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Apaq-W et cotisations : « Je refuse de payer »

Ras-le-bol de la communication jugée ultra généraliste, simpliste et sans impact de l’Agence wallonne pour la promotion d’une agriculture de qualité (Apaq-W). De plus en plus d’agriculteurs et éleveurs à taille humaine ne se sentent ni écoutés ni représentés. Au point de refuser de payer une cotisation annuelle pourtant « obligatoire ». Obligatoire ? Pas pour tout le monde.  

Une enquête de Sang-Sang Wu, journaliste | sang-sang@tchak.be

« Personnellement, nous sommes un peu scandalisés par cette allocation obligatoire que nous demande l’Apaq-W chaque année. Ne vit-on pas dans un pays libre où l’on a le droit de décider si on souhaite payer pour une publicité ou non ? Surtout que l’on n’a pas du tout l’impression que cette publicité soit ciblée pour la promotion du maraîchage bio sur petite surface. »

Comme Lucie et Max, un nombre croissant de producteurs et d’éleveurs à taille humaine remettent en question l’utilité et la finalité de l’Agence wallonne pour la promotion d’une agriculture de qualité (Apaq-W). 

+++ Cette enquête est au sommaire du numéro 7 de Tchak! (automne 2021), en vente actuellement.

Dorénavant, certains refusent même de payer la cotisation annuelle pourtant obligatoire. « Au début, je la payais automatiquement, mais je me suis rapidement demandé à quoi cela servait concrètement. Et je n’ai pas trouvé de réponse, raconte Laura Delfosse, à la tête d’une ferme en permaculture à Redu. Alors, cela fait maintenant trois ans que j’ai arrêté de la payer. Depuis, je reçois des rappels et une menace d’amende de 1 250 €. Je refuserai tant qu’ils ne viendront pas voir la réalité de nos besoins. Parmi les maraîchers de ma génération, il y en a de moins en moins qui acceptent cette situation. »

Le cas de Laura a fait l’objet d’une question au Parlement de Wallonie, en mai 2020. Le ministre wallon de l’Agriculture Willy Borsus (MR) rétorquera un mois plus tard que « les régimes réglementaires de cotisations sont établis par des arrêtés du gouvernement wallon qui prévoient, et c’est normal, des procédures de perception et de recouvrement. Toutefois, aucune mise en demeure de paiement d’un montant de 1 250 € n’a jamais été adressée à un exploitant maraîcher. Ce montant est simplement mentionné, conformément à la réglementation, sur les documents de rappel ».

Si aucune amende n’a jamais encore été dressée, la loi prévoit donc qu’une cotisation forfaitaire de 1 250 € peut être appliquée. 

Des courriers restés sans réponse

Plusieurs producteurs mécontents ont tenu à nous montrer les courriers envoyés à l’Apaq-W dans le but d’établir un contact direct avec elle. Pour l’heure, ces sollicitations sont toutes restées lettre morte. Parmi les doléances, il y a le montant des cotisations. Les producteurs de légumes doivent payer 62 € par an s’ils produisent sur moins d’un hectare, et 186 € à partir d’un hectare de superficie.

« Nous sommes mis dans le même panier que les producteurs conventionnels sur grande surface. Ici, je suis sur 60 ares mais, à terme, j’aimerais grandir et dès que j’arriverai à un hectare, je paierai la même cotisation qu’un agriculteur de 100 hectares qui produit pour Hesbaye Frost », s’insurge Thomas Bastas, qui a lancé un projet de maraîchage biologique à Braives (Liège). 

En réalité, son confrère qui produit pour cette firme, d’où sortent chaque année plus de 100 000 tonnes de légumes surgelés, ne paie aucune cotisation à l’Apaq-W. La raison ? « Pour les légumes, la cotisation est perçue au niveau du marché du frais, explique Catherine Bauraind, chargée de mission au Collège des producteurs. Seuls les producteurs de légumes qui vont vers la transformation (surgelés, conserves) ne payent pas de cotisation. Il s’agit d’un accord au niveau national partant du principe qu’il n’y a pas de nécessité d’avoir de la promotion car 90% de cette production va à l’export et effectivement, aucune action n’est réalisée pour ce secteur par l’Apaq-W. » 

«  Il devrait y avoir une cotisation à ce niveau-là, reconnaît le directeur général de l’agence Philippe Mattart. Mais cette question est actuellement en train d’être discutée avec la Fédération de l’industrie alimentaire belge (qui siège au sein du Conseil d’administration de l’agence, ndlr). »

En attendant, les « petits » producteurs vivent cette exception en faveur des producteurs de légumes industriels comme une injustice. Une réforme du régime des cotisations – qui se base sur des arrêtés du gouvernement wallon de 1995 – est en cours pour les adapter à la réalité actuelle.

