Dans les assiettes des restaurants, la viande se taille souvent la plus belle place. Quelle viande ? Celle des grossistes du secteur Horeca, des multinationales comme Metro et ISPC-Sligro ainsi qu’une myriade de PME. On a passé au crible leur assortiment. Au menu : importations massives et filières intensives.
Clémence Dumont Journaliste | clemence@tchak.be
Les yeux plongés dans la carte que vient de vous amener le serveur, vous hésitez : plutôt bœuf, porc ou poulet ? Après tout, que savez-vous de cette viande ? Est-elle locale, ce qui serait logique puisque la Belgique exporte largement plus de bœuf, de porc et de poulet qu’elle n’en importe ? Durable, c’est-à-dire rémunératrice pour les producteurs, socialement équitable et avec un impact écologique soutenable ? Produite dans le souci du bien-être animal ?
Les réponses risquent de vous décevoir. Tchak! a passé au crible l’assortiment carné des principaux grossistes dédiés aux professionnels de la restauration. On a analysé leurs dépliants, visité leurs entrepôts, interrogé leurs délégués commerciaux. C’est en effet par l’intermédiaire de telles entreprises que la très grande majorité des restaurants se fournit, tant celles-ci se sont rendues indispensables en raison de leur offre de produits (gamme, conditionnement, qualité et prix pensés pour l’Horeca) et de leurs services (livraisons, facturation, conseils …).
L’offre « compétitive » de Metro
Le grossiste qui surplombe le paysage, même s’il ne dépasse pas 15% de parts de marché [1], c’est Metro, une multinationale allemande dont l’assortiment généraliste s’adresse à tous les types de restaurants. L’enseigne est bien implantée dans le pays grâce à un réseau de onze magasins (sans compter les magasins grand public Makro, qui appartiennent au même groupe).
Cette entreprise propose-t-elle de la viande locale et durable aux restaurateurs ? Tchak! a arpenté les rayons de son magasin situé en périphérie namuroise. La chair animale y est mise en valeur ; l’offre est presque aussi abondante que les promotions. Mais manifestement, la durabilité n’est pas une priorité. La moitié de la viande bovine, pour commencer par elle, provient de l’étranger : Irlande, Argentine, Brésil, Australie, France… Des importations pas vraiment « Fairtrade », à voir le nom des entreprises qui en recueillent les bénéfices (par exemple ABP et Dawn Meats pour le bœuf irlandais) !
+++ Cet article fait partie de notre enquête Et si les restos se mettaient au circuit court ?, au sommaire de notre 8° numéro (hiver 21-22). Après deux années difficiles dues au Covid, le secteur Horeca tente péniblement de rebondir. Au bénéfice de quelle alimentation, de quelle agriculture, de quel modèle de consommation ? Un dossier en quatre chapitres.
Metro propose aussi de la viande bovine belge. Du Blanc Bleu Belge, la race viandeuse phare en Belgique, et de la Holstein, la race qui domine l’élevage laitier. Toutes issues de sociétés d’abattage qui, chez nous cette fois, tirent les ficelles d’un marché en surproduction tourné vers les exportations. Metro valorise sous sa marque des femelles Blanc Bleu Belge plus goûteuses que les taurillons privilégiés par la grande distribution. Mais rien de sensiblement plus durable que l’élevage standard, ni encore moins de bio.
Les étals de viande porcine n’inspirent pas davantage. On y trouve pas mal de porc ibérique, mais sachant qu’il existe en Espagne trois catégories de porcs ibériques dont l’une concerne des animaux qui n’ont jamais mis les pieds à l’extérieur ni avalé le moindre gland, on n’est pas très en confiance. On y observe surtout le pire du porc belge et quelques équivalents allemands. Vous savez, ces cochons sur caillebotis dont l’espace personnel évolue de 15 cm2 à 1 m2 à mesure qu’ils grandissent ? Bon, c’est vrai, on a également repéré du porc fermier de la marque Porc Qualité Ardenne (PQA). Soit du porc qui bénéficie de densités d’élevage un poil plus faibles, d’un peu plus de lumière naturelle et d’une litière. Mais on a cherché en vain du porc bio ou à tout le moins élevé en plein air, que pourtant PQA commercialise aussi.
Peut-être aurons-nous plus de chance avec le poulet ? Raté ! Un regard sur les étiquettes des filets nous apprend que les clients de Metro ont le choix entre du poulet belge nourri au maïs, du poulet belge standard et du poulet polonais, ce dernier étant le moins cher au kilo. Le poulet au maïs vit quelques jours de plus et bénéficie d’un peu plus d’espace, d’après Belki, l’abattoir qui le commercialise : la densité d’élevage s’élève à « seulement » 16 poulets par m2. Dans les trois cas, les volatiles ont passé leur courte vie comprimés par milliers dans des bâtiments industriels.
En poulet entier, l’offre monte un peu plus haut en gamme. Mais le restaurateur qui veut cuisiner un animal ayant picoré dehors devra se rabattre sur du poulet français Label Rouge, un label qui, soit dit en passant, ne garantit nullement une juste rémunération de l’éleveur. Oups, on avait failli ne pas voir les quatre coucous de Malines Belki planqués sur une étagère ! Malgré la photo trompeuse, ces poules rustiques n’ont pas forcément eu accès à un parcours extérieur, mais Belki assure que ce sera systématiquement le cas à partir de mi-2022.
La gastronomie selon Sligro
En quittant le magasin, on est encore tombés sur une pile d’œufs de poules élevées en cage. Ces œufs dont même la grande distribution ne veut plus, mais que Metro continue à plébisciter… Heureusement, Metro n’a pas le monopole dans les garde-manger des restaurants. L’un de ses plus gros concurrents est Sligro-ISPC, une chaîne qui attire une clientèle plus gastronomique. Cette entreprise appartient depuis 2017 au groupe néerlandais Sligro, qui a également racheté Java, un grossiste pour cantines collectives. Sligro-ISPC possède trois magasins en Belgique. Tchak! a visité celui d’Herstal.
L’offre en viande est très proche de celle de Metro, si ce n’est que le haut de gamme y est davantage mis en avant. On a par exemple aperçu de la Bleue des Prés, c’est-à-dire du Blanc Bleu Belge qui a pâturé au moins deux saisons, du porc Brasvar, qui est un cochon flamand nourri notamment de pommes de terre et d’huile d’olive, ou encore du gibier originaire du Benelux plutôt que d’Europe de l’Est. Mais les produits de qualité sensiblement différenciée sur le plan environnemental et du bien-être animal sont marginaux. Le jour de notre visite, il n’y avait rien de bio dans tout l’assortiment de viande du magasin, sauf trois poulets !
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On vous l’accorde : on aurait pu se douter que des multinationales ne seraient pas très portées sur le soutien aux petits paysans wallons. D’ailleurs, une source bien informée nous a appris que Metro et Sligro-ISPC avaient tous les deux refusé de collaborer avec Promogest, une plateforme de la Province de Liège qui organise la distribution de produits régionaux vers les grandes et moyennes surfaces. « Metro était partant pour une opération ponctuelle qui lui aurait permis de faire du greenwashing, mais pas pour une collaboration pérenne, raconte cette source. Quant à Sligro-ISPC, ils ont voulu jouer sur les prix et créer leur propre marque de produits locaux, dans laquelle le lien avec les producteurs aurait disparu. »
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[1] www.lecho.be/entreprises/grande-distribution/makro-gonfle-ses-revenus-et-reduit-sa-perte-d-un-tiers/10291783.