Limaces agro écologie
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Limaces et agro écologie (ACS) : l’étonnante découverte d’agriculteurs français

L’été 2021 particulièrement pluvieux nous a rappelé une dure réalité : les limaces aiment l’humidité ! Même chez les agriculteurs mettant en place des pratiques agro-écologiques de longue date, elles sont revenues. Et pas qu’un peu ! Pourtant, les premières études réalisées en France par certains d’entre eux révèlent une étonnante découverte. 

Frédérique Hupin, journaliste

« De toute ma carrière d’agriculteur, je n’avais jamais vu autant de limaces, s’exclame Claude Henricot, agriculteur à Mont-Saint-Guibert. Globalement, j’estime que je m’en sors pas mal. Mais il y a quand même certaines terres d’orge de printemps (semées en automne) que je vais devoir resemer. »

+++ Cet article est au sommaire du nouveau numéro de Tchak (printemps 22)

Quel jardinier amateur n’a pas juré en découvrant ses plants fraîchement sortis de terre car ratiboisés par les limaces ? Une question qui, bien évidemment, vaut surtout pour les agriculteurs. Et encore plus pour ceux qui, comme Claude, mettent en place des pratiques agro-écologiques qui favorisent la captation de carbone dans les sols agricoles.

Pourquoi ?  Simplement parce que ces bestioles sont majoritairement détritivores, adorent les sols remplis de carbone et ont besoin d’humidité pour se déplacer. Elles sont donc bien à l’abri sous les nombreux résidus de cultures laissés par ces pratiques et dans ces sols qui ont une meilleure rétention en eau. 

« Des dégâts limités sur les terres cultivées en agriculture de conservation des sols»

Sur ce plan, l’été 2021, fortement humide, a favorisé la présence des limaces dans tous les systèmes agricoles. Les populations ont littéralement explosé. Problème : si, dans un potager en permaculture, on peut donner un tiers de sa récolte à la nature, ce n’est évidemment pas le cas en agriculture.

Cet hiver, Claude Henricot a ainsi dû traiter ses champs alors qu’il ne l’avait plus fait depuis dix ans. Du moins, certaines parcelles. C’est là que ça devient intéressant.  

« Là où j’avais nourri les cultures avec du lisier et du fumier, ou sur les parcelles où j’avais du trèfle en sous-couvert, les dégâts étaient limités. Globalement, j’ai été sauvé par 20 ans de pratiques en agriculture de conservation des sols (ACS, NDRL), qui ont amené beaucoup de vie dans mes champs. Par contre, sur les terres que j’ai reprises il y a trois ans, j’ai eu de gros dégâts par endroits, là où la terre est motteuse et où les anfractuosités sont nombreuses et leur servent d’abri. »

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Si votre ennemi a faim, donnez-lui à manger (proverbe chinois)

Explications. Dans ses champs, Claude Henricot pratique le « colza associé ». Cela veut dire qu’en même temps que le colza, il sème un mélange de lentilles, trèfle blanc, trèfle d’Alexandrie et féveroles.

Ces cultures associées ont la capacité de fixer l’azote de l’air – une source d’engrais naturel – et occupent rapidement les vides au sol, alors que le colza est encore petit, ce qui évite la venue des adventices. L’autre aspect bénéfique concerne les limaces. 

« Elles se sont préférentiellement nourries du trèfle semé en même temps que le colza », observe l’agriculteur. Trèfle qui, par ailleurs, était resté après la récolte du colza, et dans lequel Claude avait semé en direct son froment, après avoir fauché le trèfle pour laisser une chance au froment de pousser. Constat identique : « Là où du trèfle fauché laissé à la terre était encore présent dans le froment, il y avait moins de dégâts de limaces. »

On devine alors l’importance du semis direct pratiqué par Claude depuis trois ans. En fil conducteur de cette technique, une absence de travail du sol – ni retournement ni décompactage ni préparation du lit de semences – qui s’accompagne d’une couverture végétale maximale toute l’année et d’une rotation des cultures.

Objectif : renforcer l’activité biologique du sol et la préserver, ce qui favorise un écosystème bénéfique pour les cultures (*).

De toute sa carrière d’agriculteur, Claude Henricot, agriculteur à Mont-Saint-Guibert, n’avait jamais vu autant de limaces. © Frédérique Remy

« Le gîte et le couvert pour les ravageurs »

Problème : « Au départ, les systèmes en agriculture de conservation des sols sont souvent considérés comme davantage sujets aux attaques de limaces, pointe Laurent Serteyn, ingénieur agronome chez Greenotec, une association belge de promotion de l’agriculture de conservation des sols. La raison ? En implantant des intercultures, en amenant des légumineuses et du colza dans la rotation, en réduisant le travail du sol, on offre à ces ravageurs le gîte et le couvert. » 

Mais à la longue, ces pratiques préservent également toute la palette des ennemis naturels de la limace, se félicite le spécialiste.

Pour preuve, au-delà des observations de Claude Henricot, les premiers résultats – surprenants –  d’une expérience de comptage de limaces menée depuis deux ans en France. Une grande première. À l’origine de la démarche, des agriculteurs membres de l’Association pour la promotion d’une agriculture durable (Apad) qui pratiquent l’agriculture de conservation des sols (ACS).  

Pour comparer leurs résultats aux pratiques de l’agriculture conventionnelle, ceux-ci ont collaboré avec De Sangosse, une société spécialisée dans les bio-solutions à destination de l’agriculture biologique. Elle leur a fourni des kits de piégeage de limaces, soit des petits tapis à humidifier, à placer dans les champs et à relever chaque semaine, avant de comptabiliser le nombre d’animaux sur et sous le tapis. Les résultats ont alors été consolidés et repartagés au groupe.

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Plus de limaces mais pas plus de dégâts !

L’expérience montre que le nombre de limaces est supérieur en agriculture de conservation des sols. Par contre, les dégâts causés aux cultures ne sont pas plus importants. 

Conclusion ? Entre la présence de prédateurs – comme les carabes ou les staphylins –, les restes de la culture précédente qui font diversion et d’autres facteurs, c’est toute la biodiversité qui entre en action pour réguler/limiter la présence et l’impact des limaces.

Autrement dit, s’il y a à manger pour les limaces, il y a aussi de quoi nourrir les « auxiliaires », ces bestioles qui mangent les ravageurs, dont les limaces.

Cerise sur le gâteau : les espèces de limaces se diversifient et certaines deviennent des alliées en se nourrissant des autres, en mangeant les graines d’adventices ou en désherbant les repousses de la culture précédente.

« Un processus qui prend plusieurs années »

Bref, avoir des limaces au champ n’est plus forcément une mauvaise chose.

« Reste que compter sur la régulation naturelle des ravageurs peut difficilement se considérer à court terme, car c’est un processus qui s’installe sur plusieurs années, ajoute Laurent Serteyn. Par ailleurs, cet écosystème reste dynamique, fragile, instable et sensible à toute perturbation. »

De quoi, toute vigilance gardée, commencer à changer de point de vue sur ce « maudit » gastéropode. « Si la limace est sur terre, c’est qu’elle a une utilité, conclut joliment Claude Henricot. Il faut continuer à observer pour la comprendre. »

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(*) Le semis direct, qui relevait presque de l’utopie voici quelques années, est aujourd’hui adopté par une petite cinquantaine de fermes en Wallonie.

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