Et si on achetait sa nourriture un peu comme ses soins de santé ? Pour combler ses besoins, chacun cotiserait à la mesure de ses revenus, selon un processus organisé démocratiquement. Depuis quelques années, cette idée de « sécurité sociale de l’alimentation » rallie collectifs paysans et de lutte contre la précarité. Avant de l’envisager à large échelle, des expérimentations soutenues par les pouvoirs publics s’imposent. Comme à Montpellier, en France.
Clémence Dumont – journaliste
Ce dossier est au sommaire du nouveau numéro de Tchak. Un « spécial élections » pour traverser une année 2024 marathon. En case de tête, cette invitation : L’effet colibri, ça suffit; au boulot, les politiques ! Sur notre liste, neuf chantiers réalisables en une législature (ou presque).
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Ce samedi 16 décembre à Montpellier, tandis que dehors le soleil d’hiver offre ses derniers rayons, une quarantaine de personnes affluent gaiement dans les locaux du Secours catholique. Il y a Pascale, retraitée contrainte de calculer ses dépenses à l’euro près alors qu’elle a « travaillé toute [sa] vie », Mohamed, un fils de paysans marocains devenu « écolo sans le savoir », ou encore Nathalie, jeune travailleuse « souvent dans le speed ». Comme les 400 membres de la Caisse alimentaire commune lancée dans la métropole du sud de la France, ils ont été invités à un goûter pour tisser des liens. Avant de partager boissons chaudes, fruits et gâteaux moelleux, ils racontent comment leurs courses ont changé depuis qu’ils ont intégré « l’expérience ».
Une dame entame le tour de parole. Elle se réjouit de pouvoir s’offrir « de la viande, de la charcuterie, des choses qu’[elle n’achetait] pas, tout simplement ». Quelques chaises plus loin, un jeune végétarien, initialement « pas hyper partisan du bio », se félicite d’avoir découvert l’assortiment de protéines végétales de la Biocoop, un magasin bio. Une femme isolée enchaîne : « L’argent de la Caisse, c’est une bouffée d’oxygène ! C’est malheureux d’être aussi serrée, mais maintenant que je me suis habituée à bien manger, j’ai peur du jour où je devrai m’en passer. » Beaucoup parlent de légumes, de produits sains, du plaisir de cuisiner. Pour quelques-uns, rien n’a changé dans leurs casseroles : « J’achetais déjà tout bio. En réalité, le projet a compliqué mes courses. Mais c’est un acte militant et j’ai pris l’habitude ! », assure une septuagénaire financièrement aisée.
La Caisse alimentaire commune qui les réunit, c’est une initiative pilotée depuis 2022 par Vrac & Cocinas[1], une association qui tente de rendre plus accessible la nourriture durable, et la fédération occitane des CIVAM[2], un réseau de groupements paysans, avec le soutien d’une vingtaine d’autres organisations.
Dépasser les injonctions
Avant de nous expliquer le fonctionnement de cette Caisse, Marco Locuratolo, l’un de ses coordinateurs, tient à la recontextualiser. « Cela fait 10 ans que le tissu associatif local travaille sur la démocratie alimentaire. À un moment donné, on a ressenti le besoin de faire un pas de côté pour deux grandes raisons, synthétise-t-il. D’abord, on sentait bien les limites de nos actions. Les inégalités s’accroissent, notamment autour des produits frais et de qualité auxquels une partie de la population n’a plus accès. De nombreux producteurs sont également en situation de précarité. On a fait le constat que ni les individus, ni les actions collectives isolées ne pouvaient porter seuls la responsabilité du changement. Il faut un mécanisme de solidarité à l’échelle d’un territoire. »
Le deuxième élément déclencheur, selon ce référent du réseau des CIVAM, tient à la nécessité de « redonner du pouvoir dans les mains des citoyens » alors que, « souvent, les associations ont une approche condescendante : elles sensibilisent, elles expliquent… Mais ça ne suffit pas. On s’est dit que si on voulait embarquer tout le monde, en ce compris les plus invisibles de la société, il fallait un objet de travail à discuter ensemble, sur la durée. »
Cet objet de travail, le réseau associatif l’a alors impulsé en se nourrissant du concept de « sécurité sociale de l’alimentation » : une caisse à laquelle un panel de Montpelliéraines et Monpelliérains[3] cotise en fonction de ses moyens pour financer une alimentation de qualité, l’organisation du processus étant confiée à un Comité citoyen. Ce Comité est actuellement composé de 62 volontaires, dont près de la moitié a de faibles revenus. Il est épaulé par un Conseil scientifique, soit une dizaine de sociologues, économistes, agronomes et autres chercheurs qui peuvent émettre des propositions et qui se chargent d’analyser les impacts du mécanisme.
