La publicité pour les aliments malsains est omniprésente… Le constat est posé fin de l’an dernier par le Conseil supérieur de la santé (CSS). Qui en pointe les conséquences en matière d’obésité et de santé pour les enfants et les adolescents. Parmi ses recommandations, un contrôle plus strict de la pub diffusée sur les médias digitaux et des nouvelles techniques de marketing.
Billet d’humeur | Yves Raisiere, journaliste
On mettrait bien un gros kiss au Conseil supérieur de la santé (CSS), tant son dernier rapport est tchak-dedans. Pourtant, au départ, pas de quoi se réjouir : en Belgique, un enfant en bas âge sur quatre (25%), une enfant sur six (16,5%) et un adolescent sur neuf (11%) sont en surpoids.
En cause, une surexposition aux aliments ultra-transformés, pointe le Conseil. Et à ceux contenant trop de sucre, trop de sel, trop de graisses saturées. À la grosse louche, les trois quarts des produits vendus dans les supermarchés. Sacrée concurrence, donc besoin de se faire connaître.
« La publicité pour ces aliments est omniprésente : à la télévision et au supermarché, sur les réseaux sociaux et sur le smartphone, dans le club de sport et sur le chemin de l’école », s’alarme ainsi le CSS, qui déplore un marketing ciblant davantage les jeunes. La raison ? « Ils ont un pouvoir d’achat croissant, et en plus un impact important sur les achats de leurs parents. Et les préférences qu’ils développent dans l’enfance deviennent des habitudes à vie. »
Une rente bénie pour les actionnaires de ces multinationales, qui ne reculent devant rien pour associer dès le plus jeune âge les enfants à leur(s) marque(s). On exagère ? Attendez la suite : selon le CSS, enfants et ados sont confrontés à au moins quatre spots alimentaires télévisés par jour. S’y ajoute un « large éventail de stratégies créatives susceptibles de les attirer ».
+ Ce billet d’humeur a été publié dans notre numéro 12 (hiver 2022-2023).
La pub, une « alphabétisation »
La liste est longue : programmes spécifiques financés par les annonceurs ; marketing via des célébrités, des sportifs, des influenceurs, voire des enfants-influenceurs ; parrainage d’événements sportifs et e-sportifs ; placement de produits dans leurs séries, leurs clips musicaux, leurs jeux en ligne ; développement des advergames (contraction des mots anglais advertising et games, pour « jeux publicitaires ») ; incitation à réagir aux contenus commerciaux en ligne (likes, partages, commentaires) ; récolte de leurs données personnelles permettant d’afficher des contenus ciblés.
N’en jetez plus, la coupe est pleine ! Lavage de cerveau ? Anthony Galluzzo, auteur du livre La Fabrique du consommateur, préfère le mot « alphabétisation ». Dans l’interview qu’il nous avait accordée (Tchak numéro 3), ce maître de conférences à l’université de Saint-Étienne déroulait sa métaphore…
« Cette culture de consommation n’est pas spontanée. Nous avons reçu ces connaissances en héritage, et notre imaginaire a été alimenté, depuis notre naissance, par le marché. Dans la seconde moitié du XIXe siècle, il a fallu apprendre aux consommateurs le nom des produits, leur utilité, leur mode d’emploi. Cela s’est fait via l’image, via un travail publicitaire et médiatique. Et aujourd’hui, tout le monde connait des centaines de marques. C’est cela que j’appelle l’alphabétisation des consommateurs. »
Et cette leçon-là, impossible ou presque pour les enfants, relais réceptifs, de ne pas la retenir. « Lors d’une recherche menée dans les années 1990, des universitaires américains ont récolté plus de 600 lettres envoyées par des enfants au père Noël, note Galluzzo dans son bouquin. Leur analyse a révélé qu’environ 85% des enfants mentionnaient au moins une marque. Très tôt, les marchandises constituent leur langue commune. »
Un effet accru chez les enfants en surcharge
Le CSS cite, lui aussi, une étude récente pour illustrer son propos. Quatre camps de vacances différents, avec des enfants répartis au hasard, certains dans un environnement multimédia, d’autres non, et exposés à des publicités alimentaires et non alimentaires.
