En Drôme (France), une coopérative agricole invente un modèle de « mini-société ». La Ferme des Volonteux, près de 30 hectares, a réussi en un peu plus de dix ans à créer 15 emplois équivalents temps plein et fait vivre aujourd’hui 27 personnes. Au cœur de cet écosystème fragile, l’équité salariale et la force du commun.
Grand reportage,
Augustin Campos, journaliste,
augustin.campos.ac@gmail.com
À première vue, brebis et agneaux qui broutent entre les pêchers et autres poiriers dégarnis semblent plutôt là pour la carte postale. Et pourtant. Aujourd’hui, c’est jour de mutation dans la ferme bio des Volonteux : le petit troupeau fait escale dans la modeste étable, avant de rejoindre son nouveau terrain de ravitaillement. Les 80 bêtes de ce coin de plaine en périphérie de Valence, dans la Drôme (France), iront faucher une parcelle non loin des poireaux, derrière les serres arboricoles.
Chaque semaine, plusieurs heures sont consacrées à les déplacer. Pourtant, cet élevage n’est pas rentable dans cette ferme coopérative aux multiples activités. C’est l’une des singularités de cet écosystème construit autour de valeurs écologiques et anarchistes. Agneaux, brebis et vaches se contentent de débroussailler quand on le leur demande, et de fournir du fumier pour les cultures.
« Cet élevage n’est pas un outil de production, mais il fait partie du cercle vertueux de la ferme et nous permet d’être quasi autonome sur la partie fumure pour nos cultures », indique Remy, le fondateur de la coopérative agricole qui exploite en fermage la trentaine d’hectares de terres familiales depuis 2009. « On n’en tire aucun bénéfice en apparence, mais en réalité c’est du gasoil et du temps d’utilisation du tracteur en moins, et à la fin, ça se quantifie », complète David, le pépiniériste, installé dans la ferme depuis huit ans.
Ici, l’élevage côtoie l’arboriculture, le maraîchage, la pépinière, les céréales et la boulangerie, l’épicerie ou encore la fripe et l’herboristerie récemment créées. Dix entrepreneurs-salariés et 17 salariés composent cet écosystème fragile mais résilient, garant d’une protection sociale pour tous ses membres.
Sous la bergerie, deux imposantes serres angulaires couvertes de panneaux solaires – le tout financé par un fournisseur d’électricité qui revend l’énergie produite – abritent une partie du rayon arboriculture. De jeunes citronniers et mandariniers grandissent ici, dans l’attente d’être productifs. Plus loin, une série de poiriers, d’abricotiers, de pruniers et de vignes attendent eux le printemps pour donner à nouveau. Au milieu, perché sur son escabeau, Charles taille soigneusement les jeunes branches des poiriers avec son sécateur électrique.
« Ce qui est agréable dans cette ferme, c’est qu’on peut passer de l’atelier arboriculture à l’atelier maraîchage quand il y a des besoins, raconte cet ancien salarié de l’Office français de l’immigration et de l’intégration en région parisienne. Je ne connais pas beaucoup de boulots agricoles avec une telle diversité d’activités. »
Lui et sa collègue trentenaire Perrine, tous deux salariés du pôle arboriculture, avancent à leur rythme, et discutent paisiblement. La diversification est centrale aux Volonteux, et s’articule bien souvent autour de la complémentarité des activités.
+ Ce grand reportage est au sommaire du n°13 de Tchak (printemps 2023)
Ferme des Volonteux: « Même les gros éleveurs porcins regardent nos modèles »
La pépinière installée dans la serre voisine, équipée d’ouvrants qui s’activent au gré de la chaleur ou du vent, est un bel exemple de complémentarité. Non rentable depuis qu’elle a été lancée en 2017, elle est cependant essentielle afin de tester de nouvelles semences et renforcer l’autonomie de la ferme. Aujourd’hui, l’activité, qui repose principalement sur la vente de plants aux particuliers et les visites pédagogiques (dans le jardin pédagogique et en extérieur), fournit un quart des plants de l’activité maraîchage. À terme, elle devrait en assurer 80%.
« Il n’y a pas si longtemps, on nous traitait encore d’utopistes, et aujourd’hui on se rend compte que même les plus gros éleveurs porcins de la Beauce, qui ont 1.000 hectares mais qui n’arrivent parfois pas à s’en sortir, commencent à regarder nos modèles en disant : comment vous faites pour fonctionner à 27 salariés – 15 postes équivalents temps plein en 2022 – sur 30 hectares ?, observe David, le pépiniériste associé, en train de rempoter du thym. C’est la diversification qui permet ça ! C’est un maillage de différentes activités qui sont interdépendantes les unes des autres », souligne ce grand brun placide.
Face aux nombreux aléas, Remy, le gérant et responsable des pôles arboriculture et élevage, est convaincu de la nécessité de développer ce type de modèle qui aspire à l’autonomie. « Cette organisation sociale et cette diversité de pratiques amènent une résilience économique, dans un monde hostile économiquement et qui va devenir de plus en plus dur écologiquement », explique-t-il, inspiré par le modèle ancien de ferme polyculture-élevage du début du XXe siècle. Un exemple pour lui qui, avant ce projet, ne connaissait l’agriculture qu’à travers l’expérience de ses grands-parents agriculteurs.
« Ce que je trouve intéressant dans la structure coopérative, c’est qu’elle n’est pas centrée uniquement sur l’agriculture. Mes grands-parents me racontaient que les vaniers italiens venaient faire les chaises, d’autres venaient laver le gros linge, et les gens du coin venaient chercher les légumes et le fromage, raconte Remy.Cela créait un ancrage local et une raison d’exister localement ».
C’est ce que développe la coopérative avec la fripe, ouverte en 2020, l’herboristerie lancée il y a moins d’un an, et le tiers-lieu construit il y a peu dans la prolongation de l’épicerie, censé accueillir bientôt conférences, ateliers et concerts.
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