Trop de « bourbiers alimentaires »
Grâce au soutien financier des pouvoirs publics locaux et de fondations privées qui complètent les cotisations citoyennes, la Caisse est fonctionnelle depuis quasi un an. Quatre cents personnes ont la possibilité d’en faire usage. Elles ont, pour la majorité, été tirées au sort au sein d’une liste de candidats, de sorte à se rapprocher d’un échantillon représentatif de la population en termes d’âges et de revenus. Toutes décident librement et confidentiellement du montant de leur cotisation avec un minimum de 1€ par mois. « On a élaboré un guide pour les aider à identifier la somme la plus juste selon leurs ressources. En pratique, le montant moyen s’élève à 60€ », indique Marco Locuratolo. En échange, tout le monde reçoit l’équivalent de 100€ par mois en MonA, la « monnaie alimentaire » créée spécialement pour le projet.
Cette monnaie peut être dépensée uniquement dans les lieux de vente « conventionnés », c’est-à-dire sélectionnés par le Comité citoyen. Une contrainte dont les modalités font régulièrement débat. « Un poulet à La Cagette, c’est 15€. Alors les 100€ par mois, ils partent vite. Pourquoi donner accès uniquement à des magasins où les prix sont aussi élevés ? », se demande ainsi Pascale.
Ce matin même, le Comité citoyen avait justement consacré sa réunion mensuelle à la procédure de conventionnement. Les critères choisis pour sélectionner les lieux de vente y avaient aussi été remis sur le tapis, mais pas tellement en raison des prix pratiqués.
En fait, certains quartiers de Montpellier et villages alentours ressemblent à ce que les chercheurs appellent des « bourbiers alimentaires ». Dans ces zones, il n’existe aucun lieu de vente jugé favorablement selon la grille d’évaluation indicative mise au point par le Comité. Celle-ci fixe cinq thèmes prioritaires : la praticité de l’offre et de la localisation, la qualité environnementale et la santé, les relations avec les producteurs, le modèle économique et de gouvernance et, enfin, la qualité des contacts avec les membres du projet. Des critères sur lesquels le Comité citoyen se questionne car, faute de magasin conventionné près de chez eux, des personnes sélectionnées pour l’expérience n’y participent pas.
– « J’achète ce que je veux dans un magasin. S’il y a des choses qui ne conviennent pas, je ne les achète pas », avait plaidé Samira, qui voudrait pouvoir payer en MonA dans les épiceries de son quartier, même si tout n’y est pas qualitatif.
– « On ne peut pas entrer dans la Caisse n’importe comment. Sinon autant conventionner Carrefour ! », avait répondu Malika.
– « Notre projet, c’est aussi de transformer les relations entre producteurs, commerçants et consommateurs. Si on affaiblit nos critères, on risque de perdre ça ! », avait conclu Sophie.
Édito | Le monde politique doit aller au feu
« Les gens réévaluent leurs critères de qualité »
Tout le nœud est là. Les membres du Comité citoyen visitent régulièrement des fermes pratiquant la vente directe pour pouvoir les conventionner. Ces rencontres ont renforcé leur sentiment de solidarité envers les producteurs et productrices engagés dans une démarche de durabilité. Néanmoins, 87% des transactions en MonA se font dans des commerces, généralement plus pratiques. Des commerces qui, même s’ils ont été choisis pour leurs valeurs, sont souvent déjà dans une logique de compromis entre accessibilité financière et soutien aux producteurs les plus agroécologiques.
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[1] Elle fait partie du réseau VRAC et agit notamment via des groupements d’achat.
[2] Centres d’initiatives pour valoriser l’agriculture et le milieu rural.
[3] Le projet couvre tout le territoire de Montpellier Méditerranée Métropole, soit 31 communes.
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