Sommelière, caviste, autrice féministe à la langue bien pendue, Sandrine Goeyvaerts, 40 ans, ne s’excuse ni d’être elle-même ni d’occuper l’espace sans demander la permission. Elle nous a reçus à Saint-Georges-sur-Meuse, dans la région de Liège. Portrait intimiste en trois scènes pour raconter sa prise de conscience et sa défense d’un monde plus inclusif.
Sang-Sang Wu Journaliste | sang-sang.wu@tchak.be
Scène 1 : un lynchage orchestré
Une jeune femme est assise sur le canapé de son salon. Les yeux rivés sur l’écran de son smartphone, elle enrage. Elle fronce les sourcils, se lève pour se servir un verre de vin. « Je ne peux pas laisser passer ça », grommelle-t-elle en se rasseyant.
Elle parle beaucoup, fait des blagues misandres et trop de bruit. Sommelière, caviste, autrice féministe à la langue bien pendue, Sandrine Goeyvaerts, 40 ans, ne s’excuse ni d’être elle-même ni d’occuper l’espace sans demander la permission. Cette professionnelle du vin, basée à Saint-Georges-sur-Meuse, baigne dans le milieu depuis plus de vingt ans, mais a conservé la rage des débutantes.
+++ Ce portrait en trois scènes de Sandrine Goeyvaerts est au sommaire du numéro 8 de Tchak! (hiver 21 – 22).
Un soir de novembre 2020, alors qu’elle traîne sur Twitter, un dessin attire son attention. La caricature donne à voir une agente en vin, moulée dans une robe rouge près du corps et dont une des bretelles est descendue sur l’épaule. La jeune femme blonde roucoule en proposant des faveurs sexuelles à un caviste au physique ingrat et manifestement sensible à ses charmes. Le dessin est publié par le magazine français spécialisé En Magnum.
Piquée au vif, Sandrine interpelle la revue et dénonce un « sexisme crasse et idiot ». Plus tard dans la soirée, elle reçoit un SMS incendiaire d’un numéro inconnu. C’est le rédacteur en chef en personne qui lui signifie qu’il n’apprécie pas son commentaire. Sur un ton familier qui confine à la vulgarité, il lui promet de ne pas en rester là.

Les jours qui suivent, un « tombereau de merde » s’abat sur Sandrine. Ses harceleurs ne sont ni des ados prépubères qui s’ennuient ni des retraités désœuvrés, ce sont des journalistes et des sympathisants du magazine. Les insultes tournent invariablement et sans originalité autour de son physique, de ses facultés mentales ou de sa vie de famille. Un déferlement de propos orduriers qui visent à la discréditer.
« Les gens – que des hommes – qui m’insultent me prouvent que j’ai raison. Le fait qu’ils réagissent de manière épidermique montre qu’il y a quelque chose qui dérange. Le backlash est à la mesure du problème, même si sur le coup, ce n’est pas évident à vivre », admet Sandrine. Le backlash est un retour de bâton, une offensive réactionnaire, souvent utilisé contre les féministes à la moindre avancée en faveur des droits des femmes[1].
La mécanique d’exclusion se met alors en branle. Elle le savait pourtant : être dotée d’un vagin et s’exprimer sur Internet avec un discours féministe, il n’en fallait pas plus pour provoquer un lynchage public. C’est une véritable campagne de harcèlement qui débute, caractérisée par une violation de son intimité, le vol d’une photo d’elle en maillot, des invitations aux moqueries et un appel au dénigrement. À cette époque, elle est sidérée par la violence de la claque qu’elle se reçoit dans la figure à chaque fois qu’elle ouvre un de ses réseaux.
Comme souvent, l’histoire retombe comme un soufflé qui reprend de la vigueur de manière sporadique, au gré de ses apparitions publiques. Dès la publication de la couverture de son dernier livre, Manifeste pour un vin inclusif, Sandrine se fait traiter de féministe hystérique, comme le veut la tradition chez les mâles dominants qui refusent toute remise en question de leurs privilèges.
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[1] Sur ce sujet, voir l’essai de la journaliste féministe américaine Susan Faludi qui s’intitule Backlash : la guerre froide contre les femmes (Paris, Éditions des femmes-Antoinette Fouque, 1991).