A l’attention de Monsieur Jean-Paul Philippot,
administrateur général de la RTBF,
Cher Jean-Paul (*),
Je t’écris à propos de la séquence Soixante secondes pour l’avenir, diffusée tous les matins, à 8h29, sur la Première. Pour aller droit au but, je suis fatigué de me taper son générique, même en qualité DAB+. L’expression est un peu rude mais elle traduit bien une lassitude que j’ai par ailleurs décidé de rendre publique. Puisse cette lettre jouer un rôle cathartique !
Billet d’humeur | Yves Raisiere, journaliste | yrai@tchak.be
Pour ceux et celles qui ne connaissent pas le programme, resituons d’abord le contexte : « Dans cette capsule d’une minute, Olivier Fraipont répond sur un ton parfois décalé, mais jamais moralisateur, à une question très concrète, qui touche à la fois notre quotidien et notre avenir », explique la RTBF sur sa plate-forme Auvio.
Quelques exemples : puis-je choisir à quoi va servir l’argent que j’investis ? Que font les autorités pour accélérer le développement durable ? Dans le secteur agricole, est-ce qu’on se préoccupe de la biodiversité ? Etc. À première vue, pas de quoi soupirer, me diras-tu ; la lutte contre le réchauffement climatique mérite bien une rubrique quotidienne, quand bien même on y déroule parfois les poncifs. Sauf que ces soixante secondes pour l’avenir sont sponsorisées par BNP Paribas. Et là, c’est tout de même l’hôpital qui se fout de la charité.
+ Ce billet d’humeur a été publié dans le numéro 12 de Tchak (hiver 22-23), en vente depuis le mardi 16 décembre.
Le « positive banking », vraiment ?
Reprenons. BNP Paribas Fortis, la banque d’un monde qui change, prétend celle-ci. Ou encore : « S’engager pour un avenir meilleur, c’est ça aussi le Positive Banking ». Sur son site, elle développe son engagement dans la lutte climatique, son respect de l’environnement, sa cohérence avec les objectifs de développement durable de l’ONU.
Émouvant également : sa page spéciale consacrée à son fonds philanthropique Impact together, destiné à renforcer son « engagement pour un monde plus juste ». Y fleurissent d’ailleurs plusieurs photos de fermes qu’on imagine paysannes. Et le montant des versements déjà réalisés envers 150 organisations à profit social, soit 13,5 millions.
Oui, bon, redescendons sur Terre. Sans doute seras-tu d’accord pour dire qu’il s’agit d’une aumône au regard des 8 milliards de bénéfices réalisés par la banque depuis janvier. Autrement dit, de l’écoblanchiment. Une technique d’ailleurs torpillée par plusieurs ONG et associations ces dernières semaines, ça n’a pas dû t’échapper.
Exemple percutant parmi une floppée d’autres ? La campagne Ensemble, poursuivons en justice la banque la plus polluante de France ! cosignée par Oxfam, Les Amis de la terre et Notre affaire à tous (France). On y apprend notamment que BNP Paribas :
- Présente une empreinte carbone supérieure à celle du territoire français ;
- Est le premier financeur européen du développement des énergies fossiles entre 2016 et 2021 ;
- Est également le premier financeur mondial de 8 géants du pétrole et du gaz (et des bombes climatiques qui vont de pair), dont Total, entre 2016 et 2021.
Du foutage de g…
Bref, entre dires et réalité, force est de reconnaître que pareil grand écart tient davantage du foutage de gueule que d’un positionnement sincère sur le chemin difficile de la transition. Un jugement qui n’a rien d’expéditif, je t’assure ! Suffit de lire la conclusion cinglante des précités : « En haut de la liste des géants de la pollution : BNP Paribas et ses soutiens financiers aux énergies fossiles, qui rendent possible la multiplication aux quatre coins du monde de projets pétroliers et gaziers aux impacts dévastateurs et irréversibles sur l’environnement et les droits humains. »
Le plus énervant, cher Jean-Paul, c’est que cet écoblanchiment est également mis à mal depuis longtemps par le Scan des banques (mis à jour en mars 2022). Tu sais, c’est cet outil qui permet d’évaluer l’éthique des banques. BNP Paribas y reçoit une note de seulement 3,7 sur 10 en matière d’engagement climatique. De quoi la faire figurer à l’avant-dernière place d’un classement qui aurait dû la faire rougir.
Ce n’est pas le cas. Pourquoi changer un business qui gagne alors qu’un ravalement de façade suffit ? Ainsi, il nous revient que 60 secondes pour l’avenir, vitrine de choix pour BNP Paribas Fortis, serait né à la demande de la banque, via RMB, ta régie publicitaire. Enfin, pas la tienne, hein, celle de la RTBF.
Faisons les comptes, Jean-Paul : 60 secondes X 170 capsules à ce jour, début décembre… Ça fait quasi 3 heures de diffusion vendues à une banque qui se prétend solidaire, mais qui répand le soufre aux quatre coins du monde. Une banque qui, pourtant, donne des leçons d’écologie tous les matins. Tout ça parce qu’elle a l’argent pour s’acheter du temps d’antenne ! Tu comprends mon exaspération ?
La pub… interdite sur Matin Première
Alors, voici la question que je te pose, cher Jean-Paul : toi qui n’as pas tremblé quand il a fallu en dégommer certain·e·s, comment as-tu pu accepter ça ? En plus, tu avais un boulevard devant toi pour trancher : depuis le 1er juillet 2021, La Première ne peut plus diffuser de publicité dans sa tranche 6h-9h.
Tu vas me dire que le « parrainage » de pareille capsule reste autorisé. C’est vrai. Mais sois de bonne foi : ça reste de la communication commerciale. D’ailleurs, je suis tombé sur un rapport du Conseil supérieur de l’audiovisuel, qui ne dit pas autre chose : « La diffusion de ces annonces de parrainage dans la matinale, bien que respectant décret et contrat de gestion, expose les auditeur·rice·s à un nombre important de messages à finalité commerciale et donne bien l’impression au public que la matinale “sans publicités“ comprend des publicités ».
J’ajouterai encore ceci, mon Jean-Paul : quelle crédibilité La Première tire-t-elle de cette séquence « parrainée » diffusée en pleine matinale, au cœur de l’info ? Et puis, pense un peu aux nerfs de tes journalistes. À ceux de François Heureux et de ses chroniqueurs. À ceux de Thomas Gunzig et de tous les autres. Pense à tes auditeur·ice·s. Aux générations futures. À moi !
Alors s’il te plait, Jean-Paul : mets fin à ce foutu parrainage.
(*) Dans le circuit court, tout le monde s’appelle par son prénom et se tutoie.
- Mis à jour à 21h: correction dans le titre (« mets » au lieu de « met »)
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