Leonidas
D’après une récente étude de l’Université de Chicago, 1,56 million d’enfants travaillent dans les cacaoyères de Côte d'Ivoire et du Ghana (deux principaux pays producteurs), dont 95 % effectuent des tâches dangereuses. © Benjamin Lowy

Leonidas : du cacao certifié… double zéro

« Cacao durable ». Cette assertion figure en devanture de toutes les boutiques Leonidas. Pourtant, le célèbre chocolatier belge distribue des millions d’euros de dividendes sur le dos de cacaoculteurs maintenus dans la pauvreté. Pour une chasse aux œufs de Pâques vraiment solidaire, mieux vaut apprendre à ne pas se perdre dans la jungle des labels. On vous guide en trois volets.

Clémence Dumont journaliste | clemence@tchak.be

Ce dossier a été publié dans notre numéro 9 (printemps 2022), toujours en vente. Il est ici en accès libre. Notre objectif: vous permettre de découvrir Tchak – La revue paysanne et citoyenne qui tranche.

Au sommaire de nos numéros, des enquêtes, des décrytages, du reportage sur un monde au coeur de la transition, de la société, de l’environnement, de l’économie et de la santé publique. 

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En Belgique, le chocolat est une fierté nationale. Notre petit pays est le deuxième plus grand exportateur mondial de denrées à base de cacao. Parmi ses nombreux fleurons : Leonidas. La marque réputée pour ses pralines bon marché compte près de 1.300 points de vente répartis dans 40 pays, dont plus d’un quart à l’intérieur de nos frontières. Toute la production de ce fournisseur breveté de la Cour est centralisée à Anderlecht.

Depuis le 1er octobre 2021, la société anonyme assure que sa matière première est « durable ». C’est même écrit sur les vitrines des boutiques de ses franchisés. Alors que la culture du cacao est de plus en plus décriée pour ses impacts délétères, alors que l’industrie chocolatière reconnaît enfin que les revenus des cacaoculteurs et cacaocultrices sont indécents, l’heure de la transition a-t-elle sonné ? Avant de se laisser étourdir par les cloches de Pâques, il est temps de réajuster les pendules !

Leonidas ne s’embarrasse guère de longues explications théoriques : si son cacao est durable, c’est parce qu’il est « 100 % certifié » Mais ça veut dire quoi? © Leonidas

1. Non, le cacao de Leonidas n’est pas durable

« Notre mission chez Leonidas, c’est de créer des moments de bonheur pour tous. On pense qu’on doit pouvoir apporter un peu plus de bonheur pour nos clients, nos collaborateurs, nos détaillants indépendants, mais aussi nos fournisseursVu nos volumes, on peut apporter des moyens supplémentaires à près de 2.500 fermiers. » 

Voilà comment le directeur général de Leonidas, Philippe de Selliers, justifie auprès de Tchak! le choix de son entreprise de s’approvisionner uniquement en « cacao durable ». Et concrètement, ça veut dire quoi ?

Leonidas ne s’embarrasse guère de longues explications théoriques : si son cacao est durable, c’est parce qu’il est « 100 % certifié ». Les trois fabricants à qui l’enseigne achète son chocolat de couverture (c’est-à-dire le chocolat qui sert de base à ses confiseries) n’ont pas changé. Il s’agit toujours de Barry Callebaut et Cargill, deux géants qui dominent le marché mondial, ainsi que de Puratos, un groupe belge. Mais elle leur commande dorénavant uniquement du chocolat estampillé Rainforest Alliance ou Cocoa Horizons. Quésaco ? 

Rainforest Alliance, paravent vert

Rainforest Alliance est une ONG américaine qui a conçu un programme de durabilité pour les produits typiques des territoires tropicaux comme le cacao, les bananes, le café ou encore l’huile de palme. Les denrées cultivées dans le respect de ce programme, contrôles indépendants à l’appui, sont identifiées par un logo avec une grenouille verte.

