Mouvement Cuisines de quartier
Bruxelles, le 20 juillet À Bruxelles, tous les mardis, Ferhad, Jaldez, Khadija, Sophie, Fanny et d’autres se réunissent pour cuisiner ensemble. Le groupe « Ça chauffe » fait partie du mouvement Cuisines de quartier. © Gaëlle Henkens

Bruxelles : des cuisines de quartier qui chauffent les coeurs

À Bruxelles, tous les mardis, Ferhad, Jaldez, Khadija, Sophie, Fanny et d’autres se réunissent pour cuisiner ensemble. Le groupe « Ça chauffe » fait partie du mouvement Cuisines de quartier, un réseau de citoyens et citoyennes qui s’organisent en collectivité pour la préparation de repas à ramener chez soi.

Jehanne Berger, journaliste | jehanne.berge@gmail.com
Gaëlle Henkens, photographe | henkens_gaelle@hotmail.com

Mardi 9 heures, le rendez-vous est fixé au deuxième étage de l’Espace Social Télé Service à quelques pas de la porte d’Anderlecht, au centre de Bruxelles. Une vaste cuisine juxtapose un petit réfectoire. Aujourd’hui, Sophie est la première arrivée. Derrière ses grandes lunettes toutes rondes, des yeux curieux. L’animatrice sociale d’origine française travaille dans la maison depuis des années. C’est elle qui a lancé les ateliers il y a quatre ans. 

« L’idée au départ était de vivre un moment convivial, que chacun et chacune puisse apporter son intimité par rapport à la nourriture », raconte-t-elle.  

+++ Ce portrait des Cuisines de quartier (Bruxelles) est au sommaire du numéro 7 de Tchak! (automne 2021). Dans cette rubrique, Tchak! prend le temps de dépeindre des personnages au profil atypique, de mettre leur quotidien en mots, de porter leur voix.

En 2019, le collectif Cuisines de quartier propose au groupe citoyen « Ça chauffe » de faire partie des expériences pilotes. Le mouvement accompagne aujourd’hui une petite dizaine d’initiatives. L’objectif ? Mutualiser les forces et les savoirs pour préparer des repas collectivement et ramener les portions à la maison. Au programme : plaisir, partage, efficacité. Le concept est directement inspiré du Québec où, depuis des décennies, les Cuisines collectives font leurs preuves. 

« Cuisiner, c’est une passion, ça m’aide » 

Ferhad entre dans la pièce. Il participe aux ateliers depuis le début. Ce chauffeur à la retraite originaire d’Algérie habite à quelques kilomètres des lieux, de l’autre côté du canal, à Molenbeek. Neuf fois grand-père, il vit seul une bonne partie de la semaine. Il s’introduit : « Cuisiner, c’est une passion, ça m’aide. On oublie les problèmes, on sort de son milieu, on discute. » 

Il est suivi par les autres participantes. À commencer par Fanny qui travaille pour Cuisines de quartier. C’est à la suite d’une recherche-action sur l’accessibilité de l’alimentation de qualité[1] que celle-ci a rejoint le projet : « Il y a beaucoup d’offres au niveau de l’approvisionnement, mais on ne tient pas assez compte de l’aspect cuisine, que ce soit l’accès à une cuisine suffisamment équipée, l’envie de cuisiner ou la connaissance de recettes à base de produits locaux. » 

Jaldez salue l’assemblée. Cette maman solo de cinq enfants, arrivée d’Albanie en 2011 et toujours en procédure de régularisation, a débarqué ici via la distribution de colis alimentaires qui se déroule au rez-de-chaussée. Venir au rendez-vous tous les mardis matin n’a rien d’aisé : elle doit chaque fois trouver une garde pour ses cinq enfants. «J’aime cuisiner. S’il y a quelque chose que je ne sais pas préparer, on le fait ensemble et c’est chouette. Ça fait du bien de ne pas être à la maison à Ganshoren. » 

« Chaque groupe a son histoire »

Enfin, place à Khadija. D’origine marocaine, cette femme discrète est désormais à la retraite après avoir œuvré toute sa vie comme aide-ménagère. « J’ai nettoyé partout. Le patron m’envoyait à gauche, à droite, à l’hôpital, dans les bureaux. J’ai tout accepté. » Malgré ses sept petits-enfants, à présent la solitude lui pèse. Une solitude marquée par un drame « qui génère un stress très important », confie-t-elle, alors cuisiner ensemble lui permet de s’évader un peu.

Entre deux discussions autour des vaccins, de la pluie, des campings trop remplis, Sophie s’enquiert de la venue ou non des autres habitués… Pour ce matin, tout le monde est là. 

Fanny insiste : « Dans les cuisines de quartier, il ny a pas de chef, on apprend tous les uns des autres. Le mouvement coordonne et regroupe différentes initiatives, mais il na pas pour objectif de parler de cheminement vers une alimentation saine, on nest pas là pour éduquer les gens. Chaque groupe a sa dynamique, son histoire. »  

Des montagnes albanaises au plan de travail bruxellois

La préparation des repas s’établit en quatre étapes : la planification, l’approvisionnement, la cuisine et l’évaluation. Aujourd’hui, pas de casseroles ni de couteaux. Le projet fonctionne de manière alternée : une semaine on réfléchit, une semaine on passe à l’action. 

« Avant de planifier la suite, j’aurais trouvé chouette qu’on fasse une petite évaluation de la dernière session », propose Fanny. « Il y a eu un embouteillage dans le four. On courait partout », commentent les participants avant de s’accorder sur la nécessité d’une certaine rigueur dans la gestion des tâches. 

Concernant la semaine suivante, qu’a-t-on envie de cuisiner ? En parlant de voyages, de végétarisme, d’Albanie, la discussion du groupe dévie sur les bureks, une spécialité à base de pâte feuilletée. Le débat est vif concernant leurorigine et leur recette. Balkans ? Asie ? Monde arabe ? Wikipédia vient mettre un terme à la polémique. D’Asie centrale, ils se sont développés sous l’Empire ottoman dans tout le bassin méditerranéen. 

« Je les fais très bien. Ma grand-mère m’a transmis la tradition des bureks albanais. C’est très difficile, mais c’est très bon. Je peux les faire toute seule pour vous », propose Jaldez. « Ah non, rétorque le groupe. On prépare ensemble comme ça on voit comment tu fais. » Jaldez livre son petit secret pour des bureks au fromage en mode économique : « Je mélange du yaourt, des œufs, un peu de farine et du sel. Quand ça cuit, c’est comme du fromage ! » 

Entre la comparaison du prix au litre des pots de yaourt en fonction des supermarchés et la cuisine traditionnelle albanaise, l’ambiance est à la rigolade. Préparer à manger, c’est échanger. « Quand je vais chez mes amis d’autres cultures, je me rends dans leur cuisine et je leur demande si je peux observer leur façon de préparer. C’est comme ça que j’apprends », relève Ferhad. 

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[1] https://falcoop.ulb.be/