Depuis 2023, les capsules Nespresso peuvent être jetées dans les sacs bleus pour être recyclées. Un bel exemple d’économie circulaire ? Non, le dernier acte d’une entreprise qui pousse l’écoblanchiment à son comble.
Humeur | Clémence Dumont, journaliste
« L’aluminium de nos capsules est recyclable à l’infini. Et bonne nouvelle, votre sac bleu accueille désormais vos capsules Nespresso usagées. Une bonne raison de recycler encore plus avec nous. »
Boire du café Nespresso, ce serait quasiment une bonne action. La championne mondiale du café portionné l’affirme : son ambition, c’est de « créer une tasse de café à l’impact positif sur le monde ». Elle a pensé à tout pour y parvenir. Mais elle compte sur le concours des amateurs et amatrices de petits noirs, responsables du geste ultime : jeter leurs capsules dans le bon sac. Celui qui permettra à Nespresso de « recycler encore plus ».
+++ Ce billet d’humeur est au sommaire du numéro 14 de Tchak (été 2023).
Encore plus de résidus qu’elle aurait simplement pu s’abstenir de créer ? Au diable, les persifleurs ! Les capsules en alu sont les meilleures pour préserver les arômes du précieux breuvage et leur impact écologique est dérisoire puisque l’ensemble de la chaîne de production est presque « zéro carbone », répond le groupe suisse. Son patron insiste : « Contrairement à l’idée répandue, une tasse de café Nespresso a une empreinte carbone de 24% inférieure à celle d’une tasse de café en grains. Tout simplement car la plus grande partie de l’impact environnemental d’une tasse vient du café, pas de la machine ou de l’emballage »[1]. Or les consommateurs gaspilleraient beaucoup de café quand ils n’utilisent pas le système Nespresso.
Vous aussi, vous flairez un vague parfum d’écoblanchiment ? En fait, à mieux le sentir, le café de Nespresso est carrément pestilentiel. Mais pour en percevoir les notes de fond, il faut le humer bien froid. Reprenons donc calmement.
En Belgique, les entreprises doivent assumer le recyclage des emballages ménagers qu’elles génèrent. Elles le font généralement en cotisant à Fost Plus, qui gère tout le processus à leur place. Mais, dans la législation actuelle, les capsules qui contiennent encore du marc de café après usage ne sont pas considérées comme des emballages. De plus, les systèmes de tri n’étaient pas adaptés à ces capsules, notamment en raison de leur petite taille.
Alors que l’Union européenne planche sur une modification de cette législation, Nespresso et sa maison-mère Nestlé, que l’on retrouve également derrière les marques Starbucks by Nespresso, Nescafé Farmers Origins et Nescafé Dolce Gusto, ainsi que JDE Peet’s, qui vend des capsules sous les marques L’Or et Douwe Egberts, ont pris les devants en concluant un partenariat avec Fost Plus. Elles ont investi elles-mêmes pour équiper les centres de tri de nouvelles machines, notamment d’un séparateur dit « à courants de Foucault » qui crée un champ magnétique permettant de récupérer les petits déchets en aluminium afin qu’ils ne finissent pas dans le flux de déchets résiduels. Depuis le 1er janvier 2023, les capsules en aluminium et en plastique peuvent dès lors être jetées dans le sac bleu partout en Belgique.
Un métal galvaudé
« Cette innovation bénéficie à d’autres petits déchets que les capsules. Tous les centres de tri ne sont pas encore équipés, mais ils le seront dans le courant de l’année », s’emballe la porte-parole de Fost Plus, selon laquelle environ 4.500 tonnes de matériaux supplémentaires seront ainsi revalorisées (3.000 tonnes d’aluminium et 1.500 tonnes de plastique).
« Les capsules en plastique suivent différentes voies de recyclage en fonction de leur composition. Pour l’aluminium, ce sont nos partenaires en Allemagne et aux Pays-Bas qui se chargent du recyclage, explique-t-elle. Les capsules sont soit broyées mécaniquement puis tamisées, soit traitées par pyrolyse, c’est-à-dire chauffées à très haute température. »
Le coût de ce processus ? « Je ne peux pas m’exprimer sur le montant total. Il est pris en charge par Nespresso, Nestlé et JDE Peet’s, qui payent en fonction de leur part de marché », répond la porte-parole de Fost Plus.