Initialement, Rainforest Alliance a été créée pour préserver les forêts et la biodiversité en se servant du commerce. Aujourd’hui, l’organisation revendique agir aussi en faveur du climat, des droits fondamentaux et des moyens de subsistance des communautés rurales. En 2018, Rainforest Alliance a englobé UTZ, un label concurrent. De nouveaux standards communs ont été édictés avec une entrée en vigueur progressive d’ici à l’été 2022.

+++ Commentaire | L’industrie du chocolat, sommet du commerce inéquitable

Le problème ? Se réclamer comme durable sur la seule base du label Rainforest Alliance fait s’étrangler ceux qui connaissent la réalité agricole des pays du Sud, et particulièrement des exploitations de cacao.

« On peut être certifié et bousiller l’environnement avec des pesticides et des monocultures. Il y a eu un léger progrès en faveur de l’agroforesterie, mais on a dû batailler des années pour l’obtenir », entame Etelle Higonnet, conseillère de la National Wildlife Federation et ex-directrice de campagne de Mighty Earth, une ONG de protection de l’environnement basée aux États-Unis qui enquête régulièrement sur le secteur du cacao.

« Rainforest Alliance est un énorme certificateur pour plein de produits. Elle a des connaissances qui pourraient aider les paysans à se diversifier. Elle pourrait aussi les soutenir pour passer au bio, par exemple. Elle ne le fait pas. Mais le problème est bien plus large. Entre son discours et la réalité, il y a un énorme décalage », poursuit Etelle Higonnet. 

Des plantations seulement tenues de « s’améliorer»

Ce décalage est corroboré par la littérature scientifique[1]. Plusieurs facteurs l’expliquent. D’abord, le noyau dur de pratiques imposées par Rainforest Alliance est assez réduit. Sur la plupart des points, les plantations sont seulement tenues de « s’améliorer », ce qui complique les contrôles.

Ensuite, les acheteurs ont tendance à ajouter aux cahiers des charges des critères dont le but est d’augmenter la productivité des exploitations, avec parfois des conséquences néfastes pour l’environnement. Des chercheurs ont par exemple montré que, en aidant les coopératives à préfinancer l’achat d’engrais et de pesticides, les exportateurs de cacao Rainforest Alliance ont contribué à la hausse de l’usage de ces intrants.

Sur la lutte contre la déforestation, le label à la grenouille est jugé comme l’un des plus sérieux. Toutefois, la faiblesse des audits et l’opacité généralisée de la filière du cacao sont telles que des fèves issues de la déforestation continuent à être certifiées. Idem pour le travail et la traite des enfants, qu’aucune certification ne parvient à stopper.

Refus d’instaurer un prix minimum pour les fermiers

Enfin, la critique qui revient le plus souvent à l’encontre de Rainforest Alliance est son refus d’instaurer un prix minimum au bénéfice des fermiers. Bart Van Besien, chargé de plaidoyer d’Oxfam Belgique, ne l’avale pas : « Il y a eu une course entre Fairtrade, UTZ et Rainforest Alliance. Elle a été gagnée par Rainforest Alliance. Depuis sa fusion avec UTZ, ce label représente plus du tiers du cacao mondial. Ce qui est pénible, c’est qu’il n’inclut aucun prix minimum donc, pour les entreprises, il est meilleur marché que Fairtrade alors que même les prix garantis par Fairtrade ne sont pas assez élevés. »

Les prix sont d’autant plus bas que, pour être certifiés, les cacaoculteurs doivent payer des audits et mettre en place des pratiques coûteuses en temps de travail. Pour les y inciter, les acheteurs leur versent des primes. Cependant, leur montant moyen n’a cessé de faiblir au cours du temps. À partir de juillet 2022, une somme au choix devra automatiquement être dédiée à des investissements collectifs tandis que la partie versée aux cacaoculteurs ne pourra plus être inférieure à 70 dollars US (environ 62 euros) par tonne de fèves de cacao. Un montant… ridicule !

