JBS, groupe brésilien, s’affiche comme le plus grand vendeur de viande au monde.
JBS, groupe brésilien, s’affiche comme le plus grand vendeur de viande au monde. © Adobe Stock (illustration)

Viande: le business avarié de JBS

Le groupe brésilien JBS s’affiche comme le plus grand vendeur de produits carnés au monde. Son chiffre d’affaires dépasse désormais celui de Coca-Cola ou de Danone. Peu connue en Europe, la multinationale y exporte néanmoins des centaines de milliers de tonnes de bœuf, porc ou poulet, dont une partie se retrouve dans des plats préparés ou des produits transformés, y compris en Belgique. Déforestation, scandale de la viande de cheval, affaires de corruption, la multinationale a souvent été mise à l’index ces dernières années mais continue pourtant d’approvisionner de nombreuses enseignes en Europe. Six points pour y voir plus clair.

REGARD (*)| Romain Gelin, chercheur au GRESEAromain.gelin@gresea.be

1. Chiffres et consommation en Belgique

La place de JBS dans les exportations brésiliennes :

  • Le Brésil est l’un des grands acteurs de la viande, premier producteur et exportateur de bœuf au monde. Trois groupes – JBS, Marfrig et Minerva – se partagent 92 % des exportations vers l’UE.
  • Au total, en 2017, le Brésil a exporté 2 millions de tonnes de viande de bœuf dans le monde, dont 180 000 tonnes (un peu moins de 10%) vers l’Union Européenne.
  • A lui seul, JBS compte pour plus du tiers des exportations brésiliennes : 730.000 t de bœuf exportées, dont 62.258 t vers l’UE.

Les importations de viande brésilienne en Belgique:

  • La Belgique importe quelques 12.500 t de bœuf brésilien, dont 9.700 via la filiale belge, JBS Toledo. De même, près des deux tiers du poulet (environ 4.000 t) et la quasi-totalité du porc brésilien importé (environ 4.000 t aussi) en Belgique le sont par l’intermédiaire de JBS[1].
  • Au regard de la production bovine belge, ces importations semblent modestes. La Belgique produit en effet quelque 263.000 t de viande de bœuf par an[2]. Mais l’essentiel de la production belge est exporté (soit 182.000 t).

La consommation de viande de boeuf en Belgique

  • Côté consommation, les Belges avalent 163.000 t de bœuf chaque année.
  • 82.000 t sont produites sur place et 81.000 t sont importées, dont 9.700 t via JBS, qui compte pour environ 6% de la consommation de viande bovine en Belgique.

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2. Les clients : Carrefour, Albert Hein, Aldi, Casino, Burger King et compagnie

Malgré ces chiffres importants, le nom de la firme brésilienne ne dira probablement rien au consommateur. En effet, il demeure rare de trouver un steak brésilien sur les étals des boucheries ou des supermarchés belges. 

Les importations de JBS sont en fait destinées à l’industrie des pizzas surgelées, des plats préparés, mais aussi au catering et à la restauration collective. JBS Toledo fournit aux industriels des produits carnés sur mesure : préfrits, salés ou épicés, morceaux entiers, coupés en lanières ou en cubes. L’entreprise communique peu sur l’identité de ses clients.

Des informations ont cependant fuité ces dernières années. L’ONG Earthsight[3] nous apprend que la viande de JBS se retrouve dans les rayons de Carrefour en Belgique – notamment du bœuf séché fabriqué au Brésil, transformé par « Meat Snacks Partners, do Brasil Ltda », ou encore dans des produits transformés utilisant de la volaille brésilienne.

Une autre enquête[4] a montré la présence de bœuf exporté par JBS dans de nombreuses enseignes de distribution: Albert Heijn aux Pays-Bas, Tesco en Grande-Bretagne, Aldi en Allemagne, Casino en France, etc. Les fastfoods KFC, Burger King ou McDonald’s sont également clients de JBS en Grande-Bretagne[5] de même que Pizza Hut.

Enfin, l’association L214, pourfendeuse des pratiques d’élevage, d’abattage ou de transport du bétail, a révélé qu’en France, la chaîne Domino’s Pizza s’approvisionne aussi auprès de JBS. 

© JBS

3. Fraude à la viande de cheval : négligence coupable?

En 2013, l’Europe se scandalise de la fraude à la viande de cheval. Presque tous les pays d’Europe occidentale sont concernés. Au total, près de 4,5 millions de plats préparés vendus en grande distribution auraient contenu de la viande de cheval dans des produits sur lesquels il était stipulé « viande de bœuf ». Ceci n’a heureusement pas posé de problème sanitaire majeur.

