Environ 8% des terres agricoles wallonnes appartiennent aux pouvoirs publics. Des terres parfois détournées de leur vocation nourricière, régulièrement vendues au plus offrant et surtout peu mobilisées au profit d’une agriculture plus juste et durable. Pourtant, si elles étaient gérées comme des biens communs, elles pourraient avoir un effet de levier sur tout le système alimentaire.
Clémence Dumont – journaliste
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Plus de 50.000 hectares. C’est la superficie de terres cultivées en Wallonie qui sont détenues par les communes, les fabriques d’église, les Centres publics d’action sociale (CPAS) et la Région wallonne, selon une étude réalisée en 2017[1]. Si on y ajoute les quelque 10.000 hectares appartenant à un ensemble disparate d’autres propriétaires publics (des provinces à Infrabel en passant par la Défense), on obtient une étendue représentant pas moins de 8% de la surface agricole utilisée sur le territoire wallon (740.000 ha), estime la Région.
Voilà pour le tableau brossé à gros traits. En réalité, il n’existe pas encore de cartographie complète des terres agricoles publiques permettant d’en connaître le nombre, la localisation et les propriétaires. La Région wallonne entame seulement ce travail fastidieux. Les ordres de grandeur sont néanmoins connus et ils confirment l’ampleur non négligeable de ce patrimoine foncier.
Édito | Le monde politique doit aller au feu
Si ce n’est que celui-ci a tendance à se détricoter. Sur ce point, pas de chiffres non plus mais tous les observateurs relèvent que des terres agricoles publiques sont régulièrement mises en vente. Par exemple par des CPAS – institutions qui ont souvent hérité de biens au fil du temps – en manque de ressources face à l’afflux de demandeurs du revenu d’intégration sociale. « De plus en plus de CPAS me contactent parce qu’ils ont la volonté de revendre des terres. Mon ressenti, c’est que la tendance est à la hausse. Je pense que c’est lié à la crise budgétaire et au fait que le prix des terres s’envole », subodore Arnaud Ransy, conseiller juridique de l’Union des villes et communes de Wallonie.
Ce phénomène inquiète les organisations défendant la paysannerie. En 2023, alors que le CPAS de la Ville de Liège venait de vendre au plus offrant 102 hectares qu’il possédait à Yernée, Canopea, Terre-en-Vue, la FUGEA, la Ceinture Aliment-Terre Liégeoise, Natagora et l’union des agriculteurs bio UNAB ont diffusé une lettre ouverte pour réclamer un moratoire sur la vente de terres agricoles publiques. « Nier les difficultés financières de nombreux CPAS relèverait du déni. Mais y répondre en dilapidant ce qui est aujourd’hui identifié comme une ressource durable, locale, non délocalisable et inestimable, la terre, relève d’un autre déni, alertaient les huit associations : celui de l’impérieuse nécessité de garantir un avenir commun. »
En Flandre, une autre affaire a bien davantage alimenté le débat public. Elle a débuté en 2016, lorsque le CPAS de Gand a vendu plus de 450 hectares à un milliardaire. Une ferme bio, qui dénonçait la mise en vente de toutes les parcelles en un seul lot et donc, de facto, l’impossibilité pour des paysans de faire offre, a contesté la transaction en justice. La Cour d’appel lui a donné raison[2]. En parallèle, grâce à un vaste mouvement de pression citoyen, Gand a adopté un moratoire sur la vente des terres de son CPAS, le temps de se forger une vision sur leur avenir. Ce moratoire a été prolongé jusqu’en 2025.
La « poubelle » des autres politiques
Si le prix des terrains est plus faible en Wallonie qu’en Flandre, il reste parmi les plus élevés d’Europe. Quant aux terres à louer avec un bail à ferme de longue durée, elles sont des denrées rares vu les réticences des propriétaires privés. Ceux qui en bénéficient s’y accrochent dès lors le plus longtemps possible, jusqu’à monnayer des sous-locations à d’autres agriculteurs passé l’âge de la retraite. En conséquence, l’accès à la terre est devenu l’un des défis les plus pressants du monde agricole. Les prix poussent à l’intensification de la production et entravent la transmission des exploitations aux plus jeunes. Car si le nombre de fermes semble se stabiliser après des années de chute, « on assiste en réalité à l’augmentation des très petites et très grandes fermes, contrebalancée par une réduction de celles de taille moyenne », analyse le mouvement Terre-en-Vue dans son récent « Guide de gestion » adressé aux propriétaires publics.
Ce qui a poussé Terre-en-Vue à éditer ce document, c’est justement sa conviction que les communes, CPAS et autres acteurs publics ont un rôle à jouer pour rendre les terres plus accessibles au profit d’une agriculture durable et nourricière. Cela implique d’abord qu’ils reprennent la main sur la gestion de leurs terres, « une politique abandonnée depuis 20-30 ans », selon Françoise Ansay, chargée de projet de l’association qui, grâce à un subside de la Région wallonne, aide les pouvoirs publics à mener une politique foncière.
D’après ses observations, « la plupart des collectivités locales n’ont pas de personnel qui y est dédié et n’ont même pas d’inventaire de toutes les terres publiques de leur territoire. En général, elles se contentent de percevoir les fermages [les montants de location, ndlr]. Peu importe que leurs terres servent à cultiver des patates pour l’export ou des sapins de Noël. Parfois, elles ne savent même pas qui les occupe. »
« De manière générale, les terres agricoles sont un peu la poubelle des autres politiques, s’attriste-t-elle. Que ce soit pour produire de l’énergie ou implanter une zone d’activité économique, le réflexe est d’aller puiser dans ces terres-là. En cas de besoin d’argent, on les vend comme de vulgaires biens consommables, souvent au nom du financement de l’action sociale. Mais l’enjeu des terres, c’est notre capacité à nourrir la population, en ce compris les plus pauvres ! », plaide-t-elle.
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[1] Par la CPDT et l’UCLouvain.
[2] Un recours en cassation est pendant.