Cocoa Horizons, le piège à cons

La deuxième certification à laquelle Leonidas se réfère, pour une portion très minoritaire de son assortiment d’après son patron, c’est Cocoa Horizons, un programme développé par Barry Callebaut. Contrairement à Rainforest Alliance – déjà très contestable –, celui-ci n’a donc pas été élaboré par une tierce partie mais par rien de moins que la multinationale qui règne en maître sur le secteur du cacao. Barry Callebaut représente à elle seule 40 % du chocolat de couverture vendu dans le monde.

Le programme Cocoa Horizons est disponible en ligne. Il met l’accent sur la traçabilité des fèves et l’organisation de formations en vue d’accroître la productivité des plantations. Pour le reste, il ressemble surtout à un catalogue de déclarations d’intention sans obligation de résultat (« les agriculteurs et leur main-d’œuvre sont sensibilisés aux droits humains », etc.). 

Nulle part, il n’est question d’agir directement sur les prix payés aux agriculteurs. Le programme prévoit uniquement l’octroi d’une prime dont le montant n’est pas déterminé. D’après nos calculs sur la base du dernier rapport annuel de Cocoa Horizons, en 2020, cette prime s’élevait à 40 euros en moyenne par exploitation, dont une partie versée aux groupements de producteurs[2]. Bref, des cacahuètes, dont Barry Callebaut ne nous a pas donné le détail malgré notre demande.

Comment croire que ce plan permettra à Cocoa Horizons d’atteindre son but affiché, à savoir « améliorer les moyens de subsistance des producteurs de cacao tout en protégeant les enfants et la nature » ? Barry Callebaut elle-même indique que, parmi les cacaoculteurs inclus dans son programme de durabilité, la moitié sont sous le seuil d’extrême pauvreté établi par la Banque mondiale tandis qu’au moins 28 % des enfants interrogés dans les exploitations y travaillent. Les plus optimistes diront que, en faire état publiquement, c’est déjà un progrès…

Le commerce équitable, trop cher pour les actionnaires

Si la volonté de Leonidas est de mieux partager le « bonheur » qu’elle crée, pourquoi ne pas avoir opté pour la certification Fairtrade ou d’autres initiatives qui agissent directement sur les prix ?

« Le chocolat durable, c’est un long voyage. On n’a pas nos propres plantations de cacao donc on est obligés de faire confiance à des certificateurs. On a choisi ceux qui nous semblaient les plus en ligne avec nos valeurs. S’il s’avère que d’autres sont plus efficaces, on changera, répond Philippe de Selliers. Il faut rester très humble parce qu’on n’est jamais assez durable. »

Certes. Surtout quand on privilégie les certifications les moins onéreuses ? « On a tenu compte de plein d’éléments et sans doute que le coût a joué. Mais ce qui nous intéresse, ce n’est pas tellement combien on paye pour une certification, c’est combien d’argent est vraiment réinvesti sur le terrain », assure le directeur.

Le coût est pourtant la raison majeure pour laquelle Leonidas refuse (jusqu’ici) de collaborer avec Fairtrade Belgium, a appris Tchak de source sûre. Le label est jugé trop cher par une entreprise qui, malgré un chiffre d’affaires légèrement plombé par le Covid, vient de distribuer 5 millions d’euros de dividendes à ses sept actionnaires…

« Les pralines sont un produit de luxe dont tout le monde doit pouvoir profiter, un droit fondamental en quelque sorte », se plait à clamer Leonidas. Et le droit à un revenu digne, ce n’est pas un droit fondamental ça ?

2. En dépit des labels, la situation
des cacaoculteurs reste dramatique

Leonidas n’est qu’un petit rouage d’un système nauséabond, et certainement pas le pire. Néanmoins, elle contribue à sa paralysie en masquant l’ampleur des enjeux. Revenons-y donc, à ces enjeux !

En Côte d’Ivoire et au Ghana, d’où provient près de 70 % du cacao produit dans le monde, quasiment aucun cacaoculteur ne gagne un revenu vital[3]. Cette pauvreté a des impacts en chaîne. D’après une récente étude de l’Université de Chicago, 1,56 million d’enfants travaillent dans les cacaoyères de ces deux pays, dont 95 % effectuent des tâches dangereuses (manipulation de pesticides, horaires de nuit, etc.). Certains sont même vendus comme esclaves. 

