Avec le développement des circuits courts alimentaires, ce sont de nouvelles perspectives d’emploi qui émergent. Ressuscitant des métiers qui requièrent des compétences perdues au fil du temps, ils attirent de plus en plus de gens désireux d’œuvrer pour faire advenir un système alimentaire durable. Le hic : l’offre au niveau des formations ne semble pas répondre à ces nouvelles demandes.
Sang-Sang Wu, journaliste
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Le circuit court alimentaire contribue significativement au développement économique de la Wallonie. Proportionnellement à son ampleur, il y contribue même bien plus que le secteur alimentaire pris dans sa globalité. C’est l’une des conclusions de l’« Étude d’objectivation des flux circuits courts alimentaires wallons » de Wallonie Entreprendre, l’outil économique et financier de la Wallonie au service des entreprises.
Fin 2023, il dévoilait les résultats de cette analyse dont le but était d’estimer le poids économique des circuits courts. En tout, 1.075 entreprises ont été identifiées, ce qui représente 1,7% du nombre d’entreprises et 0,6% de l’emploi dans le secteur alimentaire.
Quoique la part du circuit court dans le secteur alimentaire est pour l’instant très limitée, l’emploi direct dans ce sous-secteur connaît une hausse importante :+48% en 2023 ; en moyenne, l’emploi indirect y atteint les 2,1, soit davantage que les entreprises wallonnes en général qui sont à 1,6.
De plus, on observe une progression de 60% du nombre d’entreprises en circuit court ces cinq dernières années ; une sur cinq est en croissance et ce taux (21,2%) est supérieur au secteur alimentaire (15,7%) et à l’économie wallonne tous secteurs confondus (17%).
Par contre, on ne peut pas dire que le circuit court a actuellement les reins solides : il y a bien une diminution des entreprises financièrement saines et une dégradation de leur pérennité financière.
Côté consommateurs, « au niveau du circuit court, on voit une augmentation des dépenses dans le portefeuille des Belges et des Wallons : de 2021 à 2022, il a fait +7,4%, selon l’Observatoire de la consommation de l’Apaq-W », indique Thierry Ney, porte-parole du Forem.
Bref, il semble y avoir un certain engouement pour les circuits courts et l’alimentation « durable » en général, les deux allant souvent de pair puisque réduire le nombre d’intermédiaires est un moyen pour les producteurs les plus engagés d’obtenir des prix qui valorisent mieux leurs efforts que dans le circuit long.
Pourtant, ce phénomène se reflète peu dans l’offre de formations actuellement disponible. L’intérêt pour la durabilité ne pourrait-il pas venir à la rescousse d’un secteur alimentaire peu attractif sur le marché de l’emploi ?
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Une liste des métiers critiques et en pénurie
En juillet 2023, le Forem dressait la liste des métiers critiques et en pénurie en Wallonie. En tout, l’Office wallon de la formation professionnelle et de l’emploi recensait 158 fonctions réparties dans différents secteurs. Parmi eux, il y avait l’Horeca, celui de la transformation alimentaire (boucherie, boulangerie, pâtisserie, chocolaterie, glacerie) et de l’agriculture (maraîchage).
Cela signifie que les métiers qui y sont liés attirent moins les demandeurs d’emploi wallons et qu’il est donc difficile de recruter du personnel dans ces différents secteurs d’activité.
Cette chute des vocations ne semble pas toucher tout le secteur de l’alimentation de la même manière. « En Wallonie, la moitié des fonctions en pénurie dans le secteur alimentaire en 2023 étaient liées à la viande : abatteur/découpeur, boucher, coupeur/désosseur. En Flandre, même panorama, les aides-bouchers en plus », d’après cet article récent du magazine Alter Échos[1].
Ces métiers de la filière de la viande souffrent non seulement de pénurie de main-d’œuvre, mais aussi de candidats à la formation, alors qu’ils sont très attendus sur le marché du travail.
Pour lutter contre cette désertion et renforcer l’attractivité des secteurs agricole et alimentaire, c’est inévitable : il faut revaloriser le travail et améliorer les conditions matérielles des travailleurs.
« Tant que le prix des matières premières – dont les aliments – sera fixé sur les marchés internationaux, tant que la société – dont les ménages – n’accordera plus de valeur à l’alimentation, l’équation restera difficile à résoudre pour les producteurs. Pour celles et ceux qui travaillent dans le secteur alimentaire avec un statut d’ouvrier ou d’employé, la revalorisation des salaires constitue un enjeu crucial », écrit Christian Jonet, coordinateur de la Ceinture Aliment-Terre Liégeoise (CATL)[2].