Ne pas se mettre Comeos à dos

Si la question des cotisations obligatoires est épineuse, c’est aussi parce qu’elles ne s’imposent qu’au secteur de la production, et non de la vente. « La promotion est d’abord destinée à soutenir le tissu productif, ce qui justifie les cotisations sectorielles. Là où les leviers de l’Apaq-W sont directs, c’est donc au niveau de la production et de la transformation », indique Philippe Mattart, le directeur général de l’agence.

Ainsi, la fédération professionnelle du commerce et des services Comeos (qui a aussi un siège au Conseil d’administration de l’institution) est elle aussi exemptée de toute contribution. Et Philippe Mattart ne compte pas en imposer une à la grande distribution. « Nous avons un contact positif avec Comeos, mais si nous lui proposons une ligne stratégique unirégionale, cela ne fonctionnera pas. Bien souvent, nous essayons d’avoir une symétrie avec le Vlam, notre homologue flamand. »

Comprenez : tant que le Centre flamand pour le marketing agro-alimentaire n’obligera pas Comeos à payer, ne comptez pas sur l’Apaq-W pour le faire. « La grande distribution nous aide à atteindre nos objectifs car elle est un réceptacle indispensable de la production agricole. Le fait qu’elle joue le jeu des débouchés pour les produits locaux est déjà un enjeu en soi. On ne va pas aller lui dire de payer une cotisation pour être solidaire des agriculteurs. Sinon, il y aura une frustration de la grande distribution à notre égard. »

Par conséquent, rien n’empêche formellement l’Apaq-W de le faire, si ce n’est le « pragmatisme » de son directeur général. 

Une agence hors sol

« La grande distribution n’a pas besoin de promotion des pouvoirs publics : elle travaille avec les géants de l’agro-alimentaire qui ont plus de moyens pour faire leur pub, estime de son côté estime Bernard[1], cultivateur dans le Namurois. L’Apaq-W devrait se concentrer sur les petits producteurs en mettant en avant leur réalité, et non pas en présentant des images tronquées de ce qu’est l’agriculture wallonne aujourd’hui. » 

Enormément de producteurs cotisants et en circuit court regrettent que l’Apaq-W soit déconnectée de la réalité du terrain et de leurs besoins. Ils ont développé leur marché, créé leurs propres réseaux de commercialisation et en font la promotion eux-mêmes.

« C’est ma propre publicité, celle que je fais dans mon village, qui fait revenir les gens. On tente d’avancer de notre côté, on ne compte pas sur l’Apaq-W », indique Thomas Bastas.

« On ne les voit pas, on ne les entend pas : ils ne nous apportent strictement rien. C’est de l’argent jeté par les fenêtres, je pourrais très bien les donner à la Croix-Rouge, ce serait plus utile », renchérit Michel Michiels, porte-parole du Groupement des maraîchers diversifiés bio sur petite surface (GMDB).

« Je ne vois pas l’impact de leur communication. Si je devais attendre que les institutions m’aident à commercialiser mes produits, je serais déjà mort », assure à son tour Stéphane Longlune, maraîcher en biodynamie issu d’une famille de cultivateurs depuis plus de cinq générations, du côté de Jurbise. 

Des paiements par peur de représailles

Beaucoup affirment payer sous la contrainte, uniquement par peur des représailles. « J’en suis conscient et je veille à aller sur le terrain autant que possible, mais je ne peux pas aller chez les 20 000 agriculteurs de Wallonie, se défend le chef de l’Apaq-W. J’impose à mes agents de participer aux assemblées sectorielles. Il y a sans doute des choses sur lesquelles on devrait s’améliorer et cela en fait partie. » 

Sauf lors d’événements organisés par l’agence elle-même, le personnel n’a que peu d’occasions de rencontrer les agriculteurs. Ceux-ci ne sont d’ailleurs jamais consultés directement sur les contenus des campagnes.

