Label et certification bio

Rendre la certification bio gratuite (#boulot8)

Le label bio européen : un gage de confiance pour les consommateurs, mais une charge financière pour les acteurs de la filière, qui en ont marre de devoir payer la certification pour prouver qu’ils font bien leur métier. Pendant ce temps, les organismes de contrôle, eux, se remplissent les poches. Question : et si on rendait la certification gratuite ?

Claire Lengrand, journaliste

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« Je travaille avec plus de 70 producteurs et artisans de Wallonie picarde et d’un peu plus loin. Comme pour de nombreux commerces, l’après-Covid est dévastateur. Le bio en Belgique et ailleurs décline. Et pourtant ma facture de certification bio augmente. »

Caroline Canonne gère seule un commerce de produits locaux, fermiers et en partie bio depuis 2013. Entre 2019 et 2023, le coût de sa labellisation, basé sur ses achats de produits bio, a bondi de 42%, passant de 365 à 518€. Le problème ? Son chiffre d’affaires global a, lui, chuté de 41% depuis 2021.

Une conjoncture difficile à laquelle s’ajoute une facture qu’elle n’avait pas vue venir : une cotisation au fonds de promotion de l’Apaq-W [1], devenue obligatoire depuis le 1er janvier 2023 pour tous les opérateurs wallons certifiés qui commercialisent des produits bio. « C’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase, lâche la commerçante. On tape toujours sur les petits. Ça fait 11 ans que j’ai ouvert le magasin et je me demande pourquoi je m’esquinte encore. Quand on voit tout ce qu’on doit payer, c’est terrible. »

+ Non-paiement des cotisation bio APAQ-W : aucune amende envoyée

« La certification, on a vite arrêté»

« On voulait proposer du sirop certifié bio, mais on a vite arrêté »confie Antoine Nyssen, artisan façonnier à la siroperie d’Aubel, au cœur du pays de Herve. La raison ? « De nombreux clients nous demandaient quelle était la différence entre le pot à 2€ non certifié et celui à 2€30 certifié, ce à quoi on leur répondait qu’en dehors du label présent sur l’étiquette, c’était le même produit. À partir de là, ils n’ont plus voulu nous acheter de pots certifiés, sauf dans les magasins qui nous le demandaient ».

L’entreprise familiale met alors fin à sa certification pour ses activités de vente en direct. De quoi économiser 800€ par an. « Quelque temps plus tard, lors d’un contrôle, un agent nous a appris que nous ne pouvions plus vendre de pots labellisés bio, alors même qu’ils avaient été certifiés lors de leur fabrication », rapporte Antoine.

Explication : pour un même produit, chaque acteur de la filière bio doit payer la certification s’il veut afficher le label, que ce soit lors de la production, de la transformation, de la distribution ou de la vente finale. « Tout cela n’a aucun sens, s’exclame l’artisan. Dans le cas présent, ce produit était dans un emballage. Ce n’est pas comme s’il avait été retravaillé ! »

+ Décryptage | C’est quoi, exactement, le label bio?

Caroline, elle, refuse tout bonnement de payer ses factures relatives à la certification et compte même annuler son affiliation à FoodChain ID, son organisme certificateur. « Si à la limite, cet argent servait à faire la promotion du bio, mais tout part vers des sociétés à l’étranger ! »fustige-t-elle.

Rappelez-vous : dans son numéro 13, Tchak dévoilait les bénéfices plantureux des opérateurs de la certification bio en Belgique et en Wallonie : 2,9 millions d’euros empochés par Certisys entre 2017 et 2022, dont 2,6 millions ont été reversés à ses actionnaires ; 753.000€ engrangés par TÜV NORD Integra, qui en a redistribué 785.000 à ses actionnaires ; 773.000€ captés par Inscert Partner, dont 610.000 ont servi à rémunérer ses actionnaires. Ces dividendes à six ou sept chiffres, écrivions-nous, s’évaporent dans des multinationales étrangères : la française Ecocert pour Certisys, le géant allemand TUV Nord pour TÜV NORD Integra et l’américaine FoodChain pour l’ex-Inscert Partner.

Comme d’autres acteurs bio, Caroline éprouve un sentiment d’injustice. « Pour pouvoir vendre des produits labellisés bio, nous, on est contrôlés, signale-t-elle. Par contre, ceux qui ne sont pas certifiés n’ont aucune sanction. »

« Pour qu’un mec vienne prélever un citron bio et le renvoie au laboratoire, on nous demande 500€, renchérit Laurent, son époux. Moi, je suis d’accord pour une certification, mais que ce soit à un prix raisonnable ! »

Certification bio

Une logique qui pénalise les artisans

« Le coût de la certification bio n’encourage pas l’émergence de circuits courts ou d’artisans »reconnaîtPhilippe Grogna, directeur de BioWallonie, organisme d’encadrement du secteur bio.

La grille de tarification est pourtant négociée entre les autorités, les représentants de la filière bio et les contrôleurs. Toutefois, les certificateurs ont une marge de manœuvre quant au coefficient appliqué pour chaque catégorie d’acteur. Pour BioWallonie, de quoi créer des distorsions de traitement.

Exemple avec les artisans-transformateurs bio : « Ils sont particulièrement impactés, parce que leur redevance se base sur le nombre d’ingrédients et de produits finis, entre autres[2]», souligne le directeur. Le problème, c’est qu’ils « veulent respecter les saisons. Donc leurs ingrédients changent, tout comme les recettes, ce qui fait grimper la facture. »

Autre élément pénalisant les petits acteurs de la transformation et de la distribution : le coût de certification est lié au chiffre d’affaires bio et pas au chiffre d’affaires total. Une logique qui favoriserait les grosses entreprises au détriment des artisans. Un Delhaize certifié pour la transformation de son pain bio, par exemple, paye proportionnellement très peu.

« Son chiffre d’affaires bio correspond à 5% de son chiffre d’affaires total, détaille Ariane Beaudelot, chargée de mission en développement de filières de BioWallonie. Donc son coût de certification, qui se base là-dessus, va tourner autour de 0,0001% de son chiffre d’affaires total, explique Ariane. En revanche, pour un boulanger qui est à 100% bio, ça peut aller jusqu’à 3 ou 4% de son chiffre d’affaires total, et là c’est un vrai poids ».

Un poids généralement répercuté sur les consommateurs, avec donc là aussi des inégalités. « Pour chaque pain Delhaize, ça représente un centime alors que pour un artisan, ça peut monter à 50 centimes ! »relève la chargée de mission.

Pour Thomas Schmit, chargé de mission en agriculture biologique au Collège des Producteurs, le constat est donc sans appel. « Le coût de la certification est un frein parmi d’autres qui dissuadent de s’engager dans cette voie »affirme-t-il.


[1] Agence wallonne pour la promotion d’une agriculture de qualité.

[2] Les coûts de certification pour la transformation se basent aussi sur ces critères : mixité de l’entreprise, nombre de sites supplémentaires, complexité du contrôle.