Résultat ? « Tous les enfants confrontés à un environnement multimédia ont mangé davantage au goûter après avoir été exposés à la publicité », relève le Conseil. Qui précise que « ce phénomène n’a pas été compensé au déjeuner, ce qui a entraîné un apport alimentaire quotidien supplémentaire ». Significatif également : la publicité alimentaire a eu un « effet accru chez les enfants ayant un statut pondéral plus lourd, tant dans un groupe que dans l’autre ».
Un marketing alimentaire qui soulève de sérieuses questions éthiques, balance encore le Conseil supérieur de la santé. La plupart des enfants n’ont ni la conscience, ni la compréhension, ni la capacité, ni la motivation pour résister à ces messages publicitaires basés sur l’émotion, l’anticipation du plaisir, l’appartenance à une tribu. Ou encore à les traiter de manière critique, spécialement quand il s’agit de nouveaux formats publicitaires. Et c’est valable aussi pour une bonne partie des ados, au contraire des adultes, qui résisteraient mieux à ces injonctions.
On en arrive à la conclusion. S’appuyant sur les recommandations de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), le Conseil recommande :
- l’interdiction de la publicité dans les lieux où se rassemblent les enfants ;
- l’interdiction des publicités télévisées de 6 heures à 23 heures ;
- des contrôles plus stricts sur les médias digitaux et les nouvelles techniques de marketing ;
- d’apprendre aux enfants à être critiques vis-à-vis de la publicité.
Pourquoi en arriver là ? Le CSS ne mâche pas ses mots : « en Belgique, la législation en la matière est très limitée et mise en œuvre par les industries de l’alimentation et de la publicité. Cette autorégulation ne fonctionne pas. Qui plus est, ces promesses et engagements ne font pas l’objet d’un contrôle et d’une évaluation indépendants et réguliers. »
On n’aurait pas dit mieux.
Vous avez pu lire ce billet en accès libre. Objectif: vous convaincre de l’intérêt de lire Tchak.
Pourquoi vous abonner?
1. Parce que vous consacrez 15% de votre budget mensuel à l’alimentation et que, par ce biais, vous pouvez être acteur d’une transition alimentaire solidaire et respectueuse de l’environnement. Encore faut-il pouvoir en capter les multiples et complexes facettes. En ce sens, Tchak est une boîte à outils qui aide à la prise de conscience.
2. Parce qu’appréhender ces multiples et complexes facettes en un seul numéro est impossible. Pour découvrir les acteurs, les filières, les systèmes, il faut se donner du temps. Celui de lire, de découvrir, de réfléchir, de débattre. S’abonner est le meilleur moyen pour appréhender les modèles et en cerner les impacts sur notre société, notre environnement, notre économie, notre santé.
3. Parce qu’investir dans notre / votre coopérative de presse, c’est participer au développement et à la viabilité d’un média basé sur l’économie sociale. A la clé, la pérennité des ressources indispensables à la conduite du projet et à sa qualité journalistique. Et ça, ce n’est pas rien dans un secteur qui reste plus que jamais à la recherche d’un modèle financier.
4. Parce que supporter la pluralité de la presse, c’est important sur le plan démocratique et sociétal. Cette pluralité permet de multiplier les visages, les témoignages, les débats dans les médias. Une diversité-miroir qui renforce la représentation citoyenne et qui ne peut qu’aider à restaurer la confiance entre ceux-ci et le journalisme.
5. Parce qu’en vous abonnant, vous allez retrouver un plaisir un peu particulier: celui de recevoir, tous les trois mois, une revue papier dans votre boîte aux lettres. Celui de la découvrir au fil des jours sans vous presser ; celui de pouvoir l’emporter dans le train, le bus, une salle d’attente; celui de fuir le tintamarre, de vous immerger sans être distrait ou stressé par des notifications, des vibrations, des appels ; celui de lire calmement, inversement proportionnel au temps perdu à scroller.
Obésité enfants, Obésité enfants, Obésité enfants, Obésité enfants, Obésité enfants,