L’environnement n’est pas épargné. Comme il faut moins d’argent pour planter des cacaoyers sur des terres fertiles fraîchement défrichées que pour réhabiliter de vieilles cacaoyères dont la productivité a chuté, la forêt tropicale part en fumée. En Côte d’Ivoire, il n’en reste plus que 10 %. L’éléphant, symbole national, ne sait plus où aller… 

Si la situation est moins dramatique en Amérique latine, partout, les paysans sont fragilisés par les fluctuations du cours du cacao, structurellement à la baisse. Et chaque fois qu’émerge un nouveau bassin de production, s’ensuit une vague de déforestation. 

L’industrie du cacao ne feint plus de l’ignorer. Depuis plus de 20 ans, elle multiplie les déclarations et engagements en faveur d’un cacao plus durable. Pourtant, le travail des enfants a augmenté en 2020 et, d’après un récent rapport de l’ONG Mighty Earth, la déforestation n’a ralenti ni au Ghana ni en Côte d’Ivoire.

Sur le terrain, c’est d’abord la concurrence entre les colosses de ce marché hyper-concentré qui dicte les conduites. En effet, entre les millions de cacaoculteurs et les milliards de consommateurs de chocolat dans le monde, une dizaine de multinationales à peine fixent les règles du jeu : Barry Callebaut, Cargill ou Olam, qui règnent sur le négoce et la transformation des fèves, ainsi que des fabricants de produits chocolatés comme Nestlé, Mondelez ou Ferrero.

La plupart des plantations de cacao sont des exploitations de taille très modeste. © Cocoa Horizons 

La clé du cacao durable

Les labels de durabilité les plus répandus réussissent-ils un peu mieux à améliorer la situation des cultivateurs et cultivatrices ? À peine.

« Les systèmes de certification rendent la culture du cacao plus attrayante pour les membres des coopératives. Toutefois, plusieurs études montrent que l’impact sur les revenus est très limité, déplore Samuel Poos, coordinateur du Trade for Development Centre d’Enabel, l’Agence belge de développement. Or, il existe un consensus au sein de l’Organisation internationale du cacao [qui réunit les pays producteurs et consommateurs de cacao, NDLR] pour dire que, la clé du cacao durable, c’est de permettre aux cacaoculteurs de gagner leur vie. Malheureusement, sur le terrain, il n’y a pas grand-chose qui change à ce niveau-là. »

Même le label Fairtrade, qui est géré pour moitié par des producteurs, ne suffit pas à sortir les cacaoculteurs de la pauvreté. En Côte d’Ivoire, 88 % des planteurs de cacao certifiés Fairtrade gagnent moins qu’un revenu vital et 43 % sont sous le seuil d’extrême pauvreté[4].

Faute de demande, les coopératives cacaoyères d’Afrique de l’Ouest ne vendent généralement qu’une portion de leur production en tant que cacao certifié, qu’il s’agisse de la certification Fairtrade, Rainforest Alliance ou même bio. De plus, leur gouvernance est souvent peu démocratique et il n’est pas rare que les équipes dirigeantes détournent les bénéfices du label pour leur profit personnel. Enfin, même si Fairtrade est l’un des seuls à fixer un prix minimum à payer aux cacaoculteurs, ce prix est tellement bas que, certaines années, il est moindre que les prix du marché conventionnel (et n’est donc pas activé). 

