En Wallonie, les plans de gestion durable des nitrates s’enchaînent depuis plus de vingt ans sans amélioration notable de l’état des eaux. L’agriculture, surtout intensive, est le premier vecteur de ces pollutions. La Commission européenne estime que la région ne « protège pas sa population et ses écosystèmes ».
Cédric Vallet, journaliste
Le 23 février 2023, le vieux contentieux entre la Commission européenne et la Région wallonne au sujet des pollutions de l’eau aux nitrates a pris une tournure peu glorieuse pour les autorités locales. L’exécutif européen a sorti l’artillerie lourde. À l’issue d’échanges de lettres entamés en 2014, puis de mises en demeure et de procédure d’infraction, la Commission a saisi la Cour de justice de l’Union européenne au motif que le gouvernement wallon, en ne respectant pas la directive sur les nitrates, « ne protège pas sa population et ses écosystèmes de la pollution de l’eau par les nitrates ».
+++ Ce décryptage est au sommaire du numéro 14 de Tchak (été 2023)
Malgré une baisse de la qualité des eaux souterraines dans « environ 30 % des points de surveillance », la Commission déplore que « les autorités belges n’aient pas révisé » la politique de gestion des nitrates. Le coup est rude, mais au sein du cabinet de Céline Tellier, ministre de l’Environnement, on espère que la Commission européenne « retirera sa saisine » lorsqu’elle aura bien pris en compte les mesures, récentes, du quatrième « Plan de gestion durable de l’azote en agriculture », surnommé le PGDA 4 et publié au moniteur belge le 5 avril dernier. Ce dernier a justement pour objectif de répondre aux griefs européens. Le but : tenter de réduire un peu plus les rejets de nitrates issus de l’activité agricole en poussant à une utilisation plus raisonnée des engrais.
Trois mesures sont censées répondre aux demandes de l’administration européenne. Les règles de stockage des fumiers et effluents de volailles « sur champ » deviennent un peu plus contraignantes. Cette durée de stockage maximale passera par exemple de 10 à 9 mois pour le compost ou le fumier, soit des engrais naturels (organiques). Ensuite, les agriculteurs devront tenir un registre des fertilisants incluant enfin des données sur les quantités d’engrais minéraux, donc chimiques, épandus. Jusqu’à présent, l’administration ne possédait que des informations sur les quantités d’engrais organiques. Enfin, les restrictions d’épandage sur des terrains en pente sont repensées pour mieux intégrer le risque d’érosion des sols, et donc le potentiel de ruissellement des nitrates vers les cours d’eau.
Ce lifting du PGDA est directement applicable aux agriculteurs, déjà soumis à des obligations de gestion raisonnée de l’azote depuis la mise en œuvre des plans successifs, dont le premier fut adopté par la Région wallonne en 2002. Depuis lors, ils sont soumis à une série d’obligations : limite d’utilisation d’azote par hectare, interdiction d’épandages de certains types d’engrais sur les terrains en pente, conditions plus strictes des stockages des lisiers, contrôles aléatoires de l’azote dit « lessivable », etc.
Les résultats de ces mesures successives restent, pour l’instant, peu probants. Si des associations, comme Canopea, estiment que les outils comme le PGDA sont « mal calibrés » pour atteindre ces objectifs, d’autres soulignent que de telles politiques prennent du temps pour produire leurs effets (le temps que les nitrates pénètrent jusqu’aux nappes phréatiques, parfois des dizaines d’années).
L’agriculture… cause première
La problématique des pollutions aux nitrates est intimement liée aux pratiques agricoles et à l’épandage excessif d’engrais d’origine organique — lisiers, fumiers, compost — ou d’engrais minéraux de synthèse. Bien sûr, d’autres sources de pollution existent. L’industrie, ou le mauvais assainissement des eaux urbaines contribuent aussi à l’accroissement des pollutions, mais, selon l’administration wallonne, les pollutions aux nitrates sont « essentiellement dues à l’utilisation d’engrais ».
Petit rappel de chimie non illustrée. Pour croître, les plantes ont besoin d’azote, surtout sous sa forme minéralisée, appelée « Nitrate » — combinaison d’azote et d’oxygène — qu’elles transforment en protéines. Les engrais minéraux contiennent déjà de l’azote sous sa forme minéralisée alors que les engrais organiques doivent subir plusieurs transformations, dans le sol, pour être assimilés par les plantes sous forme de nitrates.
Les nitrates, lorsqu’ils ruissellent vers un cours d’eau de surface, en général emportés par la pluie, peuvent favoriser l’apparition d’algues dans les eaux, ce qui a pour conséquence d’asphyxier le milieu et de perturber les écosystèmes. C’est ce que l’on appelle « l’eutrophisation ». Les déséquilibres des écosystèmes liés aux nitrates peuvent aboutir à des dépeuplements d’espèces de poissons, d’oiseaux, d’insectes.
Quant aux eaux souterraines, elles sont aussi polluées par les nitrates. Celui-ci pénètre plus ou moins lentement dans les sols jusqu’à atteindre les nappes phréatiques, utilisées pour capter l’eau potable. Selon l’Organisation mondiale de la santé, une eau dont les teneurs en nitrates dépassent les 50 milligrammes de nitrates par litre est impropre à la consommation.
L’enjeu est donc loin d’être anodin. Lorsque les taux de nitrates s’envolent, les producteurs d’eau n’ont que trois solutions devant eux. C’est ce qu’explique Cédric Prevedello, conseiller scientifique chez Aquawal, organisation faîtière des producteurs et distributeurs d’eau : « Soit les opérateurs abandonnent le captage dans la zone polluée, soit ils créent une interconnexion avec une autre zone de captage afin de diluer l’eau polluée pour faire baisser la concentration de nitrates, soit ils seront contraints de construire des unités de traitement des eaux. »
Ce traitement a un coût, qui pèse sur les factures de consommateurs. Ainsi, la compagnie intercommunale des eaux liégeoise a dû investir 31 millions d’euros pour construire une station de traitement biologique des nitrates à Ans. « Cela pose un problème d’ordre philosophique, estime Cédric Prevedello. Est-ce à l’usager du service public de l’eau de payer pour contrer les effets d’une pollution dont il n’est pas responsable ? »
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