« Depuis l’adoption du Code wallon de l’agriculture en 2014, il y a une obligation de consulter les producteurs en ce qui concerne les campagnes de promotion. La concertation du secteur se fait via le Collège des producteurs. Il y a chaque année deux assemblées par secteur, dont une au cours de laquelle l’Apaq-W doit nous présenter la campagne suivante. Et là, on est plutôt mis devant le fait accompli, tout est en partie déjà décidé », regrette Daniel Collienne, représentant au Collège des producteurs (agriculture biologique). 

Car un des autres grands reproches faits à l’agence concerne la nature des campagnes menées, considérées comme généralistes et indifférenciées. En effet, si l’Apaq-W dit épouser les valeurs sous-jacentes à la consommation locale, elle promeut, dans les faits, plusieurs types d’agriculture wallonne, peu importe les modèles de production et le type de filière.

« À l’Apaq-W, ils utilisent le terme « familial », mais cela veut juste dire qu’elle se pratique en famille. Une agriculture familiale peut être industrielle, elle n’est pas forcément paysanne », note une source qui connaît particulièrement bien le secteur. 

Une communication rose bonbon 

Nombre de producteurs en agriculture biologique regrettent que l’image de leurs exploitations soit utilisée pour promouvoir le secteur conventionnel. « Ils ne mettront jamais un bidon de pesticides à côté d’une ferme en conventionnel. Tous les arguments de vente du bio (le plein air, le local, le sans résidus) sont repris par le conventionnel. Moi, j’appelle ça du pillage de communication », souffle André Grevisse, à la tête de 150 hectares et de 350 bêtes à Habay-la-Vieille.

« Quand l’agence a réalisé une revue sur le porc en Wallonie, c’est le cochon bio en plein air qu’elle a montré. Alors qu’en conventionnel, ce sont plutôt des porcs très nombreux et engraissés dans un bâtiment fermé », pointe Dominique Jacques, président de l’Union nationale des agrobiologistes belges (Unab) et vice-président du Conseil d’administration de l’Apaq-W. 

« Ce qu’ils mettent en avant, ce n’est pas représentatif de la majorité de la production en Wallonie : ils font de la promotion pour quelque chose qui n’existe quasiment pas », renchérit Bernard. 

Cet agriculteur a fait le choix de la polyculture-élevage en agriculture biologique il y a 30 ans. Aujourd’hui, il refuse de prêter son image à l’Apaq-W. « Comme j’ai une ferme dans un cadre bucolique et un nom un peu connu, ils me téléphonent de temps en temps. Mais je décline toujours l’invitation car je ne veux pas servir d’Indien dans la réserve à une administration qui veut broyer du paysan, même si elle dit le contraire. Toutes les mesures prises vont dans le même sens : foudroyer les structures qui ne se sont pas spécialisées. En Wallonie, c’est moins pire qu’en Flandre, mais la tendance est là. Dans dix ans, l’agriculture familiale en polyculture-élevage, ça ne représentera plus rien. » 

Pour le secteur bio, le plus gros souci est que la parole semble muselée et que le secteur conventionnel décide de la manière dont l’Apaq-W communique, y compris sur la filière bio. Les producteurs notent que les campagnes sont teintées d’une certaine forme de censure. « En bio, il est interdit d’utiliser des superlatifs, ni même de dire que l’on n’utilise pas de produit de synthèse car cela sous-entendrait qu’en conventionnel, c’est le cas. Même si c’est vrai, on ne peut pas le dire, on doit toujours faire très attention aux mots utilisés », nous confie une source interne.

Dominique Jacques confirme aussi : « Le secteur bio aimerait que l’on parle plus en profondeur des enjeux, mais on peut juste dire que l’on respecte le cahier des charges. On ne peut pas dire que c’est meilleur pour la santé, par exemple, pour ne pas opposer les modèles agricoles. Quand on parle du bio, on doit le faire sans critiquer ni juger le conventionnel ».

Sur son site, l’Apaq-Wdéfinit l’agriculture biologique comme « un mode de production qui se développe chez nous et qui résulte du choix de nos producteurs de produire autrement ».

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[1] Prénom d’emprunt.