Horeca éleveurs
Christophe Hugo, de la ferme bio La Cense de Léandine. © Philippe Lavandy

Horeca : les chefs trop vaches pour les éleveurs

Entre les éleveurs bovins du pays et l’Horeca, la sauce ne prend pas. En cause notamment, le manque d’attrait pour le Blanc Bleu Belge. Des éleveurs de races plus rustiques tentent de renouer le lien avec les restaurateurs mais, d’abord, ils doivent leur faire comprendre qu’une vache ne se compose pas que de steaks !

Clémence Dumont journaliste / clemence@tchak.be

S’il y a bien un élément frappant quand on examine l’assortiment des grossistes spécialisés en viande à destination de l’Horeca, c’est la présence massive de viande étrangère. Bien plus que dans la grande distribution !

Le tableau général est particulièrement édifiant pour la viande bovine, un produit dont la consommation à domicile s’érode mais qui garde une place d’honneur dans les brasseries. D’après un rapport publié en 2016 par la Société wallonne de gestion et de participations (Sogepa), pas loin de 90% de la viande bovine que la Belgique importe serait destinée à l’Horeca[1]. S’il n’existe pas de données tout à fait fiables sur la destination des volumes importés, force est de constater que la mise au ralenti des établissements Horeca à cause de la crise sanitaire n’a pas eu de répercussions négatives sur les éleveurs, au contraire. 

« C’est triste à dire, mais les éleveurs se sont mieux portés quand l’Horeca était fermé, résume Quentin Legrand, chargé de mission auprès du Collège des producteurs. Pendant les confinements, les habitudes de consommation ont changé et la demande en viande bovine locale a augmenté, ce qui a tiré les prix vers le haut. Depuis la réouverture de l’Horeca, les prix des taurillons repartent légèrement à la baisse. »

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+++ Cet article est un des chapitres de notre enquête Et si les restos se mettaient au circuit court publiée dans notre numéro 8 (hiver 21-22), toujours en vente.

L’un des éléments qui expliquent l’attrait des bovidés étrangers, c’est le désamour de toute une gamme de restos pour le Blanc Bleu Belge. Beaucoup préfèrent proposer à leurs clients une viande différente de celle que ceux-ci achètent au supermarché, plus grasse, plus persillée. « Il y a aussi une méconnaissance de la diversité en BBB », complète Quentin Legrand. 

Pourtant, le BBB est bon marché. Mais le bœuf est un produit que les consommateurs sont disposés à payer relativement cher, peut-être plus encore s’il est associé à des images de vertes contrées lointaines (quel que soit le caractère trompeur de ces images). « Des restaurants en profitent pour proposer du bœuf exotique qu’ils ont payé à peine plus cher que du BBB, voire moins cher, tout en augmentant leur marge », selon le délégué commercial d’un grossiste. Autre critique qui revient envers le BBB : les dimensions de certaines pièces, jugées trop grandes.

Une race qui a enfermé les éleveurs

Au-delà de ces considérations pratiques, quelques cuisiniers et gérants délaissent le BBB par souci sincère de durabilité, refusant de soutenir une race aussi dépendante des vétérinaires et de l’apport de nourriture concentrée. « Le BBB, c’est contre mes principes », nous ont dit plusieurs d’entre eux.

D’ailleurs, même si le BBB reste de loin la race viandeuse dominante en Belgique, de plus en plus d’éleveurs s’en détournent. Cependant, toutes les chaînes de production et de commercialisation ayant été construites autour du BBB, ils peinent à valoriser leurs bêtes. D’après le Collège des producteurs, les bovins bio (qui ne sont jamais des BBB) retournent ainsi majoritairement dans le circuit conventionnel avant d’être mangés, ce qui implique une grosse perte de valeur ajoutée pour les éleveurs.

Ces éleveurs « alternatifs », et même les éleveurs de BBB qui veulent juste être rémunérés plus dignement, doivent élaborer de nouvelles filières. Celles-ci sont particulièrement complexes à mettre en place à destination de l’Horeca.

« La difficulté, c’est que les restaurants ne prennent pas tous les morceaux, résume Quentin Legrand. En simplifiant un peu, disons qu’ils sont surtout intéressés par le quartier arrière des bêtes, là où se trouvent les beaux morceaux à cuisson rapide comme les steaks, les entrecôtes, les filets et les contrefilets. En revanche, ils délaissent le quartier avant, c’est-à-dire les pièces qui conviennent bien à une cuisson lente comme dans les carbonnades. »

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Les vaches, « des steaks sur pattes »

Tchak! a interrogé sept vendeurs de viande bovine en circuit court (éleveurs et bouchers). Tous ont fait part de cette même impression : « les restaurants, ils pensent que les vaches sont des steaks sur pattes ! ». Même les éleveurs qui se regroupent peinent à atteindre l’équilibre carcasse, comme on dit dans le jargon, lorsqu’ils s’adressent à l’Horeca. 

« Je suis régulièrement contacté par des restaurateurs, il y a un intérêt. Mais les échanges ne se concrétisent presque jamais, explicite Christophe Hugo, éleveur de Limousines bio près d’Enghien. Si je retire toutes les pièces nobles de mes colis pour les vendre aux restos, les consommateurs qui achètent mes colis ne vont pas être contents. De toute façon, mes prix conviennent rarement. Pour l’instant, je livre seulement quelques cantines qui ont besoin de haché ou de saucisses. Ça m’arrange parce que j’y mets des bas morceaux. Mais les quantités restent minimes. Elles vont peut-être me prendre 20 kg alors que, quand j’abats une bête, je dois trouver des débouchés pour 250 kg ! »

« Ce qui intéresse les restos dans le circuit court, c’est l’image, mais beaucoup moins le soutien aux producteurs qui va avec, déplore Christophe Hugo. Je pense qu’ils ont été un peu trop gâtés par les grossistes. Ils se sont habitués à pouvoir commander à minuit pour le lendemain matin tous les morceaux qu’ils veulent, à des prix qui impliquent qu’on paye les éleveurs sous leur prix de revient. »

Horeca éleveurs
Christophe Hugo, de la ferme bio La Cense de Léandine, essaye de toucher les restaurateurs à la fois en direct et via un grossiste flamand qui livre tous types de commerces. Mais ses ventes vers l’Horeca sont dérisoires. © Philippe Lavandy

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[1] Sogepa, « Le secteur de la viande en Wallonie », Regards sur l’économie wallonne, n°4, 2016, p. 105. La viande préparée ne semble pas incluse, mais la Sogepa n’a pas été en mesure de nous le confirmer, l’auteur de l’étude n’étant pas disponible.