C’est l’histoire d’un commerçant qui n’a pas la langue dans sa poche et qui détient plus d’une corde à son arc horticole. Collectionneur de tomates, chasseur de variétés, producteur semencier, artisan grainetier… À Liège, Patrick Janssens, grainetier de son état, sème la diversité dans les jardins et dans les esprits depuis de nombreuses années.
Portrait | Claire Lengrand, journaliste – Gaëlle Henkens, photographe
En cette journée d’avril mitigée entre pluie et soleil, les travaux destinés à accueillir le futur tramway progressent lentement mais sûrement au cœur de la Cité Ardente. Entre les deux artères Hors-Château et Féronstrée, la rue Velbruck accueille une boutique unique en son genre : la graineterie Vaillant-Wathelet.
+++ Ce portrait est au sommaire du numéro 14 de Tchak (été 2023)
Dans cette pièce de quelques mètres carrés, où la lumière du jour peine à percer, règne un joyeux bordel organisé. Ou ce que son tenancier, Patrick Janssens, appelle affectueusement sa « caverne d’Ali Baba ». À même le sol et sur des étagères en bois s’amoncellent matériel de jardinage et articles « de cave » : cruches, pots en plastique ou en terre cuite, sacs de terreau, hôtels à insectes, kits de brassage de bière, mini-pressoirs à jus, etc. Au milieu du magasin et sur tout le pan gauche, des présentoirs exhibent des milliers de graines, ensachées ou en vrac, classées par coloris ou famille potagère. Sur un panneau pliable, le croquis d’une limace expose les différentes parties de son corps.
Au fond, assis derrière son bureau-caisse, Patrick attend sagement ses clients. Après un arrêt maladie de plusieurs mois, il a repris du service depuis peu.
« Le jardin planétaire ne saurait se soumettre à une cartographie classique, il est partout, il occupe la biosphère, son territoire est l’épaisseur du vivant. »
Le Jardin planétaire, Gilles Clément
Sous ses airs placides et silencieux, Patrick est un homme avide de paroles. Entre anecdotes, blagues parfois douteuses et analyses à la fois psychologiques, philosophiques et sociologiques, il converse aisément, bifurquant d’un sujet à l’autre tel un acrobate des mots et de la pensée riche et diffuse. Parler de lui n’est pas son fort, il préfère de loin partager son savoir et ses réflexions, nourries par une curiosité sans limites et un besoin intense d’aller au fond des choses, qu’il tiendrait de son père.
« C’est ce qu’il m’a transmis involontairement : avoir un regard scientifique, observer, se poser des questions, imaginer des réponses, les tester encore et encore. Si ça se vérifie, on en fait une règle et sinon, on cherche à comprendre pourquoi on s’est trompé et on formule d’autres hypothèses. »
Le jardinage, qui regroupe une panoplie d’écoles et de règles régulièrement remises en question, est un terrain d’expérimentations idéal à cet effet.

La culture de la tomate
Pour comprendre l’amour des plantes et, plus largement, du vivant, qui anime le commerçant, il faut remonter à son enfance. Patrick grandit à Bruxelles dans une famille de quatre enfants, au milieu des animaux, dont il aime prendre soin : « C’était l’Arche de Noé à la maison ».
Déjà à l’époque, le garçon affectionne les graines, qu’il court s’acheter dès qu’il a deux francs en poche chez le marchand le plus proche, comme d’autres s’offriraient des bonbons. Plus pour le plaisir de les posséder que de les semer. Une fois adulte, Patrick entre dans la vie active et, fatalement, dispose de moins de temps. Il se tourne alors vers les plantes, « autosuffisantes », et découvre un univers à part entière : celui de la tomate.
Le jardinier rejoint la grande communauté des « lycopersicophiles » ou collectionneurs de ce fruit pour certains, légume pour d’autres, qui compterait environ 500.000 variétés à travers le monde. « J’ai une facilité avec cette plante que d’autres n’ont pas », affirme le grainetier. Une question, selon lui, d’interrelation entre végétaux et humains. « Chaque être émet des énergies différentes. Certains rayonnent, d’autres sont antipathiques. Moi, je me sens Catalyst. Je préfère vivre dans l’ombre et transmettre l’énergie aux autres », confie celui qui se qualifie « d’homme des bois ».
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À mesure qu’il livre, au compte-gouttes, entre deux observations, son parcours de vie, on perçoit chez Patrick, à l’instar de sa pensée et de sa boutique, un penchant pour la dispersion, un engouement pour le changement. En attestent les différents métiers qu’il a exercés : militaire, responsable dans le milieu hospitalier, employé au sein du ministère de la Communauté française et au musée de la Littérature à Bruxelles…
« Comme quoi, la culture, ça m’a toujours intéressé », glisse le tenancier qui, encore aujourd’hui, entretient sa fascination pour les belles lettres au sein même de sa boutique, où il aime « mettre en évidence le nom et la poésie des plantes ». Tout au long de cette trajectoire décousue, à la croisée de plusieurs chemins, sa passion horticole ne l’a jamais quittée. Le guidant, peu à peu, vers sa voie professionnelle actuelle…
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