Dans quelques années, qui sait combien d’agriculteurs seront encore debout, en Wallonie ? Le fermier moyen a aujourd’hui 55 ans et peu de jeunes ont les épaules pour reprendre une exploitation. La situation devrait alarmer : seul un agriculteur sur cinq a un successeur potentiel. Pourtant, aucun outil structuré facilitant les transmissions n’existe. Sans soutien ni accompagnement des pouvoirs publics, les anciens se retrouvent seuls face à leur destin.
Sang-Sang Wu, journaliste | sang-sang.wu@tchak.be
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En 2016, 21 % des exploitants wallons de plus de 50 ans disaient avoir identifié un repreneur pour leur ferme, d’après une étude du Service public de Wallonie[1]. 35 % étaient dans l’incertitude. Si les tendances actuelles se poursuivent (voir encart ci-contre), les fermes familiales risquent, à court et moyen termes, de disparaître du paysage, au profit des méga exploitations.
Pendant longtemps, l’agriculteur en fin de carrière n’a pas été suffisamment au centre des préoccupations, s’agissant des reprises de fermes. Moment-charnière dans la vie d’un agriculteur, la transmission est souvent un moment redouté. Si des structures d’accompagnement à l’installation pour les repreneurs de fermes existent en Wallonie[2], rien n’a été créé pour soutenir les agriculteurs en fin de carrière et les préparer à ce changement de vie.
En plus de manquer de connaissances suffisantes pour passer le flambeau, les cédants sont souvent isolés et doivent se débrouiller seuls pour trouver des candidats-repreneurs. Une initiative favorisant ces mises en relation est née récemment, mais elle est à l’arrêt, vu le contexte sanitaire peu propice aux rencontres physiques (voir encadré). En Région wallonne, l’expertise n’est pas coordonnée au sein d’un organisme dédié spécifiquement à cet objectif.
Le projet des cafés-transmission est porté par une série d’associations (Terre-en-vue, Fugea, GAL du Pays de Herve, Agricall, etc.) et a été repris en main par le Réseau wallon du Développement Rural. L’objectif est de collecter un maximum de cas de figure, de questions et de témoignages d’agriculteurs afin de développer un outil au service des futurs cédants et repreneurs. Les acteurs autour de ce projet mettent en évidence l’importance de travailler ensemble sur le sujet en Wallonie et d’appliquer certains outils existant en France. Il y a quelques années, l’association Terre-en-vue avait initié Tupper-Terre, un projet à la finalité identique. Mais faute de soutien politique et financier, il est actuellement enterré.
D’aucuns pointent aussi une certaine responsabilité des cédants dans le faible taux de transmission des exploitations. « Ils ne viennent pas vers nous pour qu’on les aide à remettre leur ferme », explique Guillaume Van Binst, Secrétaire général de la Fédération des Jeunes Agriculteurs (FJA). Un certain nombre d’entre eux n’anticipent pas ce changement radical de vie, alors que le processus de lâcher prise est estimé à cinq ans, au bas mot.
« En fait, les gens y pensent, mais ils ne savent pas par où commencer et n’ont pas le temps de se poser pour y réfléchir, nuance Stéphane Taildeman, conseiller de gestion agricole à Montigny-le-Tilleul, près de Charleroi. Ils sont pris par le quotidien : les vaches vêlent, le tracteur tombe en panne… Ils règlent l’urgence. Et puis arrive la fin de la journée, alors ils reportent au lendemain et cinq ans plus tard, ils en sont au même stade. »
En 2018, on ne dénombrait plus que 12 752 exploitations agricoles et horticoles en Wallonie. En 1990, elles étaient encore 29 178. Parallèlement, la surface moyenne d’une ferme wallonne a presque triplé depuis 1980. On est passés de 20,7 à 57,6 hectares.
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Des fermes intransmissibles
D’autres souhaitent tellement garder leur statut d’agriculteur qu’ils repoussent le moment où ils devront se confronter à la réalité et céder leur exploitation. « Ils s’agrippent à leur métier et veulent mourir avec, quelque part. Ils sont toujours officiellement fermiers, même s’ils ne font plus grand-chose eux-mêmes. » Un cas de figure qui ne serait pas rare. L’intérêt financier est triple : l’exploitant peut continuer à toucher les revenus d’une petite activité complémentaire, en plus des primes et de sa pension.
« Souvent, ils font appel à des entrepreneurs agricoles ou à des sociétés de gestion pour faire les travaux, ou bien ils sous-louent à d’autres, tout en restant en place, renchérit Guillaume Van Binst de la FJA. On se rend compte que dans certains cas, ils font ça par nécessité économique et qu’ils n’ont pas d’autre choix. Mais nous estimons quand même que ce n’est pas normal. »
Autre risque pointé par Paul Depauw, ancien ingénieur agronome de l’Etat et secrétaire du Comice agricole d’Arlon : à l’approche de la retraite, le cédant sans successeur est tenté de ne plus conserver sa ferme en état de marche. Ce qui la rend encore moins transmissible car le jeune repreneur devra faire de gros investissements pour « rattraper les dégâts ». Et ceci alors même qu’il peine à obtenir des emprunts bancaires, s’il n’a pas de capital de départ important.