L’impossibilité de tracer précisément la viande a cependant laissé courir le risque de la présence de médicaments, notamment d’anti-inflammatoires pour chevaux, dans la chaine alimentaire. La confiance des consommateurs en avait pris un coup. Des enquêtes plus récentes montrent que la pratique, bien que marginale, n’a pas complètement disparu[6].

La viande incriminée était acheminée par des réseaux de trafiquants utilisant de fausses puces pour tracer les animaux de sorte à faire passer du cheval pour du bœuf. En Belgique, au Danemark, en Finlande et en Suède, c’est Lidl qui avait retiré certains produits des rayons. En France, le groupe Findus avait été épinglé pour les mêmes raisons, de même que le distributeur de surgelés Picard. Nestlé avait dû retirer des plats de pates au bœuf et raviolis Buitoni des supermarchés espagnols et italiens.

Dans le cas de Nestlé, le fournisseur n’était autre que JBS Toledo, qui s’approvisionnait auprès d’un sous-traitant allemand, H.J. Schypke, identifié comme origine de la fraude. JBS a stoppé son approvisionnement en viande européenne de manière temporaire. Ici, la question de la négligence du groupe est posée, comme pour la grande distribution qui a certainement vendu pendant des mois, voire des années, des produits dont l’étiquetage ne correspondait pas au contenu.

Force est de constater que les intermédiaires sont parfois si nombreux qu’il en devient difficile de tracer correctement l’origine de nos aliments. 

+++ Ce décryptage est au sommaire du numéro 7 de Tchak (automne 2021)

4. L’élevage intensif, cause de déforestation massive 

La négligence est à nouveau invoquée lorsque JBS se fait pincer en train vendre du bœuf issu de la déforestation. Le Brésil est régulièrement pointé pour les incendies volontaires visant à transformer des zones boisées en prairies, afin d’y faire pousser du soja ou d’y élever les bovins. Ces actes s’accompagnent souvent de menaces et de violences contre les populations indigènes occupant ces territoires. Selon Amnesty[7], l’élevage du bétail est la première cause de confiscations illégales de terres dans les territoires indigènes protégés.

JBS est accusé d’avoir mis à paître du bétail dans des zones protégées de la forêt amazonienne. Le groupe participe pourtant à plusieurs initiatives avec les acteurs de la filière bovine au Brésil. En vertu de l’accord TAC (Termo de Ajuste de Conduta), les abattoirs se sont engagés à ne pas acheter de bétail en provenance de zones illégalement déforestées en Amazonie. Un autre accord, le G4, réunissant les trois principales entreprises de conditionnement de viande au Brésil, interdit de commercialiser du bœuf provenant de zones ayant fait l’objet d’une déforestation illégale après 2009.

Problème: ces règlements ne couvrent pas l’ensemble du territoire brésilien et les mêmes pratiques continuent dans des provinces non couvertes par l’accord. En fait, seuls 31% du bœuf brésilien exporté sont couverts par le premier accord (TAC) et 18% par G4[8]. Les pratiques incriminées ont simplement été déplacées.

Les importations de viande brésilienne en Belgique équivalent à 1.000 hectares de déforestation en Amazonie

(étude UCL)

Les grandes entreprises brésiliennes ont officiellement banni le bœuf illégal de leurs chaines d’approvisionnement mais reconnaissent que des fournisseurs indirects peuvent continuer d’alimenter leurs abattoirs en bœufs provenant de zones déforestées ou de réserves indigènes, sans qu’il soit possible de tous les contrôler.

Il a depuis été démontré[9] que des chauffeurs de JBS transportaient du bœuf depuis des fermes illégales vers des fermes « propres » pour ensuite revendre le bétail à JBS, clairement en contact avec des fournisseurs indirects. Des registres qui compilent les déplacements des bovins montrent que le cas n’est pas isolé et que des milliers d’animaux ont été transportés de fermes pratiquant la déforestation vers les abattoirs de JBS. Difficile ici de parler de négligence.

Le groupe dénie ces affirmations et déclare être en relation avec les autorités pour améliorer la traçabilité des bovins. Selon des chercheurs de l’UCLouvain, les importations de viande brésilienne en Belgique équivalent à 1.000 hectares de déforestation en Amazonie !

5. Viande avariée mise sur le marché grâce à la corruption

En 2017, JBS est mentionné dans un autre dossier, celui de la viande avariée : de la viande périmée, traitée avec des produits chimiques puis mise sur le marché. En compagnie d’autres producteurs de viande, JBS fait l’objet de plusieurs perquisitions sur ses sites au Brésil[10]. L’enquête conclut à une vaste affaire de corruption dans laquelle des fonctionnaires – des inspecteurs vétérinaires – reçoivent des pots-de-vin pour « blanchir » la viande avariée. Une partie du pactole est vraisemblablement reversée à des partis politiques. 