De l’argent et du sens
Au-delà de l’aspect financier, il s’agit de redonner du sens à ces métiers dont la société ne peut se passer. Pour rester dans le secteur de la boucherie, il faut savoir que le nombre d’enseignes indépendantes a chuté ces dernières années, au profit de l’industrie agroalimentaire et de la grande distribution (la seconde étant cliente de la première), rapporte le Forem. Une évolution du marché du travail qui a encouragé la division du travail.
« Dans le secteur de la distribution, le métier de boucher est “scindé” en différentes fonctions permettant de recruter des personnes qui ne sont pas formées à la boucherie mais auxquelles on peut apprendre à réaliser des tâches spécifiques. Cette spécialisation dans certaines tâches entraînerait, selon certains, une perte du savoir-faire d’artisan-boucher au profit d’une organisation plus industrielle », peut-on lire dans cette analyse[3].
Récemment, les référentiels de tous les métiers – qui décrivent les activités qui y sont liées et les compétences requises pour les exercer – de la première transformation de la viande (boucherie, charcuterie traiteur, abattage, découpe, magasinage, préparation de commandes) ont été mis à jour. Il en ressort deux enseignements intéressants : comme évoqué plus haut, l’offre de formation professionnelle ne suscite que peu d’intérêt.
Ensuite, « il semblerait qu’une formation qui aborderait l’ensemble de la filière de la viande aurait un effet positif sur l’attractivité et améliorerait l’employabilité des personnes grâce à leur polyvalence », toujours selon cette analyse.
Des cursus cadenassés
Un constat qui vaut pour d’autres secteurs d’activités liés à l’alimentation. En boulangerie, par exemple, les cursus classiques ne comportent pas de module offrant une vue globale de la filière et de sa traçabilité, « du grain au pain » (provenance des céréales, modes de culture, meunerie, travail des farines brutes, locales, non standardisées, etc.).
« Des échos de boulangers qui nous contactent, ce sont des aspects qui manquent certainement dans les formations. Celles-ci sont encore très cadenassées : on apprend à travailler des farines pleines d’additifs, des pâtes aux levées très courtes, calibrées pour l’agro-industrie », note Aurélie Lainé, qui travaille pour Diversiferm, une structure subventionnée pour accompagner les transformateurs qui valorisent de la matière première agricole wallonne et la commercialisent en circuit court.
Cependant, en dehors de l’école, les pratiques commencent à changer. « Certains travaillent avec du levain, mais cela ne fait pas partie de la formation pour obtenir le titre de boulanger. Les gens doivent se former entre eux, s’ils veulent en savoir plus sur d’autres méthodes. Le métier d’artisan boulanger revient grâce au développement du circuit court », poursuit Aurélie Lainé.
Cet état de fait nous est confirmé par Lisa Gérard, une jeune femme qui a lancé sa boulangerie artisanale, My safe place, à Louvain-la-Neuve, après un cursus de trois ans à l’EFP[4]. « On n’a jamais travaillé le levain parce qu’un pain au levain doit pousser pendant douze heures. En cours, on allait au plus rapide et au moins cher. Comme on n’avait qu’un jour de cours par semaine à l’école, ce qu’on avait le temps de voir était forcément très réduit. Mais j’ai eu de bons professeurs qui voulaient vraiment bien faire. C’est juste que par manque de temps et de matériel, ce n’était pas possible d’apprendre autre chose. »
Aujourd’hui à la tête de sa propre enseigne, Lisa fabrique uniquement du pain au levain et se fournit auprès de meuniers belges. Des connaissances et des compétences acquises sur le tas, fruits d’une implication personnelle. « C’est en stage, au contact d’autres boulangers, que j’ai découvert une autre manière de travailler et la possibilité de se fournir en circuit court. »
Pour lire la suite de notre dossier ⤵️
[1] J. Winkel, « Qui pour manier le couteau ? », Alter Échos, janvier-février 2024.
[2] « Comment mobiliser l’enseignement et la formation au service de la transition de notre système alimentaire », CATL, décembre 2021.
[3] « Anticipation des besoins en compétences et formations dans la chaîne de valeur agroalimentaire. De la fourche à la fourchette », Revue prospective détaillée du Forem, mai 2022.
[4] Le centre de formation de métiers en alternance à Bruxelles, soit l’équivalent de l’IFAPME en Wallonie.
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