Le « château » de la Famille de Dorlodot, rue du Chenet, à Floriffoux. C'est là que sont logées les 83 sociétés agricoles.

Étienne de Dorlodot, l’homme aux 83 sociétés agricoles

L’ingénierie fiscale percole dans le monde agricole. Des techniques empruntées au monde de la finance. Exemple à Floreffe, avec Etienne de Dorlodot, l’homme aux 83 sociétés agricoles. Une optimisation qui lui a permis d’aller chercher plus d’un million d’euros d’aides européennes ces deux dernières années. Insuffisant par rapport aux demandes rentrées, assène-t-il. L’administration wallonne, elle, a déposé plainte. Une instruction est en cours.   

Yves Raisiere, journaliste | yrai@tchak.be

C’est presque une guerre. Côté champs, Etienne de Dorlodot, patron et administrateur-délégué de dizaines d’associations agricoles. Côté ville, l’administration wallonne, organisme payeur des aides agricoles européennes. L’enjeu ? Le versement de dizaines de milliers d’euros. Sur le front, cette évidence : l’ingénierie fiscale n’est plus réservée aux financiers et aux grandes entreprises ; elle percole dans le monde agricole. Attention aux victimes collatérales.       

+++ Cet article est un des six chapitres de la première enquête de Tchak! : Accès à la terre, la loi des plus forts.

Un mot sur Etienne de Dorlodot. Une famille originaire de France, des aristocrates, des entrepreneurs, des bâtisses et des châteaux, des terres aussi, évidemment. Encore ceci : de son propre aveu, une certaine expertise en gestion financière. De quoi avoir les cartes en main pour créer la Société de gestion de la Sambre (Sogesa). C’était en 1983, à Floreffe, près de Namur. Une première. Objectif : aider les propriétaires fonciers à « obtenir un revenu optimal de leurs terres tout en les gardant disponibles ».

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À tout seigneur tout honneur. En jouant les intermédiaires entre propriétaires et agriculteurs, en devenant partenaire-conseil et maître d’œuvre, lui-même a magnifiquement bien réussi à optimaliser ses affaires : les comptes de la Sogesa affichent 3,4 millions d’euros de bénéfices distribués sur les 10 dernières années. Pas mal, non ?    

« Je n’ai pas souvenance d’avoir fait pareils bénéfices, rétorque Etienne de Dorlodot. Et de toute façon, dans le milieu, face aux risques énormes, devant ce qui revient aux fournisseurs, aux agriculteurs et aux propriétaires, ça ne veut pas dire grand-chose. »

« Ici, ça rapporte gros tout de même »

On y reviendra, à cette déclaration. En attendant, voici l’avis d’un des quatre experts-ressource consultés dans le cadre de notre enquête : « Ici, ça gagne tout de même, ça rapporte gros ». Un autre : « Il faut reconnaître que ça cogne ».

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Alors ? Dans un milieu agricole peu habitué aux rémunérations à sept chiffres, quel est le truc du patron pour gagner des millions ? Des producteurs nous ont soufflé une piste : « Etienne de Dorlodot a coupé la Sogesa en plus petites sociétés, pour bénéficier des surprimes sur les 30 premiers hectares. »

Nous avons consulté le site Belpa, qui recense les aides européennes accordées aux exploitants agricoles. Surprise : aucune mention de la Sogesa parmi les milliers d’occurrences. Par contre, nous avons trouvé une société baptisée « Exploitation rue du Chenet » ; soit le nom de la rue où se situe le siège de la Sogesa. Là, dans la case indiquant le total des aides attribuées, la somme de 907 000 euros en 2018. Et 305 000 euros en 2017.

+++  Aides PAC et course aux primes : de la ferme à la firme

Joli jackpot pour une société pourtant inconnue de la Banque-Carrefour des Entreprises.  Mais d’où provenait-il, ce nom ? Et pourquoi, au contraire des autres exploitations agricoles, la Sogesa ne figurait-elle pas dans ce classement des aides établi par Belpa ? Elle est pourtant la plus grosse société de gestion de terres de Wallonie.

« Il a été décidé par l’administration compétente de procéder à un regroupement technique de plusieurs sociétés, toutes situées à la même adresse, sous le nom ’’Exploitation rue du Chenet’’ », nous a-t-on laconiquement répondu chez Belpa.

Nous sommes alors allé sur le site de la Banque-Carrefour des Entreprises. Nous avons demandé au module de recherche de nous donner toutes les sociétés abritées au numéro 1 de la rue du Chenet. Sont alors apparues… 83 exploitations.

Parmi elles, d’abord, la Sogesa. Ses administrateurs se comptent sur les doigts d’une main : Etienne de Dorlodot, son épouse et un de leurs fils. Trois sociétés anonymes font également partie du conseil d’administration de la Sogesa : Agriflor, Cogeflor et Florimo. Toutes n’ont que trois administrateurs : Etienne de Dorlodot et son épouse, auxquels il faut ajouter la Sogesa elle-même.

+++ Terres à louer: le blé avant tout

Également dans cette liste reprenant les exploitations agricoles logées à la rue du Chenet, deux autres sociétés anonymes et une SPRL : Lausagri,  Taillemarie et M&G Partners, toutes trois administrées par Etienne de Dorlodot, notamment.

Une bonne dizaine d’autres exploitations encore, créées le 1er juin 2006. Leurs noms fleurent bon le terroir : Association agricole de Ciney, de Frasnes, de Marchin, de Melin, etc. Aux commandes, pour chacune, les mêmes administrateurs : Etienne de Dorlodot et une de ses sociétés anonymes.

Dans cette liste, enfin, 63 associations agricoles créées entre le 19 et le 23 mars 2015. Nous les avons vérifiées une par une. Aux manettes, là encore, Etienne de Dorlodot et une ou plusieurs de ses sociétés anonymes. 

« Des exploitants fictifs »

Nous avons alors contacté l’administration wallonne, organisme payeur. Bingo. Elle nous a confirmé avoir reçu des demandes pour chacune des 83 sociétés basées à la rue du Chenet.  D’où sa décision de les regrouper sous le même vocable.

« Etant donné que toutes ces unités ne forment en fait qu’une seule exploitation gérée par les mêmes personnes, elles ont été regroupées sous      le nom de la rue de leur siège      », nous a détaillé Nicolas Yernaux, porte-parole du Service public de Wallonie. 

Ce n’est évidemment pas le seul geste posé : « L’organisme payeur a estimé que toutes ces sociétés et associations étaient des exploitants fictifs destinés à démultiplier les aides ou à faciliter l’accès à des aides. Il y a donc eu un gel provisoire des aides relatives aux campagnes 2015 et 2016.»     

Explication. Les aides bloquées portent sur le paiement redistributif et le paiement vert. Le premier est une aide spécifique accordée pour les 30 premiers hectares d’une exploitation ; elle « vise à soutenir les petits exploitants en leur allouant une aide supplémentaire pour les premiers hectares déclarés », détaille l’administration.

Et justement, qu’a constaté l’administration dans le cas des sociétés et associations logées au numéro 1 de la rue du Chenet ? Ceci : « Les 83 ”prétendues” exploitations exploitent, à peu de choses près, chacune précisément 30 ha. » Heureuse coïncidence, non ?

« Et la liberté d’entreprise, vous en faites quoi, riposte Etienne de Dorlodot. Si nous avons créé ces sociétés, c’est parce que nous gérons de très nombreux propriétaires et de très nombreuses parcelles. Ça ne sert à rien de nous comparer avec un fermier ; on n’est pas dans le même monde, les mêmes chiffres, le même type d’activités. »  

Bon, ok. Parlons alors des autres cartons rouges délivrés par l’organisme payeur wallon, ceux liés aux paiement verts. Ici, il s’agit d’aides accordées aux agriculteurs à condition qu’ils respectent certaines pratiques favorables à l’environnement. Des aides qui sont également conditionnées par la taille des exploitations et par le type de cultures. 

« Un ’’gros’’ exploitant doit notamment davantage diversifier ses cultures qu’un ’’petit’’ », ajoute également Nicolas Yernaux, porte-parole du Service public de Wallonie. Sous-entendu : ce n’est pas le cas. 

« Tout est contrôlé, certifié et parfaitement en ordre, réplique Etienne de Dorlodot. Nous avons des exploitations bio et d’autre non bio. On ne peut pas tout mélanger. À l’administration, ils l’ont fait. Ils ont tout mis dans le même pot. Ils s’en foutent. Ils ont ouvert le feu. »

« Il y a deux ou trois gugusses, je les ai en point de mire »

L’administration, elle, use d’autres mots. Elle assure « avoir creusé le dossier, opéré des vérifications, des contrôles ». Et auditionné les déclarants. Pour finalement décider, en 2017, « de traiter les 83 déclarants comme un seul agriculteur. Ce qui signifiait calculer et payer rétroactivement sur cette base les primes correspondant aux années 2015 et 2016, qui avaient été suspendues ».

Voilà. Ce sont là les fameux 907 000 euros et 305 000 euros d’aides dont nous vous parlions plus haut. Joli jackpot, disions-nous. Etienne de Dorlodot, lui, en espérait bien  d     avantage. Depuis, c’est la « guerre ouverte ». Boum ! Recours devant le Conseil d’État pour casser la décision de l’administration. Reboum ! Tribunal civil saisi pour réclamer des dommages et intérêts.

« L’administration devrait être là pour aider les gens, pour vous dire comment régler un problème ; ici, c’est l’inverse, on vous saque, on vous traite de bandit, se justifie Etienne de Dorlodot. Il y a là deux ou trois gugusses, je les ai en point de mire. Ça suffit, c’est illégal, c’est scandaleux. »  

L’administration a contre-attaqué. Boum ! Plainte au pénal pour « demande abusive de primes et d’aides publiques ». Une frappe qui a bloqué la procédure au civil. « L’audience au civil était fixée au 26 mai 2018, s’indigne le patron de la Sogesa. Deux jours avant, l’administration a porté plainte au parquet. Si ce n’est pas de la manipulation. On ne porte pas plainte comme ça, dans un cadre qui traîne depuis trois ans. Ça sent vraiment le roussi. »

Et on peut dire que l’odeur est forte. Une fois saisi, le juge doit obligatoirement instruire le dossier. Avant un passage en chambre du conseil, qui prendra une décision de renvoi devant le tribunal correctionnel, ou de non-lieu.

« Ce n’est pas la première fois qu’on connaît pareil cinéma, enrage Etienne de Dorlodot. Parce que quand quelqu’un leur tient tête, ils vont jusqu’en appel. On a déjà eu la blague      en 1997, suite à des contrôles. Il a fallu attendre 15 ans pour avoir le jugement final. On a gagné. Et là, clac, ils ont dû passer à la caisse. Évidemment, cette fois, ça devient très lourd en termes d’enjeux vu notre développement. » 

Ça l’était déjà au début des années 2000 : « La Sogesa risquait de voler en faillite à cause de tout ça ». Raison pour laquelle « nous avons décidé de travailler sous d’autres noms ». D’où la création d’une première dizaine d’associations agricoles. « On a été contrôlés par la suite, mais sans que cela pose question ».

C’est seulement en 2016 que la situation a une nouvelle fois dégénéré ; un an tout juste après la création de la soixantaine d’associations agricoles dont on vous parlait plus haut, et des demandes d’aides introduites pour chacune d’elles.

« Les fonctionnaires qui s’occupent de mon dossier m’ont dit : Monsieur, vous n’êtes pas un agriculteur actif, ajoute Etienne de Dorlodot. C’est comme si on nous avait dit : vous êtes un voleur, et c’est à vous de vous décarcasser pour prouver le contraire. Pour renverser la vapeur, c’est très dur. »

« Il y a bien une instruction en cours »

Où en est-on, aujourd’hui, dans ces actions ?  Le recours au Conseil d’État, très long, n’a pas encore abouti; la plainteau civil est donc tenue en l’état tant que la procédure au pénal n’est pas terminée. Quant à cette dernière…

« Nous avions écrit au parquet en demandant à être entendus, mais rien ne bougeait, confirme Etienne de Dorlodot. Et puis tout à coup, voici quelques semaines, un inspecteur m’a enfin reçu. On nous accuse de faux, mais tout est à l’avenant. J’avais tous mes documents. Le type a ouvert des yeux comme des soucoupes. »

« Il y a bien une instruction en cours actuellement suite à la constitution de partie civile de la Région Wallonne »,confirme Charlotte Fosseur, porte-parole du bureau du procureur du roi de Namur. Pour l’heure, il n’y a pas d’inculpation »

Etienne de Dorlodot pourrait-il être inculpé ? Sur le fond, un principe semble  évident : « Si on a décidé d’octroyer des aides spécifiques pour les 30 premiers hectares, c’est pour aider les plus petits agriculteurs, pointe un de nos experts-ressource. Ce n’est pas pour qu’un grand exploitant divise ses 3000 ou 4000 hectares pour en bénéficier. Il y a une philosophie positive derrière tout ça. Contournable ou pas, ça, ça dépend comment la loi est faite. »

Justement, que dit la loi ? L’Union européenne mentionne ceci dans son règlement: « Les États-membres veillent à ce qu’aucun avantage prévu ne soit accordé en faveur des agriculteurs pour lesquels il est établi que, après le 18 octobre 2011, ils ont divisé leur exploitation dans le seul objectif de bénéficier du régime du paiement redistributif. » 

Plus saillant encore : « Cette disposition s’applique également aux agriculteurs dont les exploitations résultent de cette division. »

Un règlement mis en œuvre par la Région wallonne : « Aucun paiement n’est effectué en faveur des personnes au sujet desquelles il est établi qu’elles ont créé artificiellement les conditions requises pour bénéficier d’une aide en contradiction avec les objectifs de cette aide. » 

« Pour l’administration, nous sommes des bandits »

De quoi laisser place à une marge d’interprétation ? Pour l’avocat d’Etienne de Dorlodot,  certainement. Les « terre-à-terre » se rangeront, eux, derrière l’administration.

« En matière d’aides, la plupart du temps, la Région wallonne regarde si les demandes ne sont pas concentrées sur les mêmes bénéficiaires, appuie un autre de nos spécialistes. À partir du moment où on peut prouver que ce sont les mêmes bénéficiaires – qui se rémunèrent de surcroît en tant qu’administrateurs et en tant qu’actionnaires – c’est assez mal parti. »

Ça semble, de fait, assez mal parti : on retrouve Etienne de Dorlodot et ses sociétés anonymes dans tous les conseils d’administration du groupe. « De quoi avoir des doutes sur le fait qu’administrateurs et actionnaires soient réellement différents », explique un de nos experts. 

« Notre situation est comparable à celle d’une fiduciaire ou d’un bureau de gestion, botte en touche Etienne de Dorlodot. Combien y a-t-il d’exploitations domiciliées chez eux pour des questions administratives, de papiers ou autre ? »

La situation est d’autant plus polémique que les bénéfices à distribuer aux actionnaires et/ou aux administrateurs de la Sogesa sont plantureux. On le disait en débutant cet article : 3,4 millions d’euros sur les dix derniers exercices.

« Ces chiffres sont complètement faux, s’étrangle Etienne de Dorlodot. Ce serait merveilleux si c’était vrai, mais nous n’avons jamais eu ça. »

L’addition est pourtant tirée des rapports annuels disponibles à la Banque nationale de Belgique. 480 000 euros de rémunérations ont ainsi été distribués aux administrateurs et gérants en 2018, année où la Sogesa a reçu 907 000 euros d’aides de l’Union ; et 250 000 euros ont été distribués en 2017, année où elle a bénéficié de 305 000 euros. Autre exemple ? 735 000 euros de dividendes ont été attribués aux actionnaires en 2013. Des chiffres validés par l’expert-comptable de la Sogesa.

« Il n’y a jamais eu un euro de dividende versé, s’exclame Etienne de Dorlodot. D’abord parce qu’on n’a jamais eu de quoi distribuer. En plus, en pratiquant de la sorte, c’est 30 % de perdu en précompte mobilier. Je vais lui demander d’où ça vient. C’est extraordinaire tout de même!     »

Des avantages fiscaux inaccessibles pour les petits agriculteurs

Extraordinaire, on peut le dire ! D’ailleurs, on reviendra dans un moment sur ces dividendes « jamais versés ». Vidons d’abord cet éventuel contentieux : rien dans le règlement européen n’interdit d’affecter les aides directement à de la rémunération ou du dividende. Ensuite, toujours à propos des rémunérations et des dividendes : il s’agit évidemment de montants bruts qui doivent encore être imposés. Mais ça, ça peut s’optimaliser. 

« Certains flux entre sociétés permettent de minimiser la base imposable, explique un de nos experts. Par exemple, onva aller distribuer le bénéfice dans des sociétés qui ont peut-être plus d’investissements et un bénéfice proche de zéro. Donc l’argent reste chez vous mais vous n’êtes pas taxé. »

Dans le cas présent, impossible de vérifier le moindre flux entre les 83 exploitations d’Etienne de Dorlodot. Compte tenu de leur taille, aucune de ses sociétés anonymes n’est tenue de publier un bilan complet. Idem au niveau de ses plus de septante associations agricoles. Quel est leur capital ? Détiennent-elles des terres ? Quel est leur bénéfice ? Nous l’ignorons. Aucun document au Moniteur ou à la Bbanque nationale. La raison ? 

« La société agricole a été spécialement créée pour répondre aux besoins des agriculteurs, explique Myriam Van Nieuwenhuyze, à la Banque nationale. C’est une forme de coopération offrant plus de flexibilitéElle est très peu réglementée. Les formalités limitées font que cette forme juridique est adaptée aux sociétés à caractère temporaire. »

Temporaire ? Vingt ans après leur création, onze de ces associations agricoles fondées par Etienne de Dorlodot existent toujours et servent, selon l’administration, à capter des aides. Voire plus encore : « Le petit indépendant, la petite PME, le petit fermier ont plus de mal à profiter d’avantages fiscaux qu’une société qui génère des millions et qui va pouvoir se payer des experts fiscaux compétents », assure ainsi un de nos experts. 

Exemple : « Dans le cas présent, la famille de Dorlodot, qui détient la Sogesa, pourrait très bien être propriétaire de terres et les mettre à la disposition de la Sogesa. C’est intéressant car le montant du fermage versé par la société au propriétaire, c’est du net d’impôt et du net de lois sociales. »

Or la famille est bien propriétaire de terres : plusieurs centaines d’hectares, notamment du côté de Vieusart (Chaumont-Gistoux). Un trésor de guerre qui vaut son pesant d’or. « Il y a un seuil à partir duquel l’ingénierie fiscale devient rentable », assure ainsi un de nos experts.

Un million en cash

Un seuil à partir duquel l’optimisation fiscale devient rentable ; la capacité de recourir aux meilleurs experts fiscaux… Le portrait craché de la Sogesa et de ses sociétés sœurs, qui recourent toutes au même bureau d’expertise. Ses conseils sont avisés. Exemple : le 19 décembre 2013, des assemblées générales de la Sogesa, de Florimo et de Cogeflor ont ainsi décidé d’une augmentation du capital. 

Comment ? Par un apport d’1 million d’euros en numéraire. Du cash qui, selon les trois actes publiés au Moniteur, provient de la distribution de dividendes. Tiens donc : ceux-là même dont Etienne de Dorlodot nous disait qu’ils n’ont jamais existé. Objectif de l’opération : bénéficier d’un taux réduit de précompte mobilier sur lesdits dividendes. Soit 10% au lieu de 30 %, « pour autant que l’argent soit bloqué 5 ans dans l’entreprise ; c’est une façon de la consolider », observe un de nos experts.

Quand on lui parle de la technique, Etienne de Dorlodot retrouve la mémoire mais n’en démord pas : ces dividendes n’ont pas été distribués et ne le seront jamais. Pourquoi ? « Pas besoin de faire un dessin quand vous voyez la rentabilité nette sur fonds investis, précise-t-il. En plus, les besoins de trésorerie sont énormes. Entre la préparation d’une terre et la récolte, il y a un an et demi. Et les fournisseurs et les fermiers qui travaillent pour nous, eux, n’attendent pas. Ils envoient leurs factures. »

Une rhétorique qui masque la question de fond. « Pourquoi avoir accepté de payer un impôt des sociétés et un précompte sur ces dividendes si c’était pour doper un fond de roulement, s’interroge un expert-comptable. Il aurait suffi d’inscrire ces dividendes dans la case bénéfices à reporter. Ils n’auraient pas été imposés ou précomptés. Non, ici, c’est clairement pour dégager l’argent à un moment donné. »  

Depuis la fin 2018, ce million d’euros peut donc être versé aux actionnaires à tout moment. Le résultat d’une optimisation fiscale qui « reste difficile à encaisser pour le citoyen lambda ou, dans le cas présent, pour les plus petits producteurs qui veulent se lancer, car ils n’y ont pas accès. »

« S’ils veulent acheter un terrain, Etienne de Dorlodot et la Sogesa peuvent en remettre sur la table sans problème, conclut un autre de nos spécialistes-ressource. En plus, ils savent rentabiliser car ils ont l’effet volume et les économies d’échelle. Vu la place d’intermédiaires qu’ils défendent, on risque tout de même d’en arriver à une situation qui va impacter l’outil de travail de vrais agriculteurs. »

Etienne de Dorlodot, lui, le jure la main sur le cœur : « La Sogesa n’a jamais acheté un hectare de terre. Elle n’en achètera pas. Ce n’est pas son boulot. Elle amène ses  compétences techniques. Alors c’est vrai, elle a une croissance et ça continuera si les choses ne changent pas. Mais où est le mal ? »

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