Il existe bien des aides financières à la première installation, mais pour beaucoup d’observateurs du secteur, il s’agit là d’une fausse bonne idée. « Chaque fois que l’Europe a créé une nouvelle prime, le prix de la terre a augmenté. Autrement dit, quand on donne davantage de moyens au repreneur, ils sont très rapidement avalés par une hausse de la valeur de l’exploitation à reprendre », note Paul Depauw.
Car si les fermes ne rapportent pas beaucoup, elles deviennent intransmissibles. Le prix croissant de la terre agricole n’y est pas pour rien. « Quand je faisais des comptabilités chez des anciens, ils me disaient : « Du temps de mes parents, quand tu vendais une vache, tu pouvais t’acheter un hectare de terre » », relate Stéphane Taildeman.
En maximisant la valeur de sa ferme, l’agriculteur cédant exclut de facto les jeunes qui débutent dans le métier. Pour tenter de pérenniser l’activité agricole et favoriser les transmissions familiales, les pouvoirs publics ont instauré des avantages fiscaux (voir encadré).
Des possibilités de transmission par donation, intéressantes fiscalement, ont été mises sur pied. Le droit fiscal wallon prévoit que toute transmission d’exploitation agricole, par voie de donation ou de succession, est soumise à un taux de 0 %, sous certaines conditions. À noter que cette législation a été légèrement revue à la fin de l’année 2015. Une donation des terres à 0 % suppose à présent la transmission préalable de toute quotité de l’activité agricole. Et pour les donations de plus de 150 hectares, le taux applicable est de 3 % à partir du 151ème hectare. La continuité de la ferme doit alors être assurée pendant une période de 15 ans. Malgré cet avantage fiscal, force est de constater que de moins en moins d’enfants sont prêts à reprendre la ferme de leurs parents.
Guillaume Van Binst, Secrétaire général de la FJA, reconnaît que dans le chef du cédant, il est tentant de vendre sa ferme au plus offrant. En effet, l’agriculteur n’ayant pas bien gagné sa vie durant sa carrière, il place beaucoup d’espoir dans la revente, au moment de prendre sa retraite. Mais pour le syndicaliste, les anciens doivent faire l’effort de privilégier les jeunes qui veulent devenir fermiers. Il en va de l’avenir de l’agriculture.
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Aucun budget débloqué en Wallonie
« En quasiment 40 ans, j’ai connu nombre d’exploitants qui ont cessé leur activité. Aujourd’hui, si j’évoque avec eux le fait que leur exploitation a disparu, rares sont ceux qui le regrettent, confie Paul Depauw. Ils ont préféré tirer un maximum financier des terres et des installations pour profiter de leur retraite. On peut comprendre ce point de vue, mais ce qu’ils ne voient pas, c’est que sur le long terme, leur métier va disparaître. »
Pour l’association Terre-en-vue, « les engagements politiques sur le sujet ne sont pas clairs à l’heure actuelle. La DPR (Déclaration de politique régionale, ndlr) mentionne bien « faciliter la transmission des fermes » et « faciliter le renouvellement des générations ». Pour assurer l’avenir des fermes wallonnes, il est important que ces points deviennent de réelles préoccupations politiques ».
À ce sujet, l’ASBL s’était associée à la Fédération unie de groupements d’éleveurs et d’agriculteurs (Fugea), pour soumettre un projet permettant de développer des outils et un accompagnement adapté au contexte wallon de la transmission de fermes. Ils voulaient identifier les besoins, sensibiliser le milieu et tester des cas pilotes. Mais ce projet a été refusé par Willy Borsus (MR), ministre wallon de l’Agriculture. Se disant conscient de l’importance de l’enjeu et de l’urgence de la situation, il n’a pourtant pas débloqué de budget. De source sûre, nous avons appris qu’il avait missionné la Sowalfin Transmission (anciennement Sowaccess), qui aide à la transmission des sociétés wallonnes. Mais actuellement, ces outils ne sont ni accessibles aux agriculteurs ni adaptés au contexte très spécifique de la transmission d’une ferme. Une prise en charge rapide et effective par les pouvoirs publics ne semble donc pas être à l’ordre du jour.
Au-delà du monde agricole, l’enjeu de la transmission touche la société dans son ensemble. S’assurer du renouvellement des générations agricoles permet le maintien de structures nombreuses et à taille humaine, plus à même de créer des emplois non délocalisables et des pratiques respectueuses du vivant.
[1] Évolution de l’économie agricole et horticole de la Wallonie, 2020.
[2] Il y a notamment le projet CAP–Installation de la Fédération des Jeunes Agriculteurs et les Espace-test maraîchers portés par le Gal Culturalité en Hesbaye brabançonne, Le Crabe, Créa-job et Terre-en-vue.
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