Hausse des températures, de l’humidité et des précipitations… Quelles conséquences a le réchauffement climatique pour les vignobles wallons ? Nous avons posé la question à plusieurs vignerons. Spoiler : oui, cette évolution serait plutôt favorable à la vigne en Wallonie. Mais attention.
Valentine Stoumon, journaliste
Notre climat septentrional – a priori un handicap plutôt qu’un avantage – présente néanmoins une série de qualités : il impose une réactivité et une inventivité de tous les instants dans le choix du sol, des cépages, dans les techniques de la culture, dans la vinification proprement dite. A première vue, pas simple d’être vigneron en Wallonie. D’autant qu’il faut y ajouter les premières conséquences du réchauffement climatique.
Alors? Quel avenir pour les vignobles wallons ? Un point, d’abord, sur cette maudite année 2021. En Belgique, la production de vin y a été la plus faible depuis quatre ans, essentiellement en raison des mauvaises conditions météo – gel tardif au printemps, été humide et froid, voracité des oiseaux à la fin de l’été.
« Cette baisse de production viticole wallonne est aussi due à la prolifération de champignons après un été de forte humidité qui a été désastreux pour nombre de vignerons, précise-t-on au Service public fédéral Économie (SPF Economie). D’autre part, les rayons de soleil intenses ont endommagé le raisin, qui a été brûlé et flétri par la chaleur. Cela a demandé de l’effeuillage, partiel puisqu’il faut bien sûr laisser un peu d’ombre au raisin. La faune aussi a causé des dégâts. Dont la mouche à fruits Suzuki, détectée récemment en Belgique, les guêpes, les nuées d’oiseaux – des étourneaux – et les sangliers, également des amateurs de raisins. »
+++ Ce décryptage fait partie d'un dossier sur les vignobles wallons publié dans notre revue (numéro 11 - automne 2022) et sur le web. Un travail financé par le Fonds pour le journalisme et par Tchak.
Poirier du loup: « C’était le fond des mers chaudes à l’époque »
« Au Poirier du loup, nous avons une très bonne orientation vu l’altitude, le relief et l’exposition sud, sud-ouest, note de son côté Michel Crucifix, administrateur à Ecoculture, la SCRL qui gère le vignoble communal. « A cet endroit, la Gaume est abritée des vents froids du nord par l’Ardenne. Quant au sol, il est fort minéral car ce sont d’anciennes barrières de corail, d’anciens fonds marins qui existaient dans ce lieu avant la séparation des continents. La France était alors à peu près au niveau de l’Équateur. C’étaient les mers chaudes à l’époque. »
Un contexte qui est intéressant pour la minéralité des vins. « Il y a bien sûr d’autres endroits en Belgique qui sont protégés aussi, en Campine par exemple. Mais, dans les nouveaux vignobles, on trouve souvent des cépages qui ont été sélectionnés pour leur résistance au climat, des inter-spécifiques. De notre côté, à Torgny, nous avons gardé des cépages traditionnels cultivés dans le nord de la France ou le Luxembourg, dont le Chardonnay, les Pinot noir et blanc, l’Auxerrois et le Gewurztraminer. »
Une option qui s’inscrit davantage dans une culture germanique, proche de nos latitudes. “Les Allemands ont des climats a priori moins adaptés à la vigne, un peu comme en Belgique. Ils ont donc recherché des cépages qui venaient à maturité dans des conditions moins favorables.”
« Une année sur cinq sans production à cause de pluies »
Torgny et son vignoble du Poirier du loup se trouvent donc dans la région méridionale du Plat Pays, avec ce climat un peu privilégié qui tend de surcroît à se réchauffer doucement mais sûrement. Avec un possible effet d’aubaine à la clé?
« Dans l’histoire de la viticulture à Torgny, il y a toujours eu de la culture de vigne mais jamais vraiment pour la commercialisation, nuance Michel Crucifix. C’était davantage à usage privé ou local. Maintenant, les choses sont en train d’évoluer notamment grâce au réchauffement du climat, mais la rentabilité est encore limitée pour pouvoir financer le travail correctement. »
Comme la plupart de ses équivalents européens, le vignoble compte, de fait, « des années très intéressantes et d’autres très difficiles ». Sur les vingt dernières, Michel épingle « une année sur cinq où il n’y a pas de production à cause de pluies importantes, comme en 2021. Les trois années précédentes ont, elles, été relativement exceptionnelles, surtout en 2018 grâce à la succession de canicules en été. 2019 était une bonne année et 2020, une très bonne année mais limitée en quantité en raison du manque d’eau. »
« Un procédé de palissage découvert en Suisse »
Pour pallier les blessures du climat, Michel évoque une nouvelle technique, pointue. « Notre consultant, Jean-Marie Balland, conseiller viticole depuis plus de 50 ans sur la France, la Suisse, l’Italie, le Portugal et le Brésil, est orienté vers la viticulture naturelle et bio. Il nous a apporté un procédé de palissage découvert en Suisse qui peut être bien adapté aux régions humides et froides comme les nôtres. »
Cette structure de palissage – dit « à la diable »- est testée au Poirier du loup depuis trois ans et donnerait de très bons résultats. « Nous l’implantons progressivement sur tout le vignoble. Ce procédé minimise les risques lors des gelées printanières. Sur ce palissage, les grappes en formation se retrouvent entre deux fils décalés du plan linéaire, pour pendre comme des chaussettes sur un fil à linge, ceci hors du feuillage, elles peuvent ainsi sécher rapidement après les pluies et recevoir correctement les traitements de protection en bio.»
« Le réchauffement joue en faveur des nordistes »
Autre point de vue, celui d’Alec Bol, administrateur-délégué de Vin de Liège. Prudent et contrasté lui aussi : « Beaucoup parient sur le réchauffement climatique. Mais en Belgique, comme dans d’autres pays du nord de l’Europe, le climat est imprévisible. C’est une faiblesse, une force aussi car cela contraint chacun à anticiper, être réactif, à moins fonctionner au feeling, à être plus précis.»
Même avis du côté de Romain Bévillard, régisseur du même domaine. Ce Parisien pointu est arrivé de l’Hexagone avec son expertise du vin et un joli cursus dans la poche – diplôme national d’œnologie de Reims. Lui aussi constate que cultiver la vigne sous nos latitudes reste un sacré challenge». Mais lui pointe tout de même «un réchauffement climatique qui joue en notre faveur à nous, les nordistes ».
« Un climat similaire à la Champagne il y a 30 ans »
Espoir similaire chez Pierre Rion, président de l’Association des vignerons de Wallonie. « Un des grands atouts de notre terroir est que ce réchauffement climatique nous offre des maturités phénoliques en phase avec les maturités techniques – sucre-alcool et acidité. Contrairement aux régions méridionales qui, elles, doivent attendre la maturité phénolique et donc vendanger des raisins dont la teneur en sucre et donc en alcool est très élevée et donne de plus en plus de vins trop alcoolisés. »
Signe de l’évolution du climat, des dates de récoltes qui changent. « En Belgique, depuis quelques années, on vendange quinze jours plus tôt, pointe Marc Vanel, journaliste et écrivain, spécialiste du vin. On a un climat viticole similaire à la Champagne il y a 30 ans !»
L’expert met toutefois en garde: «Mais ça dépend des années, des conditions climatiques au printemps – s’il y a du gel au moment de la floraison, si un surplus de pluie entraîne des maladies, etc. Il y a tant de paramètres. »
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