Luc Joris bosse avec la société Soil Capital. Agriculteur à Chastre (ferme de Géronvillers), il gère une ferme de 225 hectares de cultures. Betteraves, chicorées, endives, pommes de terre, pois, céréales, maïs et prairies.
Frédérique Hupin, journaliste | hupin.frederique@gmail.com
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Ça fait longtemps que Luc Joris réfléchit, qu’il discute avec des collègues agriculteurs, qu’il lit des revues agricoles spécialisées dans le but de diminuer le travail du sol, les pesticides et les engrais de synthèse. S’il avait compris depuis longtemps qu’un sol ne doit jamais rester nu, il lui a fallu du temps pour arrêter le labour profond. Un grand saut réalisé en 2017.
Explications : ce sont la couverture permanente des sols couplée à l’utilisation de plantes de la famille des légumineuses qui rendent possibles le captage du carbone dans les sols et l’apport d’azote. Ces transformationséchanges ont lieu grâce à la photosynthèse et à la fixation symbiotique permise par les légumineuses. D’un autre côté, l’utilisation de compost et de fumier permet de diminuer les apports d’engrais minéral fabriqué par les usines d’engrais très énergivores.
Luc Joris a également planté des haies. Il disposait d’une grande parcelle de 45 hectares d’un seul tenant qu’il n’a pas hésité à couper en trois avec des haies multi-espèces jouxtées de bandes d’herbes diverses destinées à fournir le gîte et le couvert aux insectes auxiliaires.
+ Ce témoignage fait partie d’un dossier sur Soil Capital, PlantC et Farming for Climate, trois start up qui ont pour objectif de rémunérer les agriculteurs qui s’engagent dans la transition.
Ce qui a déclenché son travail avec Soil Capital
« Basiquement, si je suis rentré dans un programme de rémunération du carbone, c’est parce que la société Soil Capital est venue me chercher, raconte Luc Joris. Mais sinon, à l’origine, je pense que l’agriculture peut avoir un impact positif sur le climat. Je l’espère en tous cas. Ma manière de travailler, en respectant mon sol, devrait aller dans ce sens. Soil Capital avait besoin de données pour tester son modèle et c’est comme ça que j’ai commencé. Il existe un marché du carbone, ce serait dommage de ne pas monter dans le train. Je suis certain que la politique agricole commune ira dans le sens de davantage de restrictions dans le but de maintenir le bon état des sols. Autant ne pas subir et être acteur. »
Le programme
« La société Soil Capital fait le lien entre la séquestration du carbone au niveau de la ferme et le marché du certificat carbone, qui existe, qui est coté en bourse, qui est une réalité économique, observe Luc Joris. Mais l’agriculteur n’y a pas accès. On a besoin d’un certificateur qui atteste que nos pratiques sont stockeuses ou émettrices de carbone et d’un acteur qui permette d’avoir accès à ce marché. Soil Capital se charge de cela. »
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Les objectifs
« Mon premier objectif en entrant dans ce programme, c’est d’avoir des pratiques vertueuses vis-à-vis de l’environnement, et pas seulement l’environnement autour de ma ferme, mais de manière plus générale aussi. Si je stocke du carbone, je peux espérer avoir un impact sur l’effet de serre et les changements climatiques.Mon deuxième objectif, c’est de trouver une source de diversification en agriculture. Le marché du carbone peut en être une si on arrive à vendre des certificats carbone. »
L’analyse
« Quand j’ai reçu mon premier rapport d’audit, je me suis posé mille questions quant à la gestion pratico-pratique de ma ferme, pointe Luc Joris. Ça remet en cause beaucoup de choses.Certaines pratiques que je mets en place et que je pensais stockeuses de carbone ne le sont pas tant que ça finalement.On pense que l’arrêt du travail du sol, c’est le remède miracle pour stocker du carbone.Mais le bilan réalisé sur ma ferme a mis le doigt sur d’autres pratiques que je savais importantes mais qui s’avèrent finalement primordiales et bien plus impactantes que je ne le pensais. Par ordre d’importance d’impact dans mon bilan, ce sont d’abord les engrais de synthèse, puis les produits phyto de synthèse. Ce sont chaque fois des molécules qui demandent de l’énergie pour être produites, conditionnées, transportées, utilisées. L’impact des couverts végétaux est positif, oui, mais ce n’est pas suffisant pour compenser l’impact de la fertilisation.Grâce à ce rapport je me suis rendu compte que je surfertilisais (avec les autres minéraux que l’azote) et que j’avais de grosses économies à faire. Pour ma fertilisation azotée, je vais davantage l’orienter vers de la fertilisation organique plutôt que synthétique. J’utilise déjà du compost, je vais aussi me tourner vers le digestat de biométhanisation. »
Le gain
« Il y a un an, quand je suis rentré dans le programme, je pensais gagner 2000 euros sur ma ferme, calcule Luc Joris. Avec mes pratiques je pouvais stocker une tonne de carbone par hectare, et elle était rémunérée cette année-là à 27,50 €. Vu que le prix de la tonne de carbone devrait évoluer à la hausse et que j’ai encore des marges de progression, je me suis lancé. Mais finalement, pour ma première année, je ne vais pas recevoir grand-chose. Je pensais avoir des pratiques vertueuses, et bien pas tant que ça vu l’impact carbone de la production d’engrais. Mais je continue car ce bilan me permet d’objectiver mes pratiques, de me comparer au groupe et de pointer des économies potentielles. Le secteur agricole est un acteur majeur de la gestion du territoire, je dois endosser ma responsabilité environnementale ».