Nespresso, qui n’a pas non plus communiqué de montant, a précisé à Tchak que ses seules motivations sont de faciliter la vie des consommateurs et d’augmenter le taux de recyclage des capsules. Jusqu’alors, l’entreprise organisait elle-même ce recyclage en demandant à sa clientèle de rapporter les capsules usagées, avec un succès très relatif : elle en récupère moins de 30% à l’échelle mondiale, selon ses propres chiffres.
Grâce au tri via le ramassage public des poubelles, en Belgique comme progressivement dans d’autres pays, la marque préférée de Georges Clooney va pouvoir mettre fin à sa fastidieuse collecte interne. Et, surtout, se positionner comme une championne de l’économie circulaire puisque ses capsules contiennent elles-mêmes 80% d’aluminium recyclé. Où donc est le mal ? N’a-t-elle pas raison de déballer ses mérites ?
On a posé la question à Éric Pirard, professeur et ingénieur géologue à l’ULiège, spécialiste des métaux. L’évocation de Nespresso suffit, de son propre aveu, à le mettre en colère.
« L’aluminium est l’un des métaux les plus énergivores parce qu’il ne se trouve pas sous forme métallique dans l’environnement. Pour produire un kilo d’aluminium métallique au départ de son minerai, la bauxite, il faut 55 kWh. Pour vous donner un ordre de grandeur, c’est la consommation d’un téléviseur allumé pendant 1.000 heures, souligne, en préambule, l’expert. D’ailleurs, le premier usage de l’aluminium quand il a été découvert à la fin du 19e siècle, c’était pour les bijoux. L’énergie est devenue tellement bon marché qu’on en a fait un métal banal. Moi, je continue à le voir comme un métal précieux. Et il n’y a pas que le problème du CO₂, loin de là. Il faut voir l’extraction des roches, leur transformation… Tout cela a un impact énorme sur l’environnement. On ne peut pas galvauder une telle ressource ! »
« L’idée même d’utiliser de l’aluminium à usage unique pour faire du café est indécente. On commence à bannir le plastique à usage unique. De même, et peut-être plus encore, on devrait bannir l’aluminium à usage unique », plaide Éric Pirard.
« Le recyclage implique toujours une perte »
L’ingénieur en convient néanmoins : quitte à utiliser de l’aluminium, autant qu’il soit recyclé. « Utiliser de l’aluminium recyclé est beaucoup plus économe. Mais le recyclage reste énergivore et la technologie n’est pas du tout aussi belle qu’on le dit. »
Car si, en théorie, l’aluminium est recyclable à l’infini, c’est plus compliqué en pratique. « Quand on parle de déchets en aluminium, il ne s’agit presque jamais d’aluminium pur. Il existe des centaines d’alliages à base d’aluminium. Dedans, on peut trouver un peu de silicium, du cuivre, du magnésium, etc. Le problème, c’est que les capsules sont mélangées à tous ces autres déchets. Une fois refondue, cette masse forme une sorte de soupe qui n’intéresse presque personne. »
Un point contesté par la porte-parole de Fost Plus, qui soutient que l’aluminium recyclé peut être utilisé « pour n’importe quelle application ». Toujours est-il que Nespresso elle-même admet ne pas pouvoir fabriquer ses capsules exclusivement à base d’aluminium recyclé. Chaque nouvelle capsule nécessite 20% d’aluminium vierge, indique-t-elle.
Autre argument d’Éric Pirard : « Le recyclage implique toujours une perte de matière. Imaginez, en étant super optimistes, que 95% des capsules soient collectées. Après 14 tours de recyclage, on a déjà dissipé la moitié de l’aluminium de départ, qui est perdu pour les générations futures. C’est insoutenable ! »
« Les systèmes de récupération de fins objets sont très partiels. À cause des imbrications entre les déchets, il y en a toujours qui ne sont pas déviés au bon endroit, complète un ingénieur qui a travaillé plusieurs années dans le secteur du recyclage. D’autre part, les machines à courants de Foucault récupèrent des déchets dont la concentration en aluminium est variable. On obtient donc des balles [c’est-à-dire des tas de déchets triés et compressés, ndlr] dont le pourcentage en aluminium n’est sans doute pas très élevé. Ne fut-ce que parce que les capsules sont encore remplies de café. Et puis on doit encore transporter ces balles jusqu’en Allemagne ou aux Pays-Bas. Cela réduit fortement le rendement du recyclage et son bénéfice écologique ! »
Le gaspillage ne s’arrête pas là : le marc de café et la fine couche plastique qui couvre l’intérieur des capsules sont brûlés. Sans parler de l’impact des cafetières bourrées d’électronique, ni de tout l’autre pan du discours de Nespresso qui lave plus vert que vert : celui qui concerne la production du café lui-même.
La marque dont l’image est associée au luxe a l’habitude de croiser le fer avec ses détracteurs. Pour leur clouer le bec, elle dégaine sa certification B Corp, un organisme qui accrédite ses engagements sociaux et environnementaux. Et au cœur de ses engagements, figure la promesse d’atteindre « zéro carbone net ».
Il faut se pincer pour le croire : comment ose-t-elle se présenter comme un chantre de la décarbonation alors que sa raison d’être consiste à vendre des emballages dont l’humanité n’a jamais eu besoin pour déguster du café ?
Un modèle qui ne tient pas
On s’y perd dans son jargon, mais, en 2020, Nespresso avait annoncé en grande pompe devenir « neutre en carbone » dès 2022. Comment ? En plantant des arbres, pardi ! Une technique de compensation régulièrement dénoncée, notamment parce que la terre ne serait pas suffisamment vaste si toutes les entreprises devaient planter des arbres pour compenser leurs émissions de gaz à effet de serre.
De plus, des enquêtes ont montré que des arbres plantés pour Nespresso sont régulièrement abattus sans qu’il en soit tenu compte et que certaines plantations nuisent à la souveraineté alimentaire de populations locales[2].
Face aux critiques, Nespresso s’est depuis assigné l’objectif « zéro carbone net » selon l’approche plus sérieuse de l’organisation « Science Based Targets », qui implique de prioritairement réduire les émissions à la source. Elle y parviendra entre 2035 et 2050 au plus tard, assure-t-elle.
En commençant par supprimer les capsules en aluminium au profit des nouvelles capsules en papier qu’elle vient de lancer ? Même pas. Son patron préfère laisser le choix aux consommateurs. Bravo l’engagement !
Peut-être espère-t-il sans l’avouer que la législation lui force la main ? Au moment d’écrire ces lignes, des textes étaient en discussion aux niveaux belge et européen pour interdire les capsules de café à usage unique en plastique ou en aluminium.
En attendant, « what else » ? Pour la planète, pour les familles caféicultrices, pour le portefeuille, il y a bien mieux que Nespresso. Remballe la marchandise, Georges, et renseigne-toi un peu !
[1] O. Détroyat, « Nespresso convertit ses capsules au papier », Le Figaro, 21 novembre 2022.
[2] Voir l’émission « Cash Investigation » diffusée le 6 janvier 2023 sur France 2 et le rapport « Carbone contre nourriture » publié en 2014 par l’ONG Les Amis de la Terre France.
[3] J. Cardinaels, « Belg ruilt pot koffie voor capsules », De Tijd, 23 mai 2020.
Chacun sa dose ?
D’après les calculs du journal De Tijd, en 2019, le marché du café portionné (dosette ou capsule) a dépassé celui du café moulu classique[3]. Une tendance à l’individualisation lancée par Nespresso, qui a fait des émules. Elle s’étend même à d’autres boissons comme le thé ou le chocolat chaud. Même si elle se paye, à tous les niveaux ! Heureusement, on constate aussi un regain d’intérêt pour le café en grains et les multiples manières de boire du café sans générer de déchets, par exemple avec une cafetière italienne.
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