Cette affaire arrive alors qu’un scandale de corruption ébranle le pouvoir brésilien : « Lava Jato », impliquant notamment le groupe pétrolier Petrobras et le géant de la construction Odebrecht. Des hommes politiques brésiliens de tous bords surfacturaient des contrats publics et touchaient au passage de généreuses commissions.

Afin d’éviter les condamnations subies par d’autres entreprises, les frères Batista, à la tête de JBS, vont d’eux-mêmes dénoncer leurs actions répréhensibles. Joesley Batista, proche de l’ex-président Temer, remet à la justice un enregistrement secret d’une conversation dans laquelle Temer approuve le paiement par Batista du silence de l’ancien président du parlement brésilien[11], alors en prison. Durant l’enquête, le groupe avouera aussi avoir soudoyé les trois anciens présidents brésiliens (Lula, Roussef et Temer) pendant au moins 14 ans.

Au final de diverses procédures, les Batista sont exemptés des peines les plus lourdes et écopent finalement d’une amende de 60 millions d’euros. Mais avant de dévoiler l’enregistrement à la justice, JBS avait vendu des actions et acheté du dollar qui va s’apprécier par rapport à la monnaie brésilienne à la suite du scandale. L’opération, qualifiable de délit d’initié, rapporte largement assez pour s’acquitter de l’amende. 

6. Des aides publiques en contrepartie de financement de partis politiques

L’ascension de JBS et le rachat de nombreux concurrents aux États-Unis, au Brésil ou encore en Australie après 2008 ne pourrait se comprendre sans l’aide publique dont a bénéficié le groupe. Entre 2008 et 2013, le Brésil soutient une politique des « champions nationaux ». JBS bénéficie alors d’un prêt de 2,3 milliards d’euros de la BNDES, la banque publique de développement brésilienne, à des taux d’intérêts inférieurs au marché. JBS en profite pour acquérir son concurrent étatsunien, Pilgrim’s, pour se positionner comme l’un des poids lourds mondiaux de la viande.

Les aides de la BNDES étaient en fait une contrepartie du financement des partis politiques au pouvoir, échanges de bons procédés obligent. JBS avouera finalement avoir graissé la patte à quelques 1.900 politiciens brésiliens pendant des années, pour 123 millions de $. JBS aurait également payé pour faire passer une centaine de lois dans le pays[12].

Cet épisode illustre l’influence de l’industrie agroalimentaire sur la politique brésilienne et la proximité entre les milieux d’affaires et le pouvoir. Quelques années plus tard, JBS a vu sa valeur tripler en bourse et son chiffre d’affaires dépasse désormais celui de Coca-Cola ou de Danone.

La corruption aura finalement largement bénéficié au groupe et l’odeur faisandée des scandales ne semble en rien avoir nui à la multinationale, qui continue d’approvisionner nombre de distributeurs et industriels de l’agroalimentaire, comme si de rien n’était


Bibliographie :

[1] Données: https://trase.earth/

[2] Statbel, Bilan d’approvisionnement en viandes, 2020.

[3] « Bad beef: UK retailers feed illegal deforestation fears as corned beef imports from corruption-hit Brazilian firm persist », Earthsight.org.uk, 5 may 2019.

[4] Les Amis de la terre, « Accord UE-Mercosur, une viande saignante pour les droits humains et la forêt », mars 2021.

[5] Greenpeace UK, « How JBS is still slaughtering the Amazon », août 2020.

[6] I. Kragl, « Le scandale jamais terminé de la viande de cheval falsifiée », bastamag,net, 15 mars 2021. 

[7] « Brésil, la forêt amazonienne et ses habitants à la merci de l’élevage illégal », amnesty.be, 26 novembre 2019. 

[8] E.K. zu Ermgassen, J. Godar, M.J. Lathuillière, P. Löfgren, T. Gardner, A. Vasconcelos, P. Meyfroidt, « The origin, supply chain, and deforestation risk of Brazil’s beef exports », Proceedings of the National Academy of Sciences, 2020.

[9] A. Campos, A. WasleyA. Heal, D. Phillips, P. Locatelli, « Revealed: new evidence links Brazil meat giant JBS to Amazon deforestation », theguardian.com, 27 juillet 2020.

[10] AFP, « Brésil: scandale autour de viande avariée, transformée avec des produits cancérigènes », rtbf.be, 17 mars 2017. 

[11] D. Phillips, « The swashbuckling meat tycoons who nearly brought down a government », theguardian.com, 2 juillet 2019.

[12] J-M. Albertini, « JBS, une entreprise au cœur de la corruption du Brésil », mediapart.fr, 9 juin 2017.