« En 2019, le prix minimum a été augmenté à 2.400 dollars US la tonne de cacao, plus une prime de 240 dollars qui est payée aux associations de producteurs. Mais on le dit honnêtement : il faudrait atteindre au moins 3.000 dollars, convient Nicolas Lambert, directeur de Fairtrade Belgium. Nous avons fait tout un travail pour définir à combien devrait s’élever le prix du cacao pour garantir un revenu vital. On encourage nos partenaires à s’engager volontairement dans cette directionOn avance doucement parce qu’on ne peut pas prendre le risque que trop d’acheteurs abandonnent Fairtrade. Quand on a augmenté le prix minimum, certains partenaires se sont désengagés… »

Nestlé, par exemple, a quitté Fairtrade au profit de Rainforest Alliance. Pourtant, Fairtrade International a fait plusieurs concessions pour attirer les grandes entreprises agroalimentaires. Depuis 2015, celles-ci peuvent ainsi choisir de ne labelliser qu’un seul ingrédient, même s’il représente un pourcentage minime de leur produit fini. Un tournant fort critiqué…

« Les consommateurs doivent choisir entre 20 labels »

Les certificateurs « se foutent un doigt dans l’œil » à force de diluer leurs exigences, dénonce Etelle Higonnet, conseillère de la National Wildlife Federation: « Une certification, c’est une promesse qu’on fait au consommateur de lui donner quelque chose de meilleur en échange d’un peu plus d’argent. C’est une sorte de contrat social. En brisant ce contrat social, on donne des arguments supplémentaires aux entreprises pour ne pas se faire certifier et créer leurs propres labels. Les consommateurs se retrouvent maintenant à devoir choisir entre 20 labels ! »

Barry Callebaut a lancé Cocoa Horizons, Mondelez compte sur Cocoa Life, Nestlé a son Cocoa Plan… « Je ne suis pas forcément opposé aux certifications d’entreprise. Ce qui compte, c’est ce qu’il y a derrière, commente Nicolas Lambert, de Fairtrade Belgium. Malheureusement, ces certifications répondent généralement plus aux besoins de ces entreprises que des agriculteurs. Les questions à se poser sont chaque fois les mêmes : quelle est la transparence du programme ? ; va-t-il garantir de meilleurs prix pour les agriculteurs ? ; ceux-ci peuvent-ils décider de l’affectation des sommes d’argent qui sont dégagées ? On tombe vite dans des travers néocolonialistes… »

En pratique, le dénominateur commun de tous ces plans, c’est plutôt de se concentrer sur la productivité des exploitations. De l’argent a été injecté pour y parvenir : l’industrie a intérêt à maintenir une surproduction pour garder des prix bas et elle commence à se rendre compte que, si elle ne bouge pas, les paysans risquent de se détourner du cacao, d’autant qu’un virus qui détruit les cacaoyers est en pleine recrudescence en Afrique. En revanche, on reste à des années-lumière de ce que les consommateurs imaginent derrière les qualificatifs durable et équitable, des termes dont l’usage n’est d’ailleurs pas réglementé.

« Savoir d’où vient le cacao, comment s’appelle le planteur, s’il a des enfants, vérifier s’il empiète sur la forêt grâce à des satellites, c’est bien mais ça lui fait une belle jambe si on n’augmente pas ses revenus ! », ironise Sylvestre Awono. Ce petit-fils de cacaoculteurs camerounais s’occupe du développement commercial de Cacao-Trace, le programme de durabilité de Puratos, une multinationale belge qui fabrique notamment du chocolat de couverture sous la marque Belcolade.

Sylvestre Awonone ne supporte plus de voir les plus grandes entreprises du secteur « remplacer les exigences de durabilité par des exigences de traçabilité », puis affirmer qu’il suffirait que les exploitations africaines soient plus productives pour générer plus de revenus. « C’est faux, et elles le savent très bien ! Prenez un cacaoculteur ivoirien qui aurait augmenté sa production de 25 % par rapport à 2016 : aujourd’hui, il aurait perdu 6 % de revenus. Plus la productivité générale augmente, plus les prix diminuent. »

Le pire, c’est que payer plus cher le cacao est loin d’être infinançable au regard des plantureux bénéfices des entreprises qui le revendent. « Sur une tablette de chocolat, environ 7 % du prix payé par les consommateurs revient aux planteurs. Donc même si on augmentait de 50 % le prix d’achat du cacao et qu’on le répercutait sur les consommateurs, ça ne ferait qu’une hausse de 3,5 %, souligne Nicolas Lambert. Oui, c’est à devenir fou ! »

