Cantines scolaires gratuites
Garantir l’accès à des repas scolaires gratuits réduit l’insécurité alimentaire et l’absentéisme scolaire, mais cela améliore aussi l’apprentissage des enfants. © Gaëlle Henkens

Rendre les cantines scolaires gratuites et de qualité (#boulot3)

Rendre les cantines scolaires gratuites et de qualité est un puissant moyen de faire évoluer l’ensemble de la société vers une alimentation plus durable. Et de lutter contre les inégalités scolaires engendrées par les inégalités sociales. Mais cette mesure est-elle prioritaire, payable et généralisable à l’ensemble de l’enseignement fondamental en Fédération Wallonie-Bruxelles ? La réponse est politique.

Sang-Sang Wu, journaliste

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C’est une petite fierté qui se voit sur son visage : Christian Joly, chef d’une équipe de cantiniers, a le sourire quand il parle de son métier. « Quelque part, on aide les enfants à grandir », lâche celui qui est à la tête de la cuisine centrale de Grâce-Hollogne (Liège). Chaque jour, il mitonne environ 500 repas chauds envoyés dans les huit écoles (cinq communales et trois du réseau libre) de la commune. Soit deux fois plus qu’il y a dix ans. Il faut dire que depuis son arrivée, il y a eu du changement derrière les fourneaux. 

« Quand on a engagé Christian, l’idée était de renouveler la philosophie de la cuisine, rappelle Virginie Polis, cheffe du Service de l’Enseignement de la commune. À l’époque, on utilisait des sauces et des soupes industrielles, des ingrédients prêts à l’emploi, très salés et sucrés, des légumes surgelés, etc. » Depuis, le chef cuistot s’est mis à dénicher des producteurs locaux, bio quand c’était possible, pour s’approvisionner. « Il y a dix ans, on n’en trouvait pas autant qu’aujourd’hui. Ce n’était pas évident, mais je ne me suis pas découragé : ça faisait partie du challenge », lance Christian, la voix pleine de malice. 

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Si, à Grâce-Hollogne, les enfants vont plus souvent manger à la cantine, c’est aussi parce que les prix sont relativement abordables : 2,25€ en maternelle et 2,50€ en primaire, pour une soupe, un plat et un dessert. « Avec ça, on couvre à peine les coûts de la marchandise. La commune prend le reste à sa charge : les frais de personnel, l’investissement dans le matériel, les charges liées à l’énergie. Il y a aussi un mécanisme social pour les familles en difficulté financière », relate Christian. « Si la commune intervient beaucoup, c’est parce qu’il y a une volonté politique d’offrir des repas sains aux enfants », abonde Virginie Polis.

Désirant augmenter l’attractivité de ses cantines scolaires, en alliant qualité et accessibilité financière, Grâce-Hollogne a su saisir les opportunités qui se sont présentées à elle. Ainsi, elle s’est d’abord engagée dans le « Green Deal cantines durables » lancé par la Région wallonne[1]. Puis, elle a répondu à un appel à projets de distribution gratuite de potages-collations[2]. Et aujourd’hui, deux de ses écoles communales de l’encadrement différencié (ou « à indice socioéconomique faible », de 1 à 5[3]) bénéficient d’un subside de la Fédération Wallonie-Bruxelles pour offrir des repas gratuits aux enfants.

En octobre 2023, les députés du Parlement de la FWB ont en effet voté un décret visant à pérenniser la distribution de repas gratuits. Jusque-là, cela n’existait que sous la forme d’appels à projets reconductibles. Proposé par le ministre de l’Égalité des chances Frédéric Daerden (PS), ce texte octroie 21,4 millions d’euros, par année scolaire, à 403 écoles. Chaque établissement sélectionné reçoit 3,70 euros par repas quotidien, et 40 euros par an par enfant (pour l’achat de matériel, l’engagement de personnel, etc.).

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Des enfants privés de dessert

En se focalisant sur les écoles à indice socioéconomique bas, ce décret entend lutter contre la précarité et l’insécurité alimentaires. « Une personne est en situation d’insécurité alimentaire lorsqu’elle n’a pas un accès régulier à suffisamment d’aliments sains et nutritifs pour une croissance et un développement normaux, ainsi qu’une vie active et saine », selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO). 

