Et si l’orange, grande habituée des étals et des rayons, disparaissait à cause du dérèglement du climat ? La question semble caricaturale, mais une chose est certaine : confronté à une production en berne, la filière s’inquiète.
Delphine Cassiman, journaliste
Lundi 24 juillet 2023, Sicile. « Regarde, j’ai planté un thermomètre dans le sol il y a cinq minutes. Il fait 65 degrés pour l’instant, s’exclame Michele Russo, catastrophé. Qu’est-ce qu’on fait dans ces cas-là ? » Michele fait partie d’un consortium agricole italien qui s’appelle Le Galline Felici. Les Poules Heureuses en français. Plusieurs de ses membres sont des petits producteurs d’oranges de la région de Catane, qui est reconnue mondialement pour l’activité de son volcan, l’Etna, et pour son sol particulièrement clément pour la culture de l’orange sanguine. Cet été, leurs vergers ont fait face à des températures véritablement insoutenables. « À cause de la chaleur, on a beaucoup de fruits qui sont tombés, rapporte Michele. Heureusement pas tous, mais une quantité importante quand même. »
+ Cet article est publié dans le nouveau numéro de Tchak (hiver 2023-2024).
« Lorsque l’arbre subit des coups de chaleur, il va se recentrer sur sa survie et se décharger de ses fruits. C’est ce qu’on appelle des chutes physiologiques », détaille Éric Imbert. Celui-ci est chercheur au CIRAD, le Centre français de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement. Il est spécialiste en agrumes et travaille en ce moment sur la saison d’hiver 2023-2024. Appuyant les propos de l’agriculteur, Éric ajoute : « On a pu particulièrement observer ce phénomène ces deux dernières années. Sur cette campagne européenne, on est de nouveau en dessous des 6 millions de tonnes d’oranges récoltées, ce qui est le taux le plus bas de ces dix dernières années. »
Plus que des pics de température sporadiques, les agriculteurs sont confrontés à un dérèglement généralisé des saisons. Avec sa femme Anne, avec qui il a créé Olio Si !, Pietro Vaiana importe des oranges siciliennes qu’ils écoulent dans leur point de vente à Gembloux et dans quelques magasins en circuit court. Les fruits proviennent tout droit des champs familiaux, lovés entre un flanc de montagne, la petite ville côtière de Ribera et deux fleuves abreuvant les cultures environnantes. « La période la plus complexe, c’est la floraison au printemps. C’est un moment un peu étrange où les dernières oranges de la saison sont encore sur les branches quand l’arbre commence déjà à produire des fleurs, précise Pietro. Sauf que les printemps en Sicile sont beaucoup plus pluvieux qu’avant, le froid dure plus longtemps. Avec l’été, on passe directement à une chaleur extrême. On a presque plus de transition. Pour la floraison, c’est problématique parce que s’il pleut trop, il n’y a pas de pollinisation et s’il fait trop chaud, les fleurs brûlent. »
Si l’été est un moment essentiel, l’hiver, avec son temps froid et ses journées plus courtes, est tout aussi important car il permet au fruit de maturer. Avec les journées moins lumineuses et ensoleillées, les oranges perdent leur teinte verte et développent leur couleur orangée. « Là, on a tendance à attendre un peu plus longtemps que l’hiver arrive et on démarre la saison plus tard », déclare le commerçant. Ces changements météorologiques sont également accompagnés d’événements climatiques extrêmes. « Quand le froid arrive, les terres et les mers sont encore chaudes. On voit des cyclones arriver sur les terres alors qu’avant ils restaient en mer. S’y ajoutent les incendies en été, qui ravagent de nombreuses parcelles. C’est vraiment dévastateur », conclut Pietro.
Un stress hydrique alarmant
L’université de Valence, dans un rapport publié en 2022[1], prévient des risques liés aux épisodes de sécheresses et de vagues de chaleur intenses que l’on peut déjà observer en Méditerranée. « Ceux-ci mettent vraisemblablement en péril la production des cultures et, dans les cas extrêmes, la survie même des plantes ». En effet, la hausse des températures mène à une plus importante évapotranspiration des arbres ainsi qu’à une pluviométrie moins élevée. Les orangers, déjà gourmands en eau, nécessiteront ainsi plus d’irrigation, sans que celle-ci ne soit garantie.
Une récente étude[2] menée par des universités suédoises et grecques alerte quant au phénomène de désertification qui touche la Méditerranée. Raphaël Morillon, biologiste moléculaire et directeur de l’équipe « agrumes » du CIRAD, s’alarme : « Si on regarde le Maroc ou la Tunisie, l’eau y est la principale inquiétude. Aujourd’hui, il y a de grandes étendues de parcelles d’agrumes qui sont en train de disparaître parce qu’on n’a pas assez d’eau pour les irriguer. » Il y a quelques années, Michele a participé via le consortium à un projet de recherche européen (LIFE Desert Adapt Model) pour trouver des voies d’adaptation. Celui-ci ajoute : « Les solutions qu’on avait trouvées et qui marchaient il y a sept ou huit ans ne marchent plus à présent. Le vrai danger, ce serait qu’il n’y ait plus d’eau du tout. »
Vis-à-vis de la qualité des réserves en eau, la situation n’est pas moins inquiétante. Les chercheurs et chercheuses attestent d’une situation critique : la région méditerranéenne connaît les plus hauts taux d’érosion de l’Union européenne, les niveaux les plus bas en termes de matières organiques présentes dans le sol mais aussi de sérieux problèmes de salinisation. « C’est un enjeu lié au manque d’eau parce que moins vous avez d’eau, plus vous allez pomper profondément dans vos nappes phréatiques et plus elles vont se saliniser », avertit Éric.
Ce phénomène arrive pour deux raisons. Soit parce que l’eau salée, naturellement sous-jacente aux aquifères d’eau douce, est pompée et déversée à la surface pour finir par contaminer les aquifères d’eau douce, soit parce que l’eau salée et l’eau douce se mélangent dans le sous-sol et la salinité de l’aquifère d’eau douce augmente. Dans chacun de ces cas, l’eau altérée a de terribles conséquences pour le verger : elle réduit la germination des graines, freine la croissance de l’arbre, provoque la chute des feuilles ou encore entraîne des déséquilibres nutritionnels.
[1] https://ojs.uv.es/index.php/Metode/article/view/20319.
[2] https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0048969721051810.
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