle_ce