La Haute-École de la Province de Namur a suspendu sa spécialisation en agriculture biologique, la seule formation agronomique entièrement dédiée au bio dans l’enseignement supérieur belge. Si, d’ici la semaine prochaine, le nombre d’étudiants inscrits n’atteint pas au moins 10 personnes, cette décision pourrait devenir définitive.
Clémence Dumont – journaliste | clemence@tchak.be
« L’agriculture bio demande des compétences que l’on ne m’a pas enseignées lors de mon bachelier en agronomie. C’est pour cela que je me suis inscrit à la spécialisation en agriculture biologique. C’est la seule en Belgique ! Mais la semaine passée, on a appris que la formation était suspendue. Comment va-t-on faire pour avoir accès à tous ces savoirs ? Il faudrait qu’on se lance en se renseignant par nous-mêmes, en regardant comment font d’autres agriculteurs bio… C’est ce que beaucoup ont fait, mais je trouve que ce serait vraiment dommage. Il est beaucoup plus facile de se lancer en conventionnel qu’en bio ! »
Julien Bertrand, 23 ans, est l’un des sept étudiants inscrits à la spécialisation en agriculture biologique de la Haute-École de la Province de Namur (HEPN), à Ciney. Une formation pointue qui s’adresse à des personnes déjà titulaires d’un bachelier ou d’un master en agronomie, ou qui peuvent démontrer une expérience de terrain significative. Mais sept étudiants, c’est trop peu, a tranché la Haute-École. Alors, avec ses camarades de classe, Julien tente de promouvoir le cursus et d’alerter sur sa situation.
« Les cours ont commencé normalement puis, la semaine passée, j’ai dû annoncer aux étudiants que la formation était suspendue. Je vous laisse imaginer leur déception, confirme Nicolas Luburic, le professeur qui assure la coordination de ce programme. Les raisons sont budgétaires. Depuis la création de cette spécialisation en 2015, le nombre d’inscrits n’a jamais dépassé huit étudiants et cela ne posait pas de problèmes. Mais cette année, les finances de la HEPN sont plombées par l’indexation des salaires et la diminution du nombre d’inscriptions en première année, en particulier dans la section économique. »
« On nous a dit que la formation pourrait reprendre à condition qu’elle atteigne au moins 10 inscrits finançables d’ici à la semaine prochaine. Le risque si elle ne reprend pas, c’est que ce soit une décision définitive. Or on manque de professionnels dans le secteur bio, de gens qui n’ont pas appris sur le tas. Dans les cours d’agronomie de base, il n’y a rien sur le bio ! On a même des bioingénieurs qui viennent chez nous ! Les jeunes sont demandeurs mais tous n’ont pas envie de commencer par un bachelier classique ou de retarder leur entrée sur le marché du travail pour entamer une spécialisation », observe Nicolas Luburic.
« Ce serait quand même incohérent »
« Notre idée quand on a conçu cette formation, c’était aussi de faire progressivement “descendre” certains cours de la spécialisation dans le cursus de bachelier, voire de créer un bachelier spécialisé en bio, poursuit le formateur. Cette année, on avait le projet d’organiser au moins une journée consacrée à l’agriculture biologique pour tous les bacheliers. Évidemment, si la spécialisation n’existe plus, tout cela va tomber à l’eau… »
Plusieurs professeurs, qui préfèrent rester anonymes de peur de donner l’impression qu’ils se battent avant tout pour « défendre leur poste », ont fait part à Tchak de leur regret d’être la variable d’ajustement de la HEPN. « Dans le contexte environnemental et climatique actuel, alors que la HEPN vient de lancer la construction d’un nouveau bâtiment à hautes performances énergétiques pour les étudiants en agro, ce serait quand même incohérent de fermer la seule formation en agriculture biologique. Le Plan Bio 2030 de la Région wallonne a d’ailleurs montré qu’on manquait de formation en agriculture bio », pointent-ils.
Tchak a sollicité la HEPN pour connaître son point de vue mais, à l’heure d’écrire ces lignes, nous n’avons pas reçu de réaction.
Nicolas Luburic, pour sa part, tient surtout à faire connaître les atouts de la spécialisation en agriculture biologique : une formation axée sur le terrain avec trois jours de cours par semaine, 280 heures de stage, des professeurs qui sont tous des professionnels les mains dans la terre, un étalement possible sur deux ans…
« Les professionnels du secteur bio ont besoin de personnes formées et spécialisées. 100% des étudiants qui ont suivi la spécialisation ont trouvé un emploi dans la filière », ajoute Julien Bertrand, devenu inopinément ambassadeur d’une formation qu’il a à peine entamée.
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Mise à jour : Face au tollé provoqué par la possible suspension de la spécialisation en agriculture biologique de la HEPN, la Province de Namur a fait savoir le 6 octobre que celle-ci sera finalement bien dispensée durant l’année académique 2022-2023, «malgré un contexte budgétaire qui rend de plus en plus difficile le maintien de formations avec un public si réduit ». Elle a aussi appelé tous les étudiants intéressés à se faire rapidement connaître. La formation reste cependant en sursis. «Il n’est pas facile de voir un projet dans lequel on s’est investi, dont la pertinence semble indéniable et auquel on croit beaucoup ne pas parvenir à rencontrer le public auquel il est destiné. Et à moins que la tendance ne s’inverse, la formation est, en effet, à terme, menacée », explique la Province de Namur, qui souligne que «15 étudiants finançables sont nécessaires pour rencontrer le coût de l’encadrement pédagogique».
+++ Tchak enquête actuellement sur les aspirations professionnelles des étudiants bioingénieurs et sur la place laissée à l’agroécologie dans leur parcours académique. Pour participer à notre appel à témoignages, c’est ici ⬇️ !
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