Début avril, l’Agence fédérale pour la sécurité de la chaîne alimentaire (Afsca) retirait à l’usine Ferrero d’Arlon son autorisation de production. Et rappelait les produits Kinder fabriqués dans cette usine, à l’origine de dizaines de cas de salmonellose dans plusieurs pays d’Europe. Ce n’est pas la seule polémique à laquelle fait face la multinationale, loin de là. D’ailleurs, on a décidé d’écrire une lettre au roi Philippe.
Tchak dedans (humeur) | Yves Raisiere, journaliste
Monseigneur, mon Roi, cher Philippe,
Si je t’écris – je sais, je te tutoie mais ne prends pas ça pour de l’irrespect ; dans mon milieu, y a pas vraiment de patron, tout le monde s’en mêle, voire s’emmêle. C’est quelque chose tu sais !
Bref, si je t’écris, c’est parce que j’ai appris, tout récemment, que le bénéfice 2021 de Ferrero s’élevait à 988 millions d’euros. Une hausse de 64 % qui s’explique par le fait que les dépenses ont augmenté moins rapidement que les revenus. C’est bien dit, hein ?
+++ Ce billet d’humeur est au sommaire du nouveau numéro de Tchak (printemps 22)
Le rapport avec toi ? Attends, j’y arrive. Avant, je veux juste te rappeler de qui on cause. Ferrero, c’est cette multinationale qui fabrique le Nutella – 350 000 tonnes par an – , les Kinder, les Rocher, les Mon Chéri, les Tic Tac. Du beau monde quoi.
Pour en revenir à cette histoire de bénéfice, je comprends ton étonnement. Toi dont la dotation n’a grimpé que de 7,65 %, tu vas me demander comment Ferrero a réussi ce tour de passe-passe malgré la hausse des prix de l’énergie et des matières premières.
Je te préviens : c’est moins sympa que ses (soi-disant) efforts réalisés pour lutter contre la déforestation, le travail des enfants ou encore l’exploitation de migrants. Ici, il s’agit de casser les prix, aux dépens des producteurs turcs de noisettes qui lui livrent 30% de leur production. Et ça, juste au moment où ils subissent une perte de leur pouvoir d’achat et où ils font face à une inflation terrible. Sympa hein !
Ferrero et la guerre des noisettes
En fin observateur de la chose économique, tu me diras avoir lu dans La Libre Belgique, ton quotidien préféré, que Ferrero se défendait de toute pression et disait respecter les lois du marché. Ah ça, c’est vrai que c’est chouette la globalisation ! Tu vas voir : suffit de taper « Italie », « Ferrero » et « noisettes » dans n’importe quel moteur de recherches pour en découvrir des vertes et des pas mûres sur les pratiques de la multinationale.
Tiens, un exemple. Pour contrer Barilla – qui a lancé une pâte à tartiner 100 % italienne et sans huile de palme – Ferrero avait décidé de relocaliser une bonne partie de son approvisionnement de noisettes en Italie ? Objectif : passer de 70.000 à 90.000 hectares d’ici à 2025, alors que le pays est déjà deuxième producteur mondial après la Turquie.
Bien d’accord avec toi, mon cher Philippe ! A long terme, ça va être un désastre. Des milliers d’hectares vont être consacrés à une monoculture aux dépens d’autres plus diversifiées. A la clé, un appauvrissement des sols et une chute de la biodiversité, donc une hausse de l’utilisation des engrais et des produits phytosanitaires.
Je ne te cache pas, mon bon Roi, que le monde paysan italien – pourtant porteur d’une agriculture durable – en sera une autre victime : exit les fermes de taille familiale au profit de méga-exploitations. Et je ne parle pas des milliers d’enfants rendus accrocs au sucre dès le plus jeune âge ; une dépendance impactant à long terme leur métabolisme, promesse de risques d’obésité, de diabète, de maladies cardiovasculaires.
En Belgique, y a une personne qui peut agir : toi !
Oups, pardon, je m’égare. Ca me rend dingue tout ça. Ferrero nous assène ses pubs mensongères depuis des années sans que rien ne bouge. C’est d’ailleurs pour ça que j’ai décidé de t’écrire. Je me suis rendu compte qu’en Belgique, y avait tout de même une pointure qui pourrait agir : toi.
Je m’explique. Parmi les « Fournisseurs de la Cour » – un titre recherché pour son impact marketing, tu en conviendras – , on trouve la biscuiterie Delacre, qui fourgue ses Cigarettes russes, ses Biarritz, ses Marquisettes, ses Délichoc et autres cookies dans plus de trente pays.
Je sais qu’entre Delacre et la maison royale, tout baigne depuis 1879. Ta photo de famille imprimée chaque année sur les célèbres boites du même nom en est la preuve croquante. Un super objet à collectionner, affirme d’ailleurs la marque, pour « une boîte 100 % belge ».
C’est bien ça qui me chagrine, mon Philippe : si la maison Delacre se targue d’être belge, ce n’est plus vrai depuis 2016, année où elle a été rachetée par… Ferrero. De là à dire que toi et ta famille cautionnez indirectement cette multinationale voyou, il n’y a qu’un pas.
Dans mon impuissance, je le franchis allègrement pour t’adresser cette supplique : au regard des vilainetés qui précèdent, puisses-tu, ô mon Roi, retirer son agrément à Delacre. Idem pour son droit à utiliser tes photos.
En échange, tu pourrais peut-être couronner un chouette projet coopératif pas loin de Laeken. Tiens, la coopérative La Finca par exemple. Une ferme maraîchère qui propose l’autocueillette en abonnement, une épicerie, un service traiteur et un resto champêtre.
T’imagines, mon Philippe, quel double message ça enverrait aux gens !
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