Fairebel, le lait qui pourrait faire mieux

Fairebel, c’est une « success story » à la Belge. En 2008, à sa naissance, la célèbre brique de lait pariait sur le local, le durable et une rémunération décente des éleveurs. Quinze ans plus tard, peut-on parler de promesses tenues ?

Cédric Vallet, journaliste | cedric_vallet@hotmail.com

La brique de lait Fairebel est une véritable star des rayons. Elle trône dans toutes les grandes surfaces et son logo est reconnaissable entre tous : sa vache, aux couleurs de la Belgique, attire le regard des consommateurs. À un peu plus de 1,10 euro le litre, la brique est plus onéreuse que les marques concurrentes. Mais Fairebel promet plus que les autres. Avec cet achat, le consommateur choisit un lait « équitable », et défend une agriculture « familiale », est-il écrit sur la boîte en trois langues. Il agit ainsi pour mieux rémunérer les producteurs.

« Notre idée était de créer une marque qui permet de couvrir les coûts de production du lait et le salaire des éleveurs, explique Daniel Hick, l’un des fondateurs de Fairebel. Nous avons créé une coopérative d’agriculteurs qui prennent leur destin en main. »

La marque fut créée en 2009 dans la foulée de la crise du lait (voir encadré), avec l’idée de proposer un modèle de vente alternatif, permettant une rémunération décente des producteurs, un meilleur partage de la plus-value, en proposant aux consommateurs de payer un supplément à cette fin.

Aujourd’hui, Fairebel, c’est une marque de plus de 12 millions de litres de lait vendus chaque année, un chiffre d’affaires de 14,6 millions d’euros, et des sommes conséquentes dépensées dans la publicité et le marketing – les comptes officiels mentionnent 4,8 millions d’euros affectés aux « biens et services divers, dont le marketing et la publicité ».

Fairebel ce sont aussi des fromages, des crèmes glacées et, depuis peu, des fruits et de la viande que les consommateurs peuvent acheter en soutien à ces filières. Faircoop, la coopérative derrière la marque Fairebel, est composée de 1.966 membres, dont 341 producteurs de lait.

+ Ce dossier est au sommaire de notre numéro 12 (hiver 22-23).

« Ils embrouillent les consommateurs »

Le succès est incontestable. Pourtant, le modèle Fairebel, qui a sensiblement évolué depuis sa création, n’a jamais suscité l’unanimité. Depuis sa création, des critiques fusent, récurrentes mais discrètes, sur ce modèle ambigu, que Pierre Stassart et François Mélard, de l’Université de Liège, qualifièrent de « bricolage » dans une étude qu’ils consacrèrent à la coopérative en 2017. « On fait croire aux gens qu’ils achètent aux fermiers le lait qu’ils produisent. C’est de la désinformation, dénonce encore aujourd’hui, sous couvert d’anonymat, un producteur de lait wallon. Ils utilisent le terme “fair“, mais ils embrouillent les consommateurs. »

Le lait qu’on trouve dans les briques Fairebel n’est pas intégralement belge. Il est même majoritairement luxembourgeois, collecté, transformé et mis en briques par Luxlait, la laiterie du Grand-duché qui s’appuie prioritairement sur des producteurs nationaux. Fairebel est donc une marque belge qui achète son lait à une laiterie luxembourgeoise. Cette dernière se fournit auprès des producteurs du Grand-duché… au prix du marché, donc au prix le plus bas. Les coopérateurs de Fairebel – éleveurs belges – vendent leur propre lait à d’autres laiteries.

+ Faux lait en poudre : la concurrence déloyale de l’industrie européenne

Pourquoi Fairebel a dû faire ce choix il y a plus de 12 ans ? « L’industrie ne voulait pas trouver de solution qui aille vers un meilleur partage de marges, ils n’ont pas voulu aider à trouver des solutions », affirme Yves Vandenvoorde, de la Fédération unie de groupements d’éleveurs et d’agriculteurs (FUGEA), qui prône une agriculture durable.

Pour vendre leur lait, les producteurs wallons avaient besoin d’une laiterie pour mettre en brique et transformer leur produit, puis de points de vente. Et au début des années 2010, l’initiative ne ravissait pas vraiment le secteur, voire suscitait de l’hostilité.

À l’époque, les laiteries avaient freiné des quatre fers, se remémore Daniel Hick : « Tout ce que nous avons fait, nous l’avons fait de bonne foi. Nous nous sommes retrouvés sur le marché avec du lait luxembourgeois, mais à la base nous voulions être présents avec notre propre lait. À l’époque, la grande distribution commençait à être convaincue par notre idée, mais les laiteries belges ont refusé de travailler avec nous. »

Et sans laiterie, pas de brique de lait. « Elles préfèrent quand le prix du lait est bas, ajoute Daniel Hick, car elles défendent un modèle tourné vers l’exportation, avec cette idée de nourrir l’Asie. »

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