À l’heure de la voiture électrique, la course au lithium est lancée en Europe. Dernier projet d’extraction annoncé, celui situé dans l’Allier, en France. En Estrémadure (sud-ouest de l’Espagne), une méga mine devrait, là aussi, voir le jour près de la ville de Cáceres. Là-bas, Gonzalo Palomo, éleveur de son état, se bat pour préserver la Sierra de la Mosca, sa quiétude et sa biodiversité.
Augustin Campos | journaliste
Cerné par ses brebis mérinos noires qui pâturent dans les prairies dorées par le soleil brûlant de l’été qui vient de s’achever, Gonzalo Palomo noue patiemment un bout de fil bleu autour du cou de l’agneau titubant né quelques heures plus tôt. Le dernier venu du troupeau de 80 brebis bêle de désespoir, à la recherche de sa mère.
Le printemps et l’été ont pourtant été beaux dans le troupeau, malgré des températures records – 33 degrés en pleine nuit – aux pieds de la Sierra de la Mosca, cette montagne emblématique qui surplombe la ville de Cáceres, dans la région d’Estrémadure au sud-ouest de l’Espagne : une quarantaine d’agneaux sont venus au monde ces dernières semaines.
Mais les motifs de satisfaction et d’espoir ne sont pas beaucoup plus nombreux. Car la quiétude et la riche biodiversité des pâturages que l’éleveur arpente toute l’année avec son troupeau sont menacées.
Une multinationale australienne
Sous la Sierra de la Mosca, cette montagne que l’on peut apercevoir depuis n’importe quel point de la ville, le « poumon vert de la ville » pour de nombreux Cacereños, une multinationale australienne veut creuser une mine souterraine de lithium d’ici à 2025, et y extraire 19.000 tonnes d’hydroxyde de lithium.
Le gisement de ce métal très stratégique pour la transition énergétique – car indispensable pour stocker l’énergie dans les batteries des voitures électriques notamment – serait l’un des plus importants d’Europe. L’Union européenne fait pression pour que les projets d’extraction du lithium s’accélèrent partout où l’on découvre des gisements sur le territoire des 27 États membres, afin de réduire la dépendance à la Chine et de répondre aux exigences de transformation du parc automobile, censé être totalement électrique à l’horizon 2035.
En Estrémadure, le gouvernement régional a promulgué début septembre un décret-loi qui décrit le lithium comme « d’intérêt général et stratégique », facilite son exploitation et garantit sa transformation dans la communauté autonome.
Dans cette région parmi les plus pauvres d’Espagne, outre la mine de Valdeflores (Cáceres), une « giga usine » de batteries est prévue dans le nord, une usine de cellules de batteries dans le sud-ouest, à Badajoz et une autre de cathodes est en projet à Cáceres.
Face à un enjeu qui dépasse largement le cadre de l’Estrémadure et même de l’Espagne, les paysages méditerranéens d’oliveraies et de chênes-lièges de la Sierra de la Mosca et leur riche biodiversité ne pèsent pas grand-chose.
+++ Ce grand reportage est au sommaire du numéro 12 de Tchak (hiver 2022-2023)
Un modèle d’agriculture holistique
Pourtant, Gonzalo Palomo compte bien lutter jusqu’au bout. Lui, le chercheur en médecine vétérinaire qui a fini par mettre en pratique ses connaissances théoriques en 2012, ses cinq bergers collaborateurs, et son troupeau. Eux, les gardiens de la Sierra de la Mosca et du climat. Ils la parcourent et l’entretiennent à raison de trois à cinq jours passés sur une parcelle. Le troupeau ira ensuite brouter la suivante afin de garantir la récupération de chaque pâturage durant « 60 à 120 jours selon la saison », sur 65 hectares au total répartis autour et sur la sierra.
L’éleveur de 41 ans pratique une agriculture holistique : « Nous considérons l’exploitation comme un tout, qui ne dissocie pas l’aspect environnemental de la dimension socio-économique, et nous utilisons plusieurs outils qui nous permettent de gérer cette équation compliquée. »
Du ton docte de celui qui a l’habitude de transmettre le savoir, il cite dans l’ordre « la planification de pâturage, afin que l’herbe ait un temps précis de croissance, la planification financière, pour dépendre le moins possible des banques, la planification du territoire, pour qu’il soit une garantie de rentabilité pas seulement présente, mais durable ».
Cette pratique de l’élevage en fait un formidable instrument « d’atténuation du réchauffement climatique ». « Nous faisons ça pour préserver la biodiversité et séquestrer le carbone dans le sol », explique l’agriculteur, face à l’entreprise minière qui dit « participer à la transition écologique ».
Il s’appuie sur les études et les mesures qui ont été réalisées sur son exploitation et qui attestent de l’efficace absorption de CO2. « En 2019, nous avons mesuré une quantité de 38,36 tonnes de carbone par hectare – avec une déviation de ± 3 tonnes/ha – sur huit de nos parcelles. » Et l’agriculteur de souligner : « Cela représente 84% de plus de carbone que la moyenne dans ce type de prairies. »
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