3. Le chocolat durable existe !

Les amateurs de chocolat sont-ils condamnés à en faire un plaisir coupable ? Bonne nouvelle : ceux qui peuvent se permettre de gonfler leur budget dédié aux confiseries de quelques cents à peine ont un vrai pouvoir. « Le mieux, c’est de privilégier les entreprises qui ont le changement social dans leurs missions et qui font du revenu des producteurs une priorité », conseille Bart Van Besien d’Oxfam Belgique. 

L’assortiment de chocolat ivoirien « Bite to Fight » d’Oxfam, justement, porte le label Fairtrade tout en allant au-delà : « On achète du chocolat de couverture Fairtrade à Puratos et on paye une prime supplémentaire de 1.000 dollars US par tonne de cacao à une coopérative ivoirienne avec laquelle on collabore, même si le cacao ne vient pas forcément de cette coopérative », détaille Bart Van Besien.

Pour le reste de son assortiment cacaoté, Oxfam se satisfait de la double certification Fairtrade et bio : le cacao de ces produits-là ne vient pas d’Afrique de l’Ouest et les deux standards combinés offrent actuellement des prix relativement élevés, même si l’ONG doute qu’ils soient suffisants.

Belvas, une chocolaterie belge engagée, a une démarche assez proche. « Tout faire en direct, ça veut dire transporter et torréfier soi-même les fèves. Si on a de trop petits volumes, les coûts et la consommation énergétique explosent, justifie Thierry Noesen, CEO. Mon compromis, c’est d’acheter uniquement du cacao bio et Fairtrade à des grands groupes et de développer des projets qui vont plus loin. Au Pérou, on est livré en direct par une coopérative qui transforme ses fèves bio en masse de cacao [la pâte obtenue avant la séparation du beurre et de la poudre, NDLR]. Et on est en train de construire une usine similaire en Côte d’Ivoire. Elle n’est pas encore opérationnelle, mais on achète déjà les fèves en direct à un groupe de planteurs qu’on aide à se convertir au bio, à se diversifier et qu’on soutient pour favoriser la scolarisation des enfants et l’émancipation des femmes. »

D’autres fabricants, comme Éthiquable, ont préféré ne plus arborer le label Fairtrade. « Depuis 2013, on soutient le Symbole Producteurs Paysans, un label dissident dont on partage l’approche centrée sur les petits producteurs et l’agroécologie, justifie Stephan Vincent, cofondateur d’Éthiquable Benelux. On n’est pas opposés à Fairtrade. Mais on aurait préféré qu’ils capitalisent sur des acteurs comme nous pour les faire grandir, plutôt que de nous utiliser comme faire-valoir pour des entreprises qui font pression pour diminuer le niveau d’exigence… »

La coopérative Éthiquable (qui détient aussi la marque Terra Etica) est l’un des seuls fabricants de chocolat vendu en grande distribution qui ne dépend d’aucune multinationale du cacao. « On travaille en direct avec des coopératives équitables de paysans bio qu’on aide à créer de la valeur ajoutée, notamment en les laissant transformer les fèves en masse de cacao. Tout est calculé pour que les paysans gagnent un revenu décent. On ne paye jamais moins de 4.000 dollars la tonne. Mais nos projets sont globaux avec aussi des aspects sociaux et environnementaux. Ce qui est unique, c’est qu’on parvient à garder des prix accessibles grâce à nos volumes », applaudit Stephan Vincent. 

À côté de ces quelques initiatives, se développent des artisans entièrement « bean to bar », qui achètent leurs fèves directement auprès des cacaoculteurs. Les répercussions sur le portefeuille ne sont pas négligeables, mais elles se goûtent en bouche et vont généralement de pair avec un souci élevé pour les conditions de vie des fournisseurs. 

Si vous adorez les pralines, mieux vaut toutefois bien se renseigner car la plupart des artisans travaillent au départ du chocolat de Callebaut, Cargill ou Puratos. Ces trois entreprises représentent pas moins de 90 % du chocolat produit en Belgique[5] !

Au sein de ce trio, Puratos est la seule à avoir élaboré un programme interne ayant un impact direct sur la rétribution des cacaoculteurs. Son système repose sur l’octroi de deux primes qui s’ajoutent à suivi rapproché dans les fermes pour améliorer la qualité gustative des fèves. Combinées, les primes sont cependant à peine plus généreuses que la prime minimale de Fairtrade. Et Cacao-Trace ne couvre que 10 % du cacao Puratos… « On aimerait aller plus loin, mais on a besoin de plus d’acheteurs. Si demain une entreprise comme Leonidas nous soutenait, on pourrait avoir beaucoup plus d’impact », rêve Sylvestre Awono, responsable de Cacao-Trace.

Depuis peu, Éthiquable propose elle aussi du chocolat de couverture aux artisans chocolatiers, bio et vraiment équitable celui-là. « Ce qu’on fait, c’est juste ce qui devrait être normal, estime Stephan Vincent. On n’est pas des génies. Si on y arrive, pourquoi pas une entreprise comme Leonidas ? »

Beyond Chocolate : le sursaut du chocolat belge ?

En 2018, le gouvernement fédéral belge, les principaux producteurs de chocolat du pays, la grande distribution, des syndicats, des universités, des investisseurs et des ONG ont conclu un partenariat appelé Beyond Chocolate. Ses objectifs sont ambitieux : en 2030, le cacao destiné au marché belge ne pourra plus contribuer à la déforestation et devra générer des revenus vitaux pour les cultivateurs. Étape intermédiaire : d’ici fin 2025, tout le chocolat produit ou commercialisé en Belgique devra être certifié par un label indépendant ou couvert par un programme de durabilité interne.

Réaliste ? On a posé la question à quelques spécialistes et chocolatiers engagés. Beyond Chocolate pousse tous les acteurs du secteur à se positionner et permet de financer des projets pilotes pertinents, se réjouissent-ils. Cependant, ce partenariat repose sur la bonne volonté de chacun. Certifier le chocolat ne suffira pas à atteindre les résultats attendus en 2030, surtout quand tous les labels sont mis dans le même panier… 


[1] L’ensemble de cet article se base sur de nombreuses sources, dont :

  • S. Lemeilleur, Y. N’Dao et F. Ruf, « The productivist rationality behind a sustainable certification process : evidence from the Rainforest Alliance in the Ivorian cocoa sector », International Journal of Sustainable Development, 2015, 18 (4) ;
  • « La face cachée du chocolat », Le Basic, 2016 ;
  • F. Ruf, E. Uribe-Leitz, K.C. Gboko et A. Carimentrand, « Des certifications inutiles ? Les relations asymétriques entre coopératives, labels et cacaoculteurs en Côte d’Ivoire », Revue Internationale des Études du Développement, 2019, 240, p. 31-61 ;
  • F. Amiel, Y. Laurans et A. Muller, « Les chaînes de valeur agricoles au défi de la biodiversité : l’exemple du cacao-chocolat », Iddri, Étude n°5, 2019 ;
  • A. Carimentrand, « Cacao : état des lieux sur la déforestation et les standards de durabilité », Rapport d’étude du Cirad, 2020 ;
  • « Baromètre du cacao », VOICE Network, 2020 ;
  • F. Ruf, « Les standards dits durables appauvrissent-ils les planteurs de cacao ? », Cahiers de l’agriculture, 2021, 30 (38).

[2] D’après ce document, 162.436 agriculteurs ont livré du cacao Horizons et 6,4 millions d’euros ont été versés à titre de primes. 

[3] Un revenu vital comprend des réserves en cas d’imprévu.

[4] https://files.fairtrade.net/publications/Revenu-des-producteurs-de-cacao-CDI-rapport-final-2021.pdf

[5] D’après le Rapport annuel 2020 de Beyond Chocolate.