Car même dans un pays riche comme le nôtre, la situation de certaines familles est tout à fait alarmante. « Le taux de pauvreté infantile en Belgique est l’un des plus hauts d’Europe, avertit Catherine Rousseau, chargée de projets à la Fédération des Services Sociaux. Un enfant sur sept grandit dans un ménage à risque de pauvreté monétaire et connaît des privations matérielles notamment en matière alimentaire. En Région Bruxelles-Capitale et en Région wallonne, c’est respectivement 20% et 18% des enfants qui vivent des situations de privation. »

Pour ces familles, la gratuité des repas scolaires peut réellement changer la donne en compensant des budgets alimentaires trop faibles.

C’est l’un des constats qui ressort d’une étude[4] menée par Anne-Catherine Guio, chercheuse à l’institut de recherche public LISER (Luxembourg Institute of Socio-Economic Research). Elle a cartographié les politiques nationales de différents États membres de l’Union européenne en termes de fourniture de repas scolaires gratuits aux enfants en situation de pauvreté et d’exclusion sociale. Et en a montré l’impact.

Ainsi, en Grèce, « lors de leur entrée dans le programme, 64,2% des enfants étaient confrontés à l’insécurité alimentaire et 26,9% à la faim. Au cours de l’intervention, l’insécurité alimentaire a chuté de 6,5%. Et pour chaque mois supplémentaire de participation au programme, les chances de réduire l’insécurité alimentaire ont augmenté de 6,3% ».

Si l’idée de repas scolaires gratuits commence à être prise au sérieux, c’est parce que leurs effets sur la santé des enfants sont maintenant reconnus. La chercheuse explique qu’en Finlande et en Norvège, de vastes enquêtes ont montré qu’il y a un lien entre la mise en place des services de restauration scolaire gratuits pour tous les élèves et les habitudes alimentaires. « Les écoliers prenant des repas scolaires ont tendance à faire des choix alimentaires plus proches des recommandations nutritionnelles. » C’est particulièrement vrai chez les enfants au statut socio-économique faible.

Parmi les nombreux bénéfices à court terme, on voit que garantir l’accès à des repas scolaires gratuits réduit aussi l’absentéisme scolaire et améliore l’apprentissage. « Cela peut avoir un impact positif sur les résultats scolaires, en partie parce que les enfants n’ont pas faim et en partie parce qu’ils ont accès aux calories, vitamines, minéraux, protéines, etc. dont ils ont besoin », résume Anne-Catherine Guio. 

Le nouveau décret de la FWB relatif aux repas gratuits fait lui aussi le lien entre sous-nutrition et réussite à l’école. Les enfants mal nourris risquent, plus que les autres, de manquer d’énergie, d’être fatigués, déconcentrés et irritables. « Il est constaté sur le terrain par des professeurs de la Fédération Wallonie-Bruxelles que des enfants s’endorment en classe notamment car ils ne sont pas suffisamment bien nourris », peut-on lire dans l’exposé des motifs du décret. 

Même s’il manque pour l’instant de données statistiques sur les avantages à long terme des repas scolaires, l’économiste du LISER mentionne un exemple en Suède où des chercheurs ont estimé les bénéfices d’un programme offrant des repas qualitatifs et gratuits aux enfants dans les années 1950 et 1960. « Les personnes exposées aux repas scolaires pendant toute leur scolarité primaire ont augmenté leur revenu sur toute leur vie d’environ 3%. »

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[1] En Wallonie, les acteurs en lien avec les cuisines de collectivités qui s’engagent dans une démarche de durabilité peuvent obtenir le label Green Deal cantines durables, grâce auquel ils peuvent bénéficier de formations. Il existe un équivalent à Bruxelles, le label Good Food. 

[2] Ce projet-pilote du Gouvernement wallon est reconduit jusqu’en juin 2024 et il a gagné en ampleur puisque quatre fois plus d’écoles distribueront gratuitement des collations saines aux enfants en situation de précarité. 

[3] Il s’agit des implantations relevant des 25% d’écoles dont les publics sont les plus défavorisés.

[4] A.-C. Guio, « Free school meals for all poor children in Europe : An important and affordable target ? », Children & Society